Intervention de Marie Ekeland

Réunion du 17 juin 2015 à 18h00
Commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique

Marie Ekeland, membre du CNNum, investisseur en capital-risque et coprésidente de France Digitale :

Le risque n'est pas rémunéré. À long terme, les placements en actions sont les plus rentables, mais ils ne sont jamais conseillés en raison des incitations fiscales, alors qu'ils devraient faire partie de n'importe quel produit d'épargne retraite de Français. Notre espoir d'une réorientation de l'épargne se fonde sur la faiblesse actuelle des rendements des produits d'assurance-vie en euros : pour améliorer leur rentabilité, les gérants vont devoir investir en actions. Cela étant, cet effet est conjoncturel et il ne tient pas à la politique d'orientation de l'épargne vers l'économie réelle : l'assurance-vie représente 1 400 milliards d'euros ; le plan d'épargne en actions – qui est investi à 98 % dans des entreprises du CAC 40 – pèse 118 milliards d'euros.

Deuxième problème : Solvabilité II, la réforme réglementaire européenne du monde de l'assurance, ne nous aide pas du tout, la crainte des faillites ayant fait monter les exigences en fonds propres au point de dissuader les investissements en actions. Soit ces règles sont changées, soit il faut permettre à des instruments d'épargne à long terme – fonds de pension ou autres – de se situer hors du cadre de Solvabilité II. Étant investisseur en capital-risque, je peux vous donner un exemple précis : les assureurs m'expliquent qu'ils doivent mobiliser 56 centimes d'euros en fonds propres pour tout euro investi dans mon fonds et que je dois donc leur apporter une rentabilité sur 1,56 euro.

Cela étant, nous devons tirer parti de la forte présence des banques : certes les entreprises doivent augmenter leurs fonds propres, mas il y a aussi une manière de mieux utiliser les produits de dette en les adaptant au monde actuel. Les banquiers et les entreprises du numérique doivent travailler ensemble pour changer les méthodes d'évaluation des risques afin qu'elles correspondent mieux à ce nouveau modèle économique.

En ce qui concerne le marché des capitaux, il faut prendre conscience du fait que 70 % des montants placés en capital-risque sont investis aux États-Unis. Actuellement, les marchés boursiers européens ne valorisent pas les entreprises du numérique d'une manière aussi généreuse que leurs homologues américains : les entreprises technologiques, même européennes, préfèrent donc aller se faire coter outre-Atlantique où les analystes et les investisseurs institutionnels comprennent leur modèle économique.

Les entreprises ont besoin d'avoir accès à une chaîne de financement complète dont l'existence dépend moins de la géographie que de critères comme l'attractivité et l'expertise. Autant il est sans intérêt de créer une bourse européenne, autant il est important de devenir un marché de référence dans un secteur donné. Si nous considérons que les objets connectés représentent l'avenir, essayons de mettre en place un écosystème européen constitué notamment d'analystes et d'investisseurs institutionnels spécialisés, pour que toutes les entreprises de ce secteur viennent s'y faire coter, qu'elles soient européennes, chinoises ou autres. La règle reste toujours la même : il faut être excellent et compétitif au niveau mondial.

Pour bâtir une pyramide très haute, il faut commencer par une base très large : or, en France, nous manquons aussi de business angels. Il faudrait trouver les moyens de restaurer ce maillon défaillant de la chaîne de financement.

Dans un écosystème qui fonctionne jusqu'au bout, il y a aussi beaucoup de rachats de petites entreprises par les plus grosses. Pour des entreprises de la taille d'un Google, les acquisitions sont une manière de créer et d'intégrer des innovations de rupture telles que celles créées par Android, YouTube ou DoubleClick. Quand on est gros, il est très dur d'innover en interne : toute l'entreprise est mobilisée à faire une seule chose très bien ; il n'est pas évident de décider que les meilleurs éléments vont se consacrer à des projets de rupture pour inventer le futur. Mis à part des groupes comme Apple, qui ont intégré ce genre de fonctionnement dès le départ, la plupart des acteurs mènent une politique d'acquisitions stratégiques : quand Facebook pense que le web devient image, il rachète Instagram pour un milliard de dollars. Les acteurs européens, qui ne raisonnent pas dans les mêmes termes, appliquent aux start-up les mêmes critères de valorisation qu'ils s'appliquent à eux-mêmes. Pour que les start-up européennes ne soient plus rachetées systématiquement par des entreprises américaines, il faudrait que les stratégies des grands groupes évoluent.

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