Intervention de Michel Lesage

Réunion du 24 juin 2015 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Lesage :

Plusieurs des questions posées avaient trait au petit cycle de l'eau, sur lequel des avancées considérables ont été accomplies : 99 % des Français sont raccordés à une eau potable de qualité, et la situation s'améliore constamment en ce qui concerne le réseau des stations d'épuration et le traitement des eaux résiduaires urbaines. Il convient de veiller au maintien en bon fonctionnement et au renouvellement des infrastructures et des réseaux. Je rappelle que 20 % en moyenne de l'eau potable – parfois bien plus – est gaspillée en raison de fuites sur les canalisations, ce qui représente une perte annuelle de 1,3 milliard de mètres cubes d'eau, soit environ 5 milliards d'euros.

Bien qu'elle n'ait pas été évoquée, la gestion des eaux pluviales constitue également un enjeu essentiel en termes de qualité de l'eau et de financement. Enfin, en matière d'assainissement collectif, de gros enjeux sont liés à l'absence de réseau séparatif dans nombre de villes.

Pour ce qui est du financement, notre modèle économique est menacé. Les recettes sont en régression, puisque la consommation d'eau diminue en moyenne de 2 % par an depuis vingt ans. Les coûts étant fixes, et les besoins de financement considérables, le modèle fondé sur des recettes provenant uniquement de la consommation d'eau n'est plus tenable : il faut donc que le Parlement se saisisse de la question du financement et détermine si un mode de financement mixte – associant d'une part la fiscalité, donc la solidarité, d'autre part le prix payé par les usagers sur la base du tarif voté par les collectivités locales – ne pourrait pas être retenu.

Dans nombre de pays, le financement de l'eau est assuré au moyen de la fiscalité, le montant de la redevance étant déterminé en fonction de la valeur locative de l'habitation – ce qui constitue d'ailleurs un moyen de traiter la question sociale que l'on peut juger plus avisé que celui consistant à se référer uniquement à la quantité d'eau consommée. Je précise que la fiscalité a, à mon sens, vocation à s'appliquer sur le grand cycle de l'eau, car il n'y a pas de raison que les problèmes de pollution ou d'inondations soient systématiquement mis à la charge des usagers concernés, alors que les causes de ces problèmes se situent souvent en amont des bassins-versants.

Lorsque j'ai rendu mon rapport, certains m'ont fait le reproche – entendu aujourd'hui encore – de faire preuve d'un certain jacobinisme, ce qui n'est en rien justifié. Lorsque j'étais président de la communauté d'agglomération de Saint-Brieuc, nous avons mis trois ans pour prendre la compétence « eau et assainissement » dans sa globalité, petit et grand cycles, et de l'amont à l'aval – y compris la replantation des haies de bocage et le traitement des algues vertes en baie de Saint-Brieuc. Par ailleurs, je rappelle que mon rapport était intitulé « Mobiliser les territoires pour reconquérir la qualité de l'eau » : il ne faut pas s'en tenir aux seules logiques descendantes – des institutions européennes aux citoyens consommateurs –, mais tenter d'instaurer également des logiques ascendantes. En ce sens, mobiliser les territoires est une condition essentielle à la réussite des politiques de l'eau.

Cela dit, on ne peut affirmer, comme l'ont fait certains, que l'État doit laisser les territoires se débrouiller seuls : en réalité, l'État a un rôle fondamental à jouer en matière de politique de l'eau, vis-à-vis de l'Europe, mais aussi dans le domaine de la police de l'eau, de la recherche ou de l'ingénierie publique – et, de ce point de vue, le rôle de l'État déconcentré au niveau des territoires est tout aussi fondamental, notamment en matière d'ingénierie publique. Je le répète, c'est à la fois la puissance publique de l'État et celle des collectivités territoriales qui doivent être mises en oeuvre.

Pour ce qui est des compétences, je suis tout à fait favorable à la compétence obligatoire affectée au bloc communal, donc aux EPCI à fiscalité propre. D'une part, nous avons déjà adopté ce principe dans le cadre de la loi MAPTAM, au profit des métropoles et des communautés urbaines ; d'autre part, cela permettra de rationaliser le dispositif, décrit tout à l'heure comme composé de 35 000 services publics de l'eau et de l'assainissement, de mutualiser et de développer de l'ingénierie locale, d'optimiser et de créer des synergies. Une telle démarche est fondamentale, tant la politique de l'eau est affectée par les autres politiques que nous menons transversalement, par le biais des EPCI, en matière d'aménagement du territoire, de développement économique et de logement.

Certains affirment que confier cette compétence aux EPCI équivaut à tirer un trait sur les cinquante années de politique de l'eau pratiquée par bassin-versant. En réalité, il n'en est rien : à partir des EPCI, on se structure en syndicats mixtes sur des bassins-versants pertinents qui vont porter des programmes d'action. Ainsi l'agglomération de Saint-Brieuc s'est-elle regroupée avec deux autres communautés de communes afin d'aborder la politique de l'eau à cette échelle pertinente qu'est le bassin-versant, déclinée ensuite sous différentes formes, notamment celle du SAGE. Je suis donc tout à fait favorable à l'idée de recourir aux EPCI, qui me paraît très cohérente.

L'année 2015 est une année exceptionnelle pour l'eau : après le Forum mondial de l'eau qui s'est tenu à Séoul, l'Assemblée générale des Nations unies déterminera, en septembre prochain, l'agenda et fixera des objectifs stratégiques dans le domaine du développement durable pour les quinze prochaines années. Présents lors du Forum mondial de l'eau, Jean Launay et moi-même avons émis des propositions afin que l'eau se trouve au coeur des