Intervention de Christophe Premat

Réunion du 24 juin 2015 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Premat :

Nous fêtons cette année les dix ans de la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, traité adopté puis ratifié par la plupart des États membres de la communauté internationale grâce à l'UNESCO dont le rapport rappelle la légitimité politique et l'expertise inégalée sur ces sujets. Cette année 2015 est une grande année pour l'UNESCO et tout ce que l'agence onusienne peut représenter puisque cette dernière célébrera ses soixante-dix printemps. Nous sommes donc fiers que notre commission des Affaires culturelles et de l'Éducation consacre à cette institution indispensable – et pourtant en péril faute de financements suffisants – un rapport spécifique afin de nous rappeler les besoins de construire des normes internationales ambitieuses pour la protection de la culture.

La Convention de l'UNESCO, en consacrant la double nature culturelle et économique des biens et services culturels et la spécificité de ces derniers pour affirmer le droit souverain des États d'élaborer des politiques culturelles, est aujourd'hui encore un point d'ancrage très important pour la défense d'une certaine exception culturelle, notamment dans le Traité transatlantique en cours de négociation entre l'Union européenne et les États-Unis. Vous rappelez dans votre rapport, monsieur le président, que l'intégration de la Convention dans l'ordre juridique européen permet la protection de la diversité culturelle dans les négociations commerciales internationales qu'elle conduit. C'est ainsi que le mandat de négociation confié à la Commission européenne par le Conseil européen a exclu l'audiovisuel du champ des négociations, comme le souhaitaient la France et le Parlement européen. Comme vous l'avez également souligné, il est indispensable de faire preuve d'une vigilance toute particulière quant à la définition des services culturels numériques, qui pourrait offrir l'occasion à certains de ses détracteurs de relancer les débats sur l'exception culturelle.

Trop souvent, nous nous gargarisons d'une exception culturelle française qui nous différencierait de nos autres partenaires. Celle-ci est pourtant défendue par la Convention de l'UNESCO, elle-même ratifiée par plus de 138 États à ce jour. C'est la preuve que, lorsque la France s'implique dans une négociation, qu'elle noue des partenariats fructueux avec ses alliés, elle est écoutée dans le monde et peut ainsi concilier ses propres intérêts avec ceux de l'ensemble de la communauté internationale.

La Convention pose deux grands principes chers à notre patrimoine culturel.

Le premier consiste en la reconnaissance du droit pour les États souverains de soutenir la culture et la création par des dispositifs nationaux de régulation et de financement. L'article 6 affirme ainsi le droit pour les États parties d'adopter des mesures destinées à protéger et à promouvoir la diversité des expressions culturelles au sein de leur territoire.

Le second réside dans l'affirmation de politiques de coopération et de solidarité internationales en matière culturelle avec les pays en développement. Deux outils sont prévus pour soutenir cette solidarité internationale en matière culturelle : l'établissement d'un Fonds international pour la diversité culturelle (FIDC), prévu à l'article 18, et la mise en place, à l'article 16, d'un dispositif de traitement préférentiel qui fait obligation aux pays développés de faciliter les échanges culturels avec les pays en développement. Cet article invite ainsi à tempérer la stricte application des règles de libre échange en favorisant certaines parties plus vulnérables que d'autres, en encourageant des dispositifs dérogatoires au principe de non-discrimination. La convention esquisse une forme de juste échange dans la coopération entre le Nord et le Sud et devrait servir de modèle à de nombreux autres accords commerciaux.

C'est sur ces deux grands principes que s'appuie la diversité culturelle, en permettant à tous les pays de contrôler leur production culturelle et d'éviter ainsi que ces biens soient livrés aux seules forces du marché. Sans reprendre les analyses des philosophes de l'école de Francfort sur la culture de masse, notamment celles de Theodor Adorno qui évoque « l'esprit qui ne peut survivre lorsqu'il est défini comme un bien culturel et destiné à des fins de consommation », le préambule de la Convention rappelle néanmoins que « les activités, bien et services culturels ont une double nature, économique et culturelle, parce qu'ils sont porteurs d'identités, de valeurs et de sens et qu'ils ne doivent donc pas être traités comme ayant exclusivement une valeur commerciale ».

Monsieur le président, vous avez brillamment rappelé comment la France et les pays francophones, le Canada français en tête, ont été les principaux artisans de cet accord construit autour de la notion d'exception culturelle dès les années 1990. Nous pouvons ainsi fièrement constater que les pays francophones ont su défendre une même position dans le cadre de cette Convention, qui doit servir d'exemple dans la construction d'une francophonie ambitieuse. Pour cela, il me paraît utile que la France renforce le FIDC avec les autres pays francophones du Nord afin de soutenir la création artistique des pays de l'espace francophone.

Pour toutes ces raisons, nous nous devons d'être les ardents défenseurs de cette convention et, plus généralement, de l'UNESCO elle-même car, en France comme en dehors de nos frontières, l'année 2015 sera une année capitale pour l'avenir de la diversité culturelle. Dès la rentrée, nous aurons en effet à examiner le projet de loi du quinquennat dédié à la culture dans un contexte ambivalent. D'un côté nous célébrons les dix ans de cette Convention fondatrice ainsi que les soixante-dix ans de l'institution qui en a permis l'adoption. De l'autre, nous devons faire face à de sérieux défis : le principe de diversité culturelle nous contraint à rester vigilants à l'égard du projet de directive européenne sur le marché unique numérique, qui pourrait consister à briser les barrières nationales en matière de réglementation du droit d'auteur et de la protection des données dans un sens qui ne serait pas favorable à cette diversité.

Pour toutes ces raisons, le groupe Socialiste, républicain et citoyen émet un avis très favorable à la publication de ce rapport.

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