L'Assemblée nationale, comme le Sénat, n'a guère l'occasion de s'intéresser à la gouvernance de l'eau : elle débat, tous les six ans, des grandes orientations liées aux agences de l'eau, notamment des redevances, mais rarement des multiples sujets qui concernent la politique de l'eau. Celle-ci comporte pourtant des enjeux majeurs. L'eau n'est pas un bien comme les autres : indispensable à la vie, nécessaire à la quasi-totalité des usages économiques, c'est un bien commun qui doit pouvoir être utilisé par tous. Bien économique en raison de sa qualité, de sa rareté, de sa mise à disposition pour de multiples usages, elle représente une ressource qui doit être gérée sur le long terme. Il s'agit donc d'un véritable objet politique. Ce sont ces observations qui inspirent notre conception de l'intervention de la puissance publique dans ce domaine.
Si la ressource est unique, ses usages sont multiples. Les enjeux financiers liés à l'eau sont considérables : on parle d'environ 23 milliards d'euros de flux annuels, 17 milliards pour le petit cycle de l'eau, et 6 pour le grand cycle de l'eau. Par ailleurs, la valeur à neuf des réseaux se situe entre 330 et 340 milliards d'euros – une moitié pour l'eau potable, l'autre moitié pour l'assainissement.
Il est donc d'autant plus nécessaire de s'intéresser à la gouvernance de l'eau que la politique en ce domaine est aujourd'hui confrontée à de multiples enjeux : enjeux qualitatifs, de pollution diffuse, de pollution émergente, en particulier les micropolluants ; conflits d'usage ; enjeux quantitatifs ; enjeux liés au réchauffement climatique, comme les inondations, les sécheresses, etc. Le temps de l'eau facile est désormais révolu. L'eau est devenue fragile.
Notre politique de l'eau, inaugurée par la loi de 1964, a plus d'un demi-siècle. Ses points forts ressortent de nos évaluations et des rapports de la Cour des comptes ou du Conseil d'État : une gestion par bassin hydrographique ; une gouvernance décentralisée, participative, du niveau national avec le Comité national de l'eau (CNE), présidé par notre collègue Jean Launay, jusqu'au niveau local avec les commissions locales de l'eau (CLE) ; une planification des objectifs et des programmes d'action, schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) et schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (SAGE) ; la forte implication des collectivités locales, en particulier sur le petit cycle de l'eau, et la participation des usagers sous différentes formes ; des financements spécifiques par le biais des agences de l'eau et des redevances, et une ressource affectée définie dans un cadre pluriannuel ; des résultats positifs sur le petit cycle de l'eau, notamment l'alimentation en eau potable (99 % de la population est raccordée au réseau), sur la pollution ponctuelle, sur la connaissance des milieux, etc.
Mais cette politique a des points faibles : la multiplicité des acteurs, des responsabilités et des compétences ; le paysage administratif et organisationnel très morcelé (fonctionnement en silos, décloisonnement, pertes en ligne qui nuisent à l'efficacité de notre politique publique) ; la faible lisibilité du rôle de l'État et du Parlement (plusieurs ministères sont concernés par la politique de l'eau, qu'il s'agisse de l'économie, de l'agriculture, du tourisme, de la santé, de l'aménagement du territoire, etc.). Enfin, les résultats sont insuffisants s'agissant de la qualité de l'eau – eaux pluviales, assainissement non collectif, réseaux séparatifs et l'application des principes pollueur-payeur et de récupération des coûts est perfectible, comme le souligne un rapport récent du Conseil d'État sur les agences de l'eau.
Comment faire évoluer le système ? Il me semble que nous devons nous fixer une première orientation forte : c'est l'État qui doit être le véritable pilote de la politique de l'eau. Cela implique qu'il remplisse sa mission d'anticipation, qu'il organise le débat démocratique, qu'il fixe les objectifs et mette en oeuvre les moyens de les atteindre, assure ses missions régaliennes de police de l'eau, et donne à la puissance publique les moyens de la connaissance, de la recherche et de l'expertise.
S'agissant de la police de l'eau, la situation a évolué. On ne comptait pas moins de vingt-cinq polices de l'eau dans le domaine environnemental. Une circulaire de 2012, entrée en vigueur le 1er janvier 2013, a permis son harmonisation.
La connaissance des milieux est par ailleurs fondamentale. La production, le traitement et la fiabilité des données sont importants pour le rapportage européen dans la mesure où le droit de l'eau est communautaire à 80 % – directives européennes, directive-cadre sur l'eau (DCE), directive inondations, etc. Malheureusement, le système d'information de l'eau géré par l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) connaît de nombreuses défaillances, soulignées dans les rapports du Conseil d'État et de la Cour des comptes. Je précise que l'ONEMA va intégrer l'Agence française pour la biodiversité.
Un État qui pilote, c'est un État qui s'organise et se structure – police, recherche, innovation – et qui, en même temps, simplifie un paysage jusqu'à présent très morcelé. Sur ce plan, on peut dire que la situation a évolué : loi biodiversité ; loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM) de juin 2014, qui a créé la compétence GEMAPI (gestion de l'eau et des milieux aquatiques et prévention des inondations) pour le bloc intercommunal ; loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) qui prévoit la prise de compétences obligatoire par les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) en matière d'eau et d'assainissement. Ce sont des avancées importantes, et selon moi nécessaires, pour appréhender la politique de l'eau dans sa globalité, dans sa transversalité, de l'amont à l'aval, qu'il s'agisse du petit cycle ou du grand cycle. De fait, l'eau est affectée par toutes les autres politiques publiques - développement économique, transports, énergie, aménagement de l'espace, habitat –, lesquelles sont prises en charge par les collectivités territoriales et, en particulier, par les EPCI.
Deuxième orientation forte : la mobilisation des territoires, qui relève également de l'État. Le fait que l'on engage un nouvel acte de décentralisation donnant encore plus de responsabilités aux collectivités territoriales dans le domaine de l'eau va dans ce sens. Qu'il s'agisse de transition écologique, énergétique, de l'eau ou de bien d'autres domaines, les territoires sont l'échelon pertinent. Ils assurent la cohérence, la lisibilité, la réactivité, la proximité et l'appropriation, par tous les acteurs, des différents enjeux, et donc des différentes solutions.
L'ensemble de notre territoire repose sur un triptyque : la structuration autour des EPCI ; l'association de tous les acteurs au sein des CLE ; les SAGE, avec une programmation pluriannuelle des investissements. Je précise que la Bretagne est couverte à 100 %, et la France à 50 %, par ces outils.
Mais il y a d'autres enjeux importants à souligner. En ce qui concerne, d'abord, la démocratie de l'eau, Bernard Rousseau vous parlera sans doute de la création d'un quatrième collège au sein des comités de bassin : les usagers non professionnels doivent être davantage représentés et soutenus. Quant au financement, il faut reconnaître que, au plan national, les ressources diminuent, de même que la consommation, alors que les charges et les besoins financiers restent importants : il s'ensuit un considérable effet de ciseaux, qui affectera le court et le long terme. Nous devrons travailler sur le rapport entre les tarifs et la fiscalité. Actuellement, le financement de l'eau provient en totalité de la facture d'eau, et donc des usagers, par l'intermédiaire des factures et des mètres cubes consommés.