Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche, monsieur le président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, la commission du développement durable m’a nommé rapporteur de cette proposition de loi, qui a été signée par l’ensemble des membres du groupe socialiste, républicain et citoyen.
Ce texte constitue l’aboutissement d’un travail de plus d’une année, la concrétisation d’une concertation qui a réuni l’ensemble des acteurs de la manutention portuaire.
L’origine se trouve dans un conflit qui a éclaté à Port-La-Nouvelle en 2013, au sujet du non-respect par l’un des manutentionnaires locaux du port des règles relatives à l’emploi des ouvriers dockers.
Cette affaire a entraîné une prise de conscience des difficultés d’interprétation des textes sur ce sujet.
Un groupe de travail a alors été mis en place. Il a rassemblé, autour de Mme Martine Bonny, ancienne présidente du directoire des grands ports maritimes de Rouen et de Dunkerque, aujourd’hui inspectrice générale de l’écologie et du développement durable, l’ensemble des acteurs du secteur de la manutention portuaire : les syndicats de dockers, les représentants des entreprises de manutention, les représentants des entreprises utilisatrices de transport de fret, les autorités portuaires, les membres de l’administration en charge du transport maritime et des personnalités qualifiées. Je tiens à saluer ici l’esprit constructif et la qualité du travail qui a été accompli à cette occasion.
Avant de présenter le contenu de cette proposition de loi, je voudrais rappeler brièvement le cadre historique dans lequel elle s’inscrit.
Le régime d’emploi des dockers a été fixé après la Seconde Guerre mondiale par la loi du 6 septembre 1947. Il visait à concilier deux objectifs apparemment exclusifs l’un de l’autre : la stabilité et la flexibilité inhérente à l’activité portuaire.
Les dockers titulaires d’une carte professionnelle délivrée par le bureau central de la main-d’oeuvre du port devaient pointer à l’embauche deux fois par jour. Ils étaient recrutés pour une journée ou une demi-journée, en fonction de l’activité portuaire. Ils bénéficiaient d’une priorité d’embauche sur les autres personnels pour les emplois de manutention portuaire définis par voie réglementaire. Si l’activité n’était pas suffisante, ceux qui n’avaient pas pu être embauchés recevaient une indemnité. Si, au contraire, ils n’étaient pas assez nombreux un jour donné, il était fait appel à des dockers occasionnels. Ceux-ci ne bénéficiaient pas des mêmes garanties mais n’étaient pas non plus soumis aux mêmes contraintes.
Défaillant tant sur le plan économique que sur le plan social, ce régime a été réformé par la loi du 9 juin 1992, celle qu’on appelle communément la loi Le Drian. Celle-ci a permis de substituer au régime de l’intermittence généralisée une mensualisation des dockers professionnels, dans le cadre de contrats à durée indéterminée relevant du droit commun du travail. En conséquence, elle a interdit la délivrance de cartes professionnelles pour l’avenir, programmant ainsi l’extinction progressive du régime de l’intermittence.
Un régime transitoire a toutefois été mis en place pour les dockers titulaires à cette date de la carte professionnelle qui ne souhaitaient pas passer à la mensualisation. Ces dockers, appelés dockers professionnels intermittents, sont aujourd’hui moins de soixante-dix à exercer réellement leur activité sur un port et les derniers devraient partir en retraite d’ici à 2018.
L’affaire qui a éclaté à Port-la-Nouvelle en 2013 a fait craindre aux acteurs portuaires que la disparition du dernier docker intermittent sur un port donné n’implique la suppression de la priorité d’embauche dont bénéficient sur ce port les dockers professionnels mensualisés créés par la loi de 1992 ainsi que les dockers occasionnels, dont le régime n’a pas été supprimé par cette loi. Les articles du code des transports résultant de la loi de 1992 donnaient lieu en effet à des interprétations divergentes sur ce point.
Le travail mené par le groupe animé par Mme Martine Bonny a permis d’améliorer la rédaction des textes, de manière à supprimer toute corrélation entre l’existence d’un régime de priorité d’emploi des dockers et la présence de dockers intermittents sur une place portuaire. C’est l’objet des articles 1 à 5 et des articles 7 et 8.
Par ailleurs, ce texte vise à clarifier le périmètre de la priorité d’emploi des dockers. C’est l’objet de l’article 6.
Cette évolution est d’autant plus nécessaire que la loi du 4 juillet 2008 a entraîné d’importants changements dans le domaine de la construction et de la gestion des outillages. Ceux-ci avaient rendu obsolètes les notions employées jusqu’alors pour définir le périmètre d’activité des dockers, par exemple celle de postes publics ou encore celle de lieux à usage public.
Ce texte est aussi l’occasion de réaffirmer que l’existence d’une priorité d’emploi des dockers pour certaines tâches se justifie pour des raisons de sécurité des personnes et des biens. Les dockers disposent en effet de savoir-faire spécifiques qui leur permettent d’assurer le chargement et le déchargement de cargaisons dans des conditions qui pourraient être dangereuses.
De plus, un mécanisme novateur a été créé pour traiter du cas des travaux de manutention portuaire effectués pour le compte propre du titulaire d’un titre d’occupation domaniale comportant le bord à quai.
La loi prévoit désormais que les conditions dans lesquelles ils sont réalisés sont fixées conformément à une charte nationale. Celle-ci doit permettre de favoriser le dialogue entre les acteurs portuaires sur les projets de nouvelles implantations industrielles.
En effet, les travaux du groupe animé par Mme Martine Bonny ont été conduits dans le respect de la législation européenne, notamment du droit de la concurrence, de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services. Or celle-ci rendait nécessaire une prise en compte des spécificités des AOT comportant le bord à quai.
Cette charte est un instrument-cadre, dont les déclinaisons locales s’adapteront aux spécificités de chaque port, et elles sont nombreuses. Cette charte, dont le projet a été élaboré dans le cadre du groupe de travail, doit donc être signée le plus rapidement possible, dans l’intérêt de toutes les parties prenantes du port, qu’il s’agisse des ouvriers dockers ou des manutentionnaires, mais aussi de la compétitivité du port, qui est très liée à la qualité des rapports sociaux sur ces places.
Lors de sa réunion du mercredi 17 juin, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a adopté douze amendements rédactionnels, qui permettront de faciliter l’application du texte en renforçant sa lisibilité.
Par ailleurs, mon collègue Henri Jibrayel, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires économiques, et moi-même avons été à l’origine de l’adoption de deux amendements identiques introduisant un article 9 dans le texte. Celui-ci prévoit la remise au Parlement dans un délai de deux ans d’un rapport sur la mise en oeuvre de la charte, parce qu’il nous semble important de mesurer l’intérêt de cette forme nouvelle de relations sociales et de voir comment elle pourrait être transposée dans d’autres domaines que celui de l’activité portuaire.
Pour conclure, je vous invite bien sûr, mes chers collègues, à adopter ce texte, tout en rappelant qu’il ne faut pas se méprendre sur sa portée exacte. Tout d’abord, il ne concerne pas la seule catégorie des dockers intermittents. Il ne vise ni à remettre en cause leur existence, ni à leur accorder de nouveaux droits. Enfin, il vise à résoudre un problème juridique précisément circonscrit. Il n’a pas pour ambition de fixer les grandes orientations stratégiques en matière de développement maritime, contrairement à ce que croyaient certains de nos collègues de la commission. Ce sera l’objet d’autres textes au cours de cette législature.