Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons ce soir, présentée par le groupe socialiste, républicain et citoyen, vise à transcrire dans la loi les négociations entre les parties prenantes de la manutention portuaire, constituées à l’initiative du Gouvernement en 2013. Les rapports de Philippe Duron et d’Henri Jibrayel, que je félicite tous deux pour leur travail, éclairent parfaitement le dossier. Les propositions concernent les règles applicables à l’emploi des dockers, sous prétexte, notamment, que leur régime juridique n’a pas évolué depuis les deux réformes en 1992 et 2008, au regard de leur statut d’intermittent.
Selon votre majorité, c’est donc un texte qui améliorerait la sécurité juridique des dockers, tout en réaffirmant le lien entre la priorité d’embauche et le statut d’intermittent, et qui s’appuierait sur une charte nationale sur laquelle il y aurait accord des partenaires sociaux. Ce texte clarifierait également le domaine d’intervention des ouvriers dockers sur le domaine public portuaire. Cependant, à notre avis, cette proposition de loi part d’un constat incomplet de la situation. En effet, lorsque vous déclarez que, malgré la réforme du 9 juin 1992, les règles d’emploi des dockers restent adossées au statut de l’intermittence, vous oubliez de préciser que, dans les trois ports maritimes les plus importants – Le Havre, Marseille et Dunkerque –, seul le port de Marseille a encore, à ma connaissance, des dockers intermittents. Leur nombre global est inférieur à 6 % des effectifs de dockers travaillant dans les ports.
Ce texte fait également preuve d’un manque d’explications, car un nombre élevé de ces dockers intermittents, qui n’ont pas été mensualisés en 1992, sont restés à ce statut par leur volonté individuelle ou collective, puisqu’ils avaient la priorité absolue de mensualisation et que de très nombreux dockers ont été mensualisés dans tous les ports, notamment celui de Marseille. Ce refus de mensualisation, contraire à l’esprit du législateur, n’a pas remis en cause le maintien de la carte de docker professionnel intermittent.
C’est pour cette raison et parce que la loi de 1992 n’a pas été correctement appliquée partout qu’il reste effectivement, comme vous l’avez très bien décrit, monsieur le secrétaire d’État, quelques dockers professionnels intermittents dans les ports. Les dysfonctionnements sociaux dans quelques ports ne sauraient, pensons-nous, justifier une nouvelle loi. Il faut, au contraire, s’efforcer de faire en sorte que la loi de 1992 soit correctement appliquée. Par ailleurs, le texte que nous examinons met l’accent sur l’extension du droit à permettre à des industriels positionnés sur les ports de faire effectuer les opérations de manutention par leur personnel. Il est très important, au nom de la compétitivité française et de la nécessité de créer de nouvelles filières d’import-export en France, de garantir la liberté de l’opérateur ou de l’industriel de choisir son mode opérationnel.
L’Union européenne prépare, par ailleurs, un règlement qui devrait libéraliser l’activité portuaire et permettre aux opérateurs maritimes de développer l’auto-manutention. Par ce texte de loi, la France essaie, une fois de plus, de résister à une évolution inévitable, ce qui est regrettable. Les ports français souffrent, nous le savons, d’un déficit de pouvoir d’attraction : inférieurs en performance et en productivité à nos principaux concurrents, ils subissent des coûts d’immobilisation plus importants et un climat social qui a longtemps été dégradé. La Cour des comptes avait d’ailleurs épinglé, en 2011, les régimes de travail des dockers dans certains ports.
Le défi majeur que nous devons relever est la refondation du dialogue social. La réforme de l’organisation et du fonctionnement de nos ports est en effet avant tout une affaire d’hommes. Renforcer la compétitivité des sept principaux ports français était d’ailleurs l’objectif de la réforme portuaire engagée en 2008 et achevée lorsque j’étais ministre. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, d’avoir commencé par un constat que je crois honnête, puisque depuis 2012, comme vous l’avez reconnu, l’activité des ports est à nouveau en croissance. Certes, c’est le jeu de la majorité et de l’opposition, mais je me souviens des débats à l’époque dans cet hémicycle, où certains promettaient de remettre en cause cette loi en cas d’alternance. Celle-ci a eu lieu, et je constate que la loi n’a pas été remise en cause.
C’est une bonne chose, car ce type de loi a besoin d’un certain délai pour produire ses effets, et si, comme tout texte, elle est améliorable, son effet est plutôt globalement positif. Chacun a eu son lot, monsieur le secrétaire d’État ! Je me souviens d’être arrivé à la fonction qui est la vôtre aujourd’hui avec cinq semaines de grève dans les ports, ce qui a permis à cette loi d’aller jusqu’à son terme. Cela fait des souvenirs, quand on est ancien ministre.
La loi de 2008 avait pour objectif de moderniser la gouvernance des ports, d’instaurer une coordination interportuaire et de transférer des outillages des personnels de manutention portuaire au secteur privé.
La France est naturellement, par sa géographie, le deuxième espace maritime au monde et, par son histoire, une grande nation maritime. Mais j’ai la profonde conviction qu’elle ne redeviendra une véritable puissance maritime qu’à l’aide de la mobilisation de l’ensemble des acteurs concernés. Ce n’est que collectivement que cette ambition pourra être atteinte. On aurait donc pu s’attendre à un débat d’ensemble sur la compétitivité de nos ports, afin de réaliser un travail sur mesure, port par port, et non pas d’imposer un carcan qui s’appliquerait de façon indifférenciée à chacun. Le port de Roscoff, par exemple, avec onze dockers, ne traitant pas les conteneurs, ne peut pas relever de la même approche que celui du Havre avec ses deux mille dockers.
En conclusion, nous pensons que cette proposition de loi est au mieux inutile, au pire dangereuse, et qu’elle ne mérite ni excès d’honneur, ni excès d’indignité. S’il n’y a pas lieu de modifier la loi actuelle, ce texte risque de générer du conflit social en opposant les catégories de travailleurs entre elles, en multipliant des contentieux sans fin et des blocages de l’économie, en remettant en cause la logistique du transport. Nous pensons qu’il risque de provoquer des contraintes supplémentaires qui vont aggraver le déficit de compétitivité de nos ports vis-à-vis de leurs concurrents au lieu de le rééquilibrer. Nous aurions préféré, comme vous l’avez compris, un texte d’ensemble. Le rapporteur pour avis, mon ami Jibrayel, a évoqué la charte nationale. Nous l’attendons. Si elle avait été présentée en même temps que la proposition de loi, c’eût été une bonne démarche. Vous avez choisi un autre ordre de traitement des dossiers. Pour ces raisons, le groupe des Républicains ne soutiendra pas cette proposition de loi et s’abstiendra.