Intervention de Gabriel Serville

Séance en hémicycle du 25 juin 2015 à 21h30
Manutention dans les ports maritimes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGabriel Serville :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, chers collègues, la proposition de loi qui est soumise ce soir à notre examen s’inscrit dans la continuité des travaux conduits l’an dernier par le groupe de travail sur le régime d’emploi des ouvriers dockers, qui a rendu son rapport en décembre 2014. Ce rapport, établi par Mme Martine Bonny, présidente du groupe de travail et ancienne directrice des ports de Rouen et de Dunkerque, préconisait de clarifier la définition de la profession d’ouvrier docker et de définir un projet de charte nationale concernant les nouvelles implantations industrielles sur les places portuaires.

Le texte qui nous est proposé est la transposition des recommandations de ce rapport, dans lequel se sont pleinement investis non seulement les organisations professionnelles, mais aussi les représentants des ouvriers dockers salariés et intermittents.

L’objectif premier de ce texte est de lever les ambiguïtés législatives relatives à l’emploi des ouvriers dockers et de clarifier le périmètre de la priorité d’emploi des ouvriers dockers.

Actuellement, une ambiguïté subsiste en effet sur le champ d’activité auquel s’applique la priorité d’embauche des dockers, puisque les textes laissent entendre que cette priorité d’embauche ne s’appliquerait qu’aux ports maritimes où l’on trouve une main-d’oeuvre d’ouvriers dockers professionnels intermittents. Suivant l’interprétation que l’on donne de la loi, cela pourrait avoir pour effet de priver les dockers mensualisés et occasionnels de la priorité d’embauche dans les ports, de plus en plus nombreux, où n’existent plus d’ouvriers dockers intermittents. L’affaire de Port-la-Nouvelle a fait prendre conscience de la nécessité de lever cette ambiguïté.

Rappelons qu’en la circonstance, un des manutentionnaires locaux de ce port de l’Aude s’était délibérément affranchi des règles fixées par la loi de 1992 et par la convention collective nationale unifiée de 2011, arguant du fait qu’il n’y avait plus sur place d’ouvrier docker intermittent.

Nous ne pouvons que nous féliciter que le présent texte clarifie les choses en proposant une nouvelle rédaction du code des transports qui, d’une part, précise que « dans les ports maritimes de commerce, les travaux de manutention portuaire sont réalisés par des ouvriers dockers » et qui, d’autre part et surtout, fait obligation aux employeurs de recruter en priorité d’abord des ouvriers dockers intermittents s’il en reste, puis des ouvriers dockers occasionnels travaillant régulièrement sur le port.

Ce régime ne répond pas seulement aux objectifs de sécurité et de continuité des opérations de manutention ; il contribue aussi à faire mieux reconnaître et à mieux garantir le savoir-faire spécifique des ouvriers dockers. Ce savoir-faire est d’autant plus précieux que l’amélioration des conditions de chargement et de déchargement de cargaisons parfois dangereuses répond à une préoccupation d’intérêt général. Clarifier le statut des ouvriers dockers, c’est non seulement protéger les salariés, mais aussi préserver un savoir-faire et une technicité qui sont une composante essentielle de l’attractivité de nos places portuaires, à l’heure de la mondialisation et du dumping social. Désormais, sur le territoire national, aucune entreprise ne pourra se rattacher à un port pour charger ou décharger des navires sans respecter la convention collective qui fixe un cadre réglementaire précis.

Toutefois, une ambiguïté subsiste quant à l’esprit qui a guidé la rédaction de l’article 6 relatif au périmètre de la priorité d’emploi des dockers. En effet, conformément aux recommandations du groupe de travail, vous proposez de ne pas inclure dans le périmètre de la priorité d’emploi des dockers les entreprises titulaires de titres d’occupation domaniale comportant le bord à quai, renvoyant à une charte nationale qui sera conclue entre les organisations d’employeurs et les salariés du secteur de la manutention portuaire. Selon les signataires de la proposition de loi, cette charte sera destinée « à faciliter, au niveau local, les relations entre les parties prenantes dans un souci de développement équilibré du port et d’optimisation du service rendu aux utilisateurs. » Ainsi formulé, cet objectif semble louable, mais en réalité il s’agit surtout de laisser aux partenaires sociaux le soin de se mettre en conformité avec le cadre juridique européen ; or nous savons combien ce cadre impose à l’ensemble des activités économiques de se soumettre au principe de libre concurrence.

Aujourd’hui, la Commission européenne admet la reconnaissance d’un métier d’ouvrier docker, assise sur des considérations d’intérêt général liées à la sécurité des personnes et des biens. Elle admet également – ou plutôt, comme le dit notre rapporteur, « paraît admettre » – une priorité d’emploi des ouvriers dockers dans un champ d’intervention et un périmètre bien délimité et non extensif. Toutefois, elle insiste parallèlement sur les principes de libre concurrence, de liberté d’établissement et de libre prestation de services dans l’organisation de la manutention portuaire. Notre rapporteur nous rappelle ainsi que, l’an passé, la Commission a mis en demeure la Belgique et a introduit un recours en manquement contre l’Espagne, qui a abouti en décembre dernier. De toute évidence, le texte qui nous est proposé vise à épargner à la France les foudres de Bruxelles, tout en évitant de déclencher de violents mouvements sociaux – et c’est tant mieux.

Vous renvoyez aux partenaires sociaux le soin de trancher, mais de telle manière que des pressions seront certainement exercées par les employeurs sur les salariés afin de conformer la charte aux exigences de la libre concurrence. Nous ne pouvons nous satisfaire de cette solution en demi-teinte, qui renvoie à la négociation en plaçant, de fait, les salariés sous la contrainte des exigences européennes. Nous pensons que le Parlement devrait prendre toutes ses responsabilités s’agissant de la définition du cadre d’emploi des ouvriers dockers, non pour se soumettre aux desiderata de Bruxelles, mais au contraire pour engager un rapport de forces visant à faire pleinement reconnaître la spécificité de ce métier et ses exigences en matière de technicité et de qualification, de façon à éviter que, demain, des industriels ne soient autorisés à exercer leurs activités de manutention portuaire avec leur propre personnel, sans la moindre garantie. Les exigences en matière de sécurité des personnes et des biens ne peuvent être à géométrie variable et ne sauraient évoluer au gré des règles de la concurrence !

Nous serons bien entendu très vigilants, aussi bien sur les suites de ce texte que sur le devenir de la charte et la rédaction des décrets d’application. Nous formulons l’espoir que cette charte nationale soit équilibrée ; à ce titre, nous nous félicitons qu’un amendement adopté en commission nous permette de prendre date via la remise d’un rapport au Parlement.

Compte tenu des avancées indéniables que contient ce texte et du consensus dont il a fait jusqu’à présent l’objet, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera en faveur de la proposition de loi.

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