Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, madame la présidente de la commission des affaires européennes, chers collègues, de même que l’accord avec la Moldavie que nous avons examiné il y a quelques semaines sur le rapport de M. Thierry Mariani, les accords d’association avec la Géorgie et l’Ukraine s’inscrivent dans la politique de partenariat oriental de l’Union européenne – partenariat qui est lui-même l’une des deux déclinaisons de la politique de voisinage.
L’offre principale du partenariat oriental aux six pays ciblés – Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Géorgie, Moldavie et Ukraine – était la signature d’accords d’association. Trois des six pays précités les ont donc conclus.
Ces pays ont en commun d’avoir engagé un effort considérable pour se rapprocher des standards démocratiques et économiques européens. Pour entreprendre cette démarche, leurs peuples se sont battus et ont versé leur sang – la dernière fois, sur la place Maïdan.
Ces pays ont aussi en commun d’avoir perdu le contrôle d’une partie de leur territoire et d’être de ce fait en situation de confrontation plus ou moins ouverte avec la Russie.
S’agissant de la Géorgie, chacun se souvient que depuis son indépendance, ce pays est confronté au séparatisme de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. Ce fut même la cause en 2008 d’une guerre russo-géorgienne, comme l’a rappelé Mme la secrétaire d’État. Les armes se sont tues depuis lors, mais le règlement politique du conflit n’a connu aucun progrès.
L’arrivée au pouvoir en 2012 et 2013 de dirigeants moins hostiles à la Russie a permis un apaisement entre les deux pays et le règlement de problèmes mineurs, notamment le rétablissement d’échanges commerciaux normaux. Cependant, le dossier n’a connu aucune avancée sur le fond, bien au contraire : le contexte actuel de tension avec la Russie a produit un durcissement de la situation.
Cet hiver, la Russie a en effet signé des traités avec les soi-disant gouvernements des deux régions séparatistes, traités qui reviennent de fait à les intégrer à la Russie du point de vue économique et sécuritaire, ce qui est évidemment inacceptable pour la Géorgie.
Dans ce contexte, la Géorgie a, depuis une décennie, fait le choix de l’Europe, ainsi que celui de se rapprocher de l’OTAN. Elle a mené de nombreuses réformes qui, même si tout n’est pas parfait, lui ont assuré des succès économiques relatifs et qui, aujourd’hui, en font certainement l’un des plus démocratiques des pays issus de l’ex-URSS. L’alternance au pouvoir de 2012 et 2013, que j’ai évoquée, s’est faite normalement et dans les urnes. De même, la lutte contre la corruption a produit des résultats significatifs. À l’exception des pays baltes, il semble que la Géorgie soit devenue de loin le plus efficace des États issus de l’ex-URSS dans ce domaine.
J’en viens à l’Ukraine, où je me suis rendu avec quelques collègues voici plusieurs semaines, la commission des affaires étrangères ayant par ailleurs reçu récemment des représentants de la Rada. Je ne mentionnerai que quelques lignes de force.
Il faut tout d’abord souligner que la crise politique au niveau central, qui a culminé en février 2014 sur la place Maïdan, est pour le moment surmontée. J’entends par là que l’Ukraine a actuellement un président, M. Porochenko, qui a été largement élu dès le premier tour en mai 2014, et un Parlement, démocratiquement issu des élections d’octobre dernier et comportant une très forte majorité proeuropéenne. Cela rompt avec la période précédente où le pays était profondément clivé entre sa partie occidentale, très nationaliste et proeuropéenne à la fois, et sa partie orientale et méridionale, largement russophone. L’Ukraine est aujourd’hui plus unie qu’elle ne l’a jamais été – si l’on fait naturellement abstraction de la Crimée et du Donbass.
S’agissant du Donbass, précisément, nous traversons actuellement une période assez indéterminée dans laquelle il est difficile de prévoir l’avenir. Les combats se sont apaisés depuis les accords de Minsk 2 en février dernier, mais ils n’ont jamais cessé. La situation économique et humanitaire est très difficile, même si le pays ne connaît ni la famine ni les camps de réfugiés qui existent ailleurs. Quant au règlement politique, il est aujourd’hui difficile de pronostiquer ses chances de succès, car les positions des protagonistes demeurent très éloignées. Cependant, il se déroule aussi en ce moment de véritables négociations dans le cadre du groupe de contact tripartite et de ses groupes de travail. Nous ne sommes plus dans une situation où tout le monde s’ignore, comme c’est le cas dans trop de conflits.
Le dernier point qu’il faut rappeler concernant l’Ukraine tient au fait que ce pays ne traverse pas seulement une crise nationale, mais aussi une crise économique très grave. En 2014 et 2015, le PIB ukrainien devrait connaître une baisse cumulée de 12 % à 15 %. La monnaie a perdu plus de la moitié de sa valeur face à l’euro et au dollar. Le déficit public est de l’ordre de 10 % du PIB si l’on tient compte de l’entreprise publique gazière Naftogaz, et le ratio entre la dette publique et le PIB est passé de 40 % à 94 % entre 2013 et 2015.
Face à cela, l’Ukraine bénéficie d’aides internationales massives, notamment du FMI et de l’Union européenne. Au total, l’aide internationale s’élèverait à 41 milliards de dollars d’ici 2018, soit l’équivalent de la moitié du PIB annuel de l’Ukraine. Par ailleurs, le gouvernement ukrainien a adopté des mesures budgétaires très rigoureuses. Le prix du gaz à la consommation a été augmenté de 285 % en avril dernier.
