Intervention de Stéphane Claireaux

Séance en hémicycle du 25 juin 2015 à 21h30
Manutention dans les ports maritimes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Claireaux :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission du développement durable, monsieur le rapporteur, monsieur le rapport pour avis, mes chers collègues, la proposition de loi au sujet des dockers qui nous rassemble aujourd’hui est l’aboutissement d’un travail assidu et consensuel. Elle reprend les propositions du groupe de travail dirigé par Mme Martine Bonny, ancienne présidente du directoire des grands ports maritimes de Rouen et de Dunkerque. Toutes les parties prenantes de la manutention dans les ports maritimes y ont activement participé à la recherche de solutions pérennes, dans une volonté d’échanges féconds. Les députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste tiennent à saluer ce processus de concertation. C’est un bon exemple de démocratie participative, un bon exemple de consultation réussie, en préalable au processus législatif stricto sensu. Cela dit, aussi utile que fût cette consultation pour parvenir à transcrire dans la loi des équilibres parfois subtils et aussi précieux que puisse être un assentiment général pour bâtir un texte de loi efficace et pragmatique, le temps du Parlement est aujourd’hui venu. Si les députés du groupe RRDP sont partisans de l’écoute des corps intermédiaires et si, monsieur le secrétaire d’État, nous avons beaucoup d’affection pour la démocratie participative, nous conservons également un grand respect pour la légitimité de la démocratie représentative. Certes, nous devrions en repenser le modèle, j’en conviens volontiers, mais prenons garde à ne pas réduire l’examen au Parlement à une réunion supplémentaire du groupe de travail mis en place. C’est aux parlementaires qu’il revient désormais de fixer de façon définitive dans la législation les conditions d’emploi des dockers.

Le texte que nous allons examiner a trois objectifs : ajuster l’encadrement juridique de la manutention dans les ports au vieillissement des dockers qui ont encore le statut d’intermittent ; clarifier le champ d’intervention des dockers ; donner une traduction législative aux propositions émises par le consensus des parties prenantes.

Il ne s’agit pas de faire une législation d’exception pour une profession, mais bien d’adapter le droit à des conditions d’emploi spécifiques. Dans les ports, il existe une ressource humaine exerçant de nombreux métiers, opérant pour des employeurs et sous des statuts très variés. Ces métiers eux-mêmes ne sont pas toujours bien délimités et se transforment au gré des évolutions technologiques, économiques et juridiques. C’est le cas des dockers. Ce sont des ouvriers travaillant dans les ports de marchandises, chargés d’approvisionner les navires, de préparer le matériel nécessaire aux opérations de chargement, de guider les conducteurs et d’effectuer le déplacement des caisses et des colis. Ce métier requiert des compétences très particulières : un docker doit faire preuve d’une bonne résistance physique, d’une concentration et d’une précision élevées, de capacités techniques et mécaniques, mais aussi de ponctualité et de rapidité car certains chargements ou déchargements obéissent à des contraintes exigeantes en termes de délai. Ce n’est pas un hasard si dans l’immense majorité des pays du monde, y compris en France depuis l’Ancien Régime, il est régi par des normes spécifiques : l’enjeu est de bénéficier d’une main-d’oeuvre stable, avec une gestion adaptée aux fortes fluctuations de l’activité portuaire, soit de concilier les deux impératifs de stabilité et de flexibilité.

En France, aujourd’hui, le droit social applicable aux dockers ne résulte pas d’un dispositif unique. Il ressemble plutôt à une forme de syncrétisme, un enchevêtrement de statuts élaborés par des législations successives, d’époques et d’inspirations différentes. Les dispositions législatives relatives à la manutention portuaire ont connu un point d’ancrage avec la loi de 1947, qui crée une carte professionnelle et une gestion de l’intermittence et, en contrepartie de la fluctuation de l’activité, instaure une priorité d’embauche. Pour les périodes d’intense suractivité ponctuelle, les employeurs pouvaient recourir à des dockers occasionnels, c’est-à-dire non professionnels. Ces derniers avaient moins de contraintes, mais moins de garanties. Ainsi, pour les tâches à effectuer dans le port, il découlait de cette organisation que les dockers professionnels intermittents bénéficiaient d’une priorité d’emploi sur les dockers occasionnels, qui, eux-mêmes, bénéficiaient d’une priorité d’emploi sur les autres personnels.

