S'agissant des points que vous avez évoqués, madame la présidente, je ne vais pas rouvrir le débat sur la question de savoir si nous avions les moyens d'exercer davantage d'influence au niveau européen ou, à l'inverse, de bloquer les discussions. En revanche, je souhaite apporter une information précise à la commission sur le texte issu du Conseil ECOFIN de vendredi dernier, qui est difficile à lire, pour ne pas dire opaque, et en partie contradictoire. Selon notre lecture – qui n'est pas celle de la Fédération bancaire française –, nous avons l'impression que les règles supplémentaires proposées à ce stade au niveau européen pour les quelques grandes banques systémiques ne dépassent pas le cadre de la loi française.
Toutefois, le texte est, selon moi, problématique dans la mesure où il exempte les banques anglaises ainsi que les banques d'investissement indépendantes – pure players – américaines. Il est donc déséquilibré quant à son champ géographique. On peut d'ailleurs s'interroger sur la logique d'un texte européen qui ne s'appliquerait qu'à certains États membres.
Nous verrons comment les choses vont se passer. Ainsi que l'a très bien dit Jérôme Chartier, nous entrons dans un processus difficile à prévoir : allons-nous retrouver un peu d'esprit européen, avec une unification des règles ? Si tel n'est pas le cas, quelle sera la position de la France ?
Vous avez abordé, monsieur Fauré, un sujet d'actualité, qui soulève moins la question de la régulation des activités bancaires que celle de l'impact de l'application des ratios prudentiels de Bâle III. Au moment où nous avons adopté la loi, deux ratios avaient été acceptés : un ratio de solvabilité et un ratio de liquidité à trois mois (liquidity coverage ratio – LCR). À l'époque, on jugeait que les banques françaises ne pourraient pas les atteindre. Or elles y sont parvenues, et cela s'est plutôt bien passé, de l'aveu même des banquiers que nous avons auditionnés : la maturité du passif des banques françaises est passée d'environ un mois et demi à trois mois sans trop de difficultés.
Un troisième ratio, le total loss-absorbing capacity – TLAC –, qui vise à limiter le risque systémique, est venu perturber les choses l'année dernière, même s'il n'est pas encore mis en place. Il soulève déjà la problématique d'un impact différencié sur les banques universelles et sur les autres banques.
Deux autres ratios prudentiels ne seront mis en oeuvre que l'année prochaine. Le premier est un ratio de levier, qui coûtera vraiment de l'argent : pour octroyer des crédits, quel qu'en soit le type, les banques devront bloquer une partie de leurs fonds propres. À ce stade, le niveau de ce ratio n'a pas encore été fixé par la Commission européenne. Les banques peuvent probablement accepter un matelas de sécurité – buffer – à 3 %, mais certains régulateurs plaident plutôt pour 4 ou 5 %, ce qui modifierait totalement la façon de gérer le système bancaire français.
Le second ratio est le ratio de liquidité à un an (NSFR) que j'ai mentionné précédemment : on exige que chaque opération à l'actif soit financée en partie par des liquidités non plus à trois mois, mais à un an. Dès lors, certaines opérations de crédit à moins de douze mois telles que l'affacturage risquent d'être fortement perturbées par la mise en oeuvre de ce ratio. Celui-ci a été calculé dans une logique macroéconomique qui n'est pas absurde : il s'agit de garder une partie du passif pendant au moins un an pour financer l'ensemble de l'actif, dont les éléments ont des maturités très différentes. Cependant, il peut poser un problème s'il est décliné pour chaque élément de l'actif.
C'est la mise en place de ces ratios successifs, notamment du TLAC, du ratio de levier et du NSFR, qui est en passe de modifier en profondeur le comportement de crédit des banques universelles européennes, notamment françaises. En réalité, un très petit nombre de banques sont concernées : les banques systémiques européennes, c'est-à-dire les grandes banques françaises, la Deutsche Bank et, peut-être, Unicredit, la principale banque italienne. Mais avec cette volonté de réduire l'effet de levier des banques, il existe un risque, à mon sens majeur, que certaines opérations de crédit ne basculent dans le champ non bancaire, par exemple assurantiel, voire dans le secteur non régulé – shadow banking.
J'invite notre commission à suivre ces sujets, qui seront probablement fortement débattus par la place financière dans les dix-huit mois qui viennent.