En dehors de ces mesures douloureuses, l’Ukraine s’est engagée dans un ensemble très complet de réformes politiques et économiques qui touchent de nombreux domaines : réforme constitutionnelle, décentralisation, indépendance de la justice et des médias, lutte contre la corruption, marchés publics, marché de l’énergie, banques ou encore privatisations. Soyons bien conscients du fait que, du point de vue de la majorité au pouvoir à Kiev, cet agenda de réformes est indissociablement lié à l’engagement européen du pays. Il s’agit de se conformer aux standards européens afin que l’Ukraine soit en mesure de présenter une candidature à l’Union européenne en 2020 – c’est son souhait.
J’en arrive aux deux accords qui nous occupent, et qui sont bâtis sur le même modèle défini à Bruxelles. Ils commencent par établir un certain nombre de valeurs communes autour de la démocratie, des droits de l’homme et de l’économie de marché. Ensuite, ils instaurent une coopération politique qui comprend notamment une « convergence progressive » en politique étrangère et de sécurité. Ils prévoient aussi de nombreux domaines de coopération technique.
Enfin et surtout, leurs stipulations les plus nombreuses et les plus opérationnelles sont économiques et commerciales : chacun de ces accords est aussi un accord de libre-échange dit « complet et approfondi » tel que le promeut la politique commerciale de l’Union. Les deux accords comportent donc l’établissement d’une zone de libre-échange entre leurs signataires et l’Union : les droits de douane doivent être supprimés sur la quasi-totalité des flux commerciaux – entre 98 % et 100 % selon les cas – et seules quelques dérogations seront prévues.
Par ailleurs, conformément à la notion de libre-échange « complet et approfondi », ces accords traitent de beaucoup d’autres questions concernant plus ou moins directement le commerce, en ce sens qu’elles sont susceptibles d’entraver son développement : procédures douanières, réglementations techniques, sanitaires et phytosanitaires, liberté d’établissement des entreprises et de prestation de services, accès non discriminatoire à des marchés publics transparents, droit de la concurrence ou encore protection de la propriété intellectuelle et, en particulier, des indications géographiques. Sur toutes ces questions, les accords imposent à des degrés divers et selon des échéanciers précis un alignement des pays partenaires sur « l’acquis communautaire ».
Il faut aussi souligner en creux ce que ces accords ne sont pas. Tout d’abord, ni l’un ni l’autre n’ouvrent de perspective d’adhésion prochaine aux pays signataires. À cet égard, leur préambule est explicite : compte tenu de la forte demande exprimée par l’Ukraine et par la Géorgie sur cette question et soutenue par un certain nombre d’États membres de l’Est et du Nord de l’Europe, il reconnaît certes « l’identité européenne », les « aspirations européennes » ou encore la situation de « pays européen » des deux pays. Toutefois, à la demande de la France et d’autres grands États membres, ce préambule précise aussi que les accords d’association ne préjugent en rien de l’évolution future des relations de l’Union avec ses partenaires orientaux.
Ensuite, ces accords ne sont pas davantage des alliances militaires et n’ont pas d’incidence sur la question controversée du souhait de l’Ukraine et de la Géorgie d’adhérer à l’Alliance atlantique.
Enfin, ils ne traitent pas non plus de la mobilité des personnes, en particulier de la levée de l’obligation de visa pour les courts séjours, laquelle fait actuellement l’objet d’un processus distinct.
Dans ce contexte clair et précis, c’est pour trois raisons que je vous invite à adopter, comme l’a fait la commission des affaires étrangères, les projets de loi qui permettront la ratification des accords d’association avec la Géorgie et l’Ukraine.
C’est tout d’abord au nom de l’idéal européen. La Géorgie depuis une décennie, et l’Ukraine depuis un an, ont des majorités politiques fortes et démocratiquement élues, qui ont fait le choix de l’Europe, laquelle est vue comme un modèle politique et économique. Ce choix détermine à la fois leur politique étrangère et un agenda interne très ambitieux de réformes démocratiques et de modernisation économique. L’Union européenne doit accompagner ces réformes dans le cadre d’un pacte de confiance avec l’Ukraine et la Géorgie. Cette coopération devra s’accompagner de réelles contreparties en termes de droits de l’homme, de bonne gouvernance ou encore de lutte contre la corruption.
C’est ensuite en raison de notre attachement aux principes fondateurs du droit international. Nous regrettons que l’actuelle confrontation avec la Russie n’ait pu être évitée et devons souhaiter qu’un nouveau partenariat puisse être trouvé avec ce grand pays. Néanmoins, nous ne pouvons transiger ni sur le respect de la souveraineté des États internationalement reconnus, ni sur celui de leur intégrité territoriale. L’Ukraine et la Géorgie sont libres de faire leurs choix sans être contraints par l’ingérence d’un voisin trop pressant.
Enfin, nous devons être conscients que les positions de la France comptent particulièrement pour l’Ukraine et la Géorgie. Elles comptent en raison de l’image générale de notre pays, de son attachement séculaire à la liberté, de son statut international, des spécificités de sa politique étrangère, et aussi, ajouterai-je, en raison de la francophonie.