Le décret portant sur le « fait maison » concerne avant tout les restaurateurs, mais la restauration est une filière dont les industries de l'agroalimentaire font partie intégrante. Il est donc légitime que nous relayions aussi les inquiétudes de nos entreprises.
Si nous ne remettons en cause ni le label ni l'objectif du législateur qui entend valoriser les savoir-faire gastronomiques de notre pays, nous regrettons que le décret soit aussi élitiste.
Le GéCo, membre de l'ANIA, réunit des industriels fabriquant et commercialisant des produits alimentaires en restauration, ce qui ne représente pas moins de 15 % du chiffre d'affaires de l'industrie. Les TPE-PME constituent 97 % des entreprises agroalimentaires françaises, dont 73 % sont des TPE. Le marché de la restauration est particulièrement adapté aux petites entreprises, du fait des volumes commercialisés. Le rapport de force est très différent de celui que l'on observe dans la grande distribution.
Depuis 1976, nous étudions et analysons le marché de la restauration pour les industriels. Nous pensons avoir une vision objective de son évolution et de sa situation économique. Contrairement à ce qu'a écrit la presse, notamment lors de la parution du premier décret, il n'y a pas lieu d'opposer de manière binaire les cuisines traditionnelle et industrielle. Il n'y a pas, d'un côté, des restaurateurs qui font du 100 % « fait maison » et de l'autre ceux qui se contentent d'ouvrir des sacs de produits tout faits : ceux-là représentent moins de 2 % de la profession.
Les restaurateurs ont le choix entre une multitude de process utilisant une part plus ou moins grande de produits agroalimentaires, dont l'utilisation répond à des impératifs de maîtrise des coûts, mais également de sécurité sanitaire. Dans les villes, où les cuisines sont très petites, le recours à certains produits élaborés compense le manque de surface, qui interdit de disposer d'une légumerie ou d'une pâtisserie. Il évite qu'on juxtapose des tâches sur des petites surfaces, alors que le côtoiement de produits bruts, voire terreux, et de produits propres présente de réels risques sanitaires. Ajoutons que le coût des mètres carrés nécessaires à la réalisation d'une légumerie ou d'une pâtisserie se répercute sur les charges, donc sur le prix de vente.
La restauration peine à recruter alors même que l'emploi s'est développé dans nos entreprises. Il serait intéressant, voire justifié d'alléger les charges de personnel sur les postes non qualifiés. L'épluchage de légumes ne représente pas de valeur pour un exploitant, qui préfère recourir aux légumes surgelés. Il y a un an, une étude a souligné que l'application du décret par l'ensemble des restaurateurs amputerait leurs marges déjà mises à mal. Depuis 2009, ils font face à une demande fuyante des consommateurs. De ce fait, ils ont dû contenir leurs prix, alors même que le coût salarial unitaire augmentait rapidement.
Certes, ce label s'adresse aux restaurateurs comme aux consommateurs, pour lesquels il faut rendre les process de cuisine plus transparents. Mais pourquoi ne pas rappeler que la restauration a évolué, comme d'autres secteurs – l'automobile, l'électronique –, ce qui l'a rendue accessible à tous et plus sûre en matière sanitaire ? Elle n'est plus la même qu'il y a trente ans.
Nos clients regrettent que le décret n'admette pas l'utilisation des légumes surgelés blanchis, alors même qu'il autorise le surgelé en tant que tel. C'est ce qui le rend très élitiste : peu de restaurateurs sont en mesure de l'appliquer à toutes leurs prestations.
Je rappelle que le blanchiment n'est ni une cuisson ni un chauffage, mais un traitement sanitaire tendant à stopper le développement enzymatique et bactérien des produits avant surgélation. Il vise donc, comme le décret, à améliorer la qualité sanitaire des produits. Seules quatre ou cinq références de légumes surgelés ne sont pas blanchies, ce qui signifie qu'au moins 90 % des légumes surgelés ne pourront pas être utilisés dans le « fait maison ».
La restauration commerciale souffre. En 2014, les dépenses totales des consommateurs n'ont progressé que de 0,1 % sur ce marché, alors même que la TVA a augmenté. Dans son ensemble, la restauration commerciale a perdu 5,5 points d'occasions de consommation en six ans, dont 8 % pour la restauration à table, la plus concernée par le décret sur le « fait maison ». Dans les cafés-bars-brasseries, la chute atteint 10 %.
Nous partageons l'inquiétude d'une partie de nos clients face à un consommateur de moins en moins régulier, attentif non seulement à la transparence et à la qualité, mais aussi au prix des plats. Le ticket moyen en restauration tourne autour de 15 euros, budget qui ne permet pas toujours de faire du tout-maison.
Le décret sur le « fait maison » n'est pas d'application obligatoire. La seconde rédaction interdira à la majorité des restaurateurs de le mettre en oeuvre, ce qui risque d'altérer l'image de la profession si personne ne fait oeuvre de pédagogie pour expliquer au consommateur que les métiers ont évolué et que l'utilisation de produits agroalimentaires n'est pas incompatible avec l'excellence.