Ce texte mériterait de recueillir l'unanimité compte tenu du sujet. Le harcèlement sexuel constitue en effet un véritable fléau qui touche les femmes de toutes catégories sociales, de l'étudiante à l'employée, des professions libérales aux cadres. Or, alors que ses ravages sont terribles, peu de procédures aboutissent. Il est d'autant plus grave que la question prioritaire de constitutionnalité se soit soldée par une invalidation de la loi existante, et je regrette à mon tour le choix du Conseil constitutionnel de ne pas différer l'entrée en vigueur de sa décision, comme il l'avait fait pour la réforme de la garde à vue ou pour les organismes génétiquement modifiés. Il en est résulté des répercussions douloureuses pour les victimes qui attendaient que justice leur soit rendue et qui voient l'action publique éteinte. Ce sujet mérite donc une attention particulière, et sans doute des solutions innovantes.
Cependant, cette décision a permis de constater que de nombreux agissements qui auraient pu tomber sous le chef d'inculpation d'agression sexuelle étaient qualifiés de harcèlement sexuel, afin de réduire les sanctions auxquelles étaient exposés les agresseurs. Madame la garde des Sceaux, vous avez évoqué les victimes concernées par l'interruption des procédures judiciaires en cours, et plus particulièrement celles dont les faits n'ont pas pu être requalifiés comme le recommandait la circulaire du 10 mai 2012. Combien sont dans ce cas ? Combien d'entre elles se tournent vers l'action civile pour obtenir des dommages et intérêts qui pourraient leur permettre de rembourser des frais de justice se montant en général à plusieurs milliers d'euros, compte tenu d'un délai moyen d'instruction de vingt-sept mois ?
Vous avez également évoqué la confusion, dans l'échelle des peines, entre les atteintes aux biens et les atteintes aux personnes. Il ne paraît en effet pas légitime que l'agression sexuelle soit moins lourdement sanctionnée que le vol de téléphone portable, même si celui-ci est répréhensible. Mais les associations de victimes sont inquiètes parce que la nouvelle définition du harcèlement sexuel, par son étendue, peut conduire à déqualifier des faits d'agression sexuelle ou de viol en faits de harcèlement, et je souhaiterais donc que vous précisiez votre réponse sur ce point.
Parmi les circonstances aggravantes de la nouvelle infraction, vous avez fait figurer la vulnérabilité économique. Cependant, si celle-ci correspond à une caractéristique réelle des victimes – d'où les préconisations de la délégation sénatoriale aux Droits des femmes –, ce n'est pas une donnée objective comme peut l'être un état de grossesse ou une situation de handicap, et ce caractère subjectif peut amoindrir la force du dispositif pénal que nous essayons de rétablir.
Je suis également réservé sur le fait de faire figurer au rang des circonstances aggravantes le fait de s'en prendre à des mineurs de moins de quinze ans, âge de la majorité sexuelle. D'une part, on est encore mineur à seize ans et, d'autre part, toutes les situations ne peuvent être couvertes par l'abus d'autorité : le cas d'un mineur de seize ans émancipé par ses parents, victime de harcèlement sexuel dans le cadre d'une recherche de logement, en fournit un exemple.
J'appelle enfin votre attention sur les difficultés spécifiques rencontrées par les étudiants en doctorat, qui sont généralement dépourvus de moyens d'action face au harcèlement sexuel. Il est nécessaire de modifier le fonctionnement du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) quand il est compétent pour statuer en matière disciplinaire, afin que les plaignants y soient représentés.