Au cours des deux derniers mois, Jérôme Chartier et moi-même avons en effet travaillé sur l'application de la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires. Nous nous sommes permis de déborder le cadre de la mission : au-delà de l'analyse des décrets d'application, nous avons cherché à savoir ce que cette loi avait ou n'avait pas changé dans le système bancaire et financier français. C'est donc sous cet angle que je ferais quelques observations, qui seront complétées ensuite par Jérôme Chartier. Il s'agira de commentaires partiels : je vous renvoie, chers collègues, à notre rapport assez volumineux.
Nous avons mené de nombreuses auditions, et cela a été un choc, car nous nous sommes l'un et l'autre rendu compte que nous avions besoin de remettre nos connaissances à jour sur ces sujets : il y a deux ans, nous maîtrisions parfaitement le cadre de réflexion sur la régulation bancaire grâce aux travaux qui avaient été faits par notre commission, mais, depuis lors, beaucoup de choses se sont passées et de nombreux éléments ont changé, parfois du tout au tout.
Nous avons choisi de commencer notre rapport par un point sur le cadre européen. En effet, nous avions adopté la loi de séparation et de régulation des activités bancaires dans l'attente d'un texte européen. Ainsi, nous avions veillé à ce que le texte français soit, autant que faire se peut, compatible avec les discussions concernant la proposition de règlement élaborée in fine par le commissaire Michel Barnier. En outre, il s'inspirait de la directive concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, dite CRD IV.
Or, depuis lors, les discussions se sont enlisées au niveau européen, le blocage portant notamment sur la séparation des activités bancaires qui était au coeur de la proposition de M. Barnier. Celle-ci n'a pas été adoptée par la précédente Commission avant la fin de son mandat, et la nouvelle Commission travaille sur un texte qui s'en éloigne de plus en plus. Quant à la commission des Affaires économiques et monétaires du Parlement européen, elle n'a pas trouvé de compromis sur la base des propositions de son rapporteur, M. Gunnar Hökmark. Les derniers éléments dont nous disposons sont tous récents : selon l'accord obtenu lors du Conseil pour les Affaires économiques et financières – ECOFIN – de ce vendredi 19 juin, les dispositions du règlement – qui restent d'ailleurs à établir – ne s'appliqueraient plus qu'à quelques banques, au maximum huit, probablement plutôt quatre à six, pour l'essentiel françaises. En pratique, la plupart des établissements bancaires en seraient exemptés, ce qui est problématique.
Mes propos peuvent vous paraître vagues et provocateurs, mais, à ce stade, nous ne pouvons guère vous en dire plus sur l'avancée de la réflexion européenne concernant la réforme structurelle du secteur bancaire. Il est très difficile d'imaginer qu'un texte européen puisse être adopté dans les mois qui viennent. Dans ces conditions, la loi française, quelles que soient ses limites, est une des rares lois de régulation bancaire opérationnelles en Europe, les autres États membres, en particulier le Royaume-Uni, ne s'étant pas dotés à ce stade d'une législation aboutie en la matière. Telle est la première conclusion de notre rapport.
La loi que nous avons adoptée il y a deux ans contient des dispositions très diverses. J'évoquerai d'abord l'application du titre Ier, qui porte sur la filialisation de certaines activités bancaires. Notre commission puis notre Assemblée s'étaient mis d'accord sur le principe d'une filialisation obligatoire des activités de négociation pour compte propre, tout en donnant la possibilité au ministre de l'économie d'imposer, s'il le souhaitait, la filialisation des activités de tenue de marché à partir d'un certain pourcentage du produit net bancaire. Hormis l'arrêté fixant ce seuil, tous les textes d'application du titre Ier ont été pris. Ces textes ont notamment distingué de manière très fine ce qui relève des activités de négociation pour compte propre et ce qui relève des activités de tenue de marché. Il convient de saluer ce travail d'analyse très précis. Il en résulte que l'approche des activités de tenue de marché est beaucoup plus stricte que celle que nous avions imaginée il y a deux ans – nous avions eu alors de très longues discussions sur le point de savoir si ces activités devaient être filialisées ou non.
Toutefois, le bilan de l'application du titre Ier est décevant : il ressort des auditions que nous avons menées avec Jérôme Chartier que seules deux banques – BNP Paribas et Société générale – ont procédé à la filialisation prévue, dans les deux cas pour un volume d'activités très faible, inférieur à 1 % de leurs activités de marché. Les représentants de BNP Paribas nous ont précisé, de manière très transparente, qu'une trentaine de traders avaient été transférés au sein de la filiale. D'autre part, un certain nombre de banques ont renoncé à la filialisation et ont complètement cessé leurs activités de négociation pour compte propre.
Le titre IV de la loi porte sur la résolution bancaire, c'est-à-dire sur la réaction qu'il convient d'avoir dans le cas où une banque risque la faillite. Les mécanismes de résolution bancaire n'existaient pas en France avant l'adoption de la loi du 26 juillet 2013. Les auditions ont été passionnantes sur ce point. Nous avons constaté que le régime se mettait en place de manière très opérationnelle : les banques ont toutes transmis à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution – ACPR – un plan préventif de rétablissement ; l'ACPR les a examinés et a adressé en retour aux banques un certain nombre de demandes de modification. Même si ces documents ne sont pas encore définitifs, l'ACPR et les banques françaises ont déjà réalisé un travail très approfondi afin de s'assurer que, en cas de problème, le démantèlement rapide de la banque serait possible, en tout cas plus faisable que par le passé.
Par la loi du 26 juillet 2013, nous avions choisi d'obliger les établissements financiers français et les établissements européens opérant sur le sol français à publier la liste intégrale de leurs implantations à l'étranger, en précisant notamment leur chiffre d'affaires, leur bénéfice, le nombre de leurs salariés et le montant des impôts sur les bénéfices dont elles sont redevables. Il s'agit peut-être de l'élément le plus satisfaisant dans l'étude que nous avons menée depuis deux mois : si, en 2014, toutes les banques n'avaient pas publié ces données, tel a bien été le cas en 2015.
Nous avons appris beaucoup de choses, et les premières conclusions que nous pouvons tirer sont assez inquiétantes : il apparaît que la plupart des banques françaises restent très présentes dans les vingt-cinq pays non conformes au sens de l'Organisation de coopération et de développement économiques – OCDE. Elles peuvent donc encore permettre à certains de leurs clients, notamment à des entreprises dont elles gèrent les comptes, de « sortir » un certain nombre de profits, voire de pratiquer l'évasion fiscale. Je vous renvoie à cet égard au tableau de synthèse qui figure dans notre rapport.
Les informations étant désormais disponibles, il serait intéressant que la commission des Finances auditionne certaines banques pour essayer de comprendre les raisons de cette situation. D'autre part, nous recommandons dans notre rapport que la présentation de ces données soit uniformisée. À ce stade, les banques interprètent chacune à leur manière les dispositions de la loi et publient un peu ce qu'elles veulent.
Le bilan de l'application des dispositions que j'ai évoquées est en demi-teinte. D'une manière générale, les activités bancaires en tant que telles ont beaucoup évolué. Certaines banques ont abandonné des activités telles que la tenue de marché. Dans ce cas, nous n'en sommes plus à déterminer si telle ou telle activité est risquée ou non.
Ainsi que nous l'avons indiqué dans notre rapport, l'application progressive des ratios de Bâle III a des conséquences beaucoup plus importantes que celle de la loi du 26 juillet 2013 sur l'évolution de la gestion actif-passif (asset and liability management – ALM) pratiquée par les banques. Si l'entrée en vigueur des premiers ratios de liquidité et de solvabilité n'a pas bouleversé cette gestion, celle des ratios suivants, notamment du ratio de liquidité à un an (net stable funding ratio – NSFR), amènera probablement les banques à cesser un certain nombre d'activités de financement à court terme, notamment l'affacturage – factoring –, le crédit à l'exportation et la tenue de marché. Certaines banques françaises et étrangères ont d'ores et déjà annoncé l'arrêt de leurs activités de tenue de marché.
En définitive, le système bancaire sera plus solide et les risques seront moins élevés, mais nous devrons probablement avoir, dans les mois qui viennent, un débat sur le financement à court terme d'une partie de l'activité économique : certaines activités de financement ne devront-elles pas être assurées, en compensation, par d'autres acteurs ? Ou bien ne risquent-elles pas de se trouver transférées à des entités non régulées du système financier parallèle – shadow banking ?