Depuis 1947, l’évolution des méthodes de travail et la modernisation des techniques ont progressivement rendu désuète l’intermittence. Ainsi, il y a plus de vingt ans, en 1992, la loi Le Drian a encouragé la mensualisation avec la priorisation de l’emploi en CDI, laissant aux dockers préférant le régime de l’intermittence la possibilité de le conserver. Du fait des évolutions démographiques, il reste aujourd’hui moins de soixante-dix dockers intermittents en activité en France et ce régime est appelé à s’éteindre prochainement.

Mais le droit positif comporte aussi un certain nombre d’ambiguïtés, qui furent à l’origine d’un conflit qui a eu lieu en 2013 à Port-la-Nouvelle, à coté de Narbonne, dans la belle région chère aux radicaux qu’on pourrait appeler prochainement le Languedoc-Pyrénées. C’est à la suite de ce conflit que fut mis en place le groupe de travail avec les acteurs du secteur car il était nécessaire de clarifier et de conforter le statut social des dockers et leurs conditions d’emploi pour éliminer les ambiguïtés rédactionnelles, dans la perspective de la fin de l’intermittence.

Le texte que nous allons examiner va donc permettre la sécurisation juridique du régime de priorité d’embauche et la pérennisation de l’emploi des dockers professionnels. Le régime de priorité d’emploi des dockers est ainsi clarifié par la rédaction de l’article 3, qui dispose que les employeurs « recrutent en priorité les ouvriers dockers professionnels mensualisés parmi les ouvriers dockers professionnels intermittents, s’il en reste sur le port, puis parmi les ouvriers dockers occasionnels ».

De plus, le périmètre de la priorité d’emploi des dockers devait être clarifié en raison du maintien dans le cadre des transports des notions de poste public et de lien à usage public, pourtant devenues largement obsolètes. Deux principes doivent être retenus : premièrement, la priorité d’emploi doit être proportionnelle aux objectifs poursuivis de sécurité des biens et des personnes, et s’applique donc pour les travaux où les risques sont les plus importants ; deuxièmement, elle ne peut s’imposer aux titulaires de titres d’occupation domaniale comportant le bord à quai, le plus souvent des industriels dont les besoins de manutention sont liés à l’exploitation même de leur activité. Enfin, les différentes catégories de dockers sont redéfinies, en référence à la nature de la relation avec leur employeur, comme le précise l’article 3, alinéa 2 : « Les ouvriers dockers professionnels mensualisés sont les ouvriers qui, afin d’exercer les travaux de manutention portuaire […], concluent avec une entreprise ou avec un groupement d’entreprises un contrat de travail à durée indéterminée. »

Lors de l’examen en commission, quelques amendements rédactionnels ont été adoptés, ainsi qu’un amendement prévoyant la remise d’un rapport sur la mise en oeuvre de la charte nationale dans le domaine des relations sociales dans la manutention portuaire. Cette charte, prévue par l’article 6, constitue une innovation juridique et pratique. Si les rapports peuvent être parfois superfétatoires, celui-ci apparaît véritablement utile pour évaluer précisément et, si besoin est, pour améliorer la rédaction et le fonctionnement de la charte.

Au final, du fait des tensions et des relations sociales complexes qui peuvent exister dans certains ports, la présente proposition de loi nous semble équilibrée et elle apporte des garanties robustes pour apaiser le climat social et pour favoriser la compétitivité. En effet, plusieurs ports maritimes français souffrent de la crise économique. Les clarifications juridiques apportées par ce texte étaient donc nécessaires. Elles vont renforcer leur attractivité.

Pour conclure, je tiens à remercier, au nom du groupe RRDP, les auteurs et rapporteurs de la proposition de loi. Ils ont effectué un travail sérieux et solide, procédant à de nombreuses auditions : syndicats, représentants des entreprises de manutention et de transport de fret, autorités portuaires, hauts fonctionnaires chargés des questions portuaires. Il ne serait d’ailleurs peut-être pas totalement inutile de réfléchir à l’extension de cette méthode pour d’autres secteurs bien spécifiques ; le rapport sur la charte apportera probablement un éclairage sur ce point.

Dans ces conditions, monsieur le secrétaire d’État, sachez que vous pourrez compter sur le soutien des députés du groupe RRDP.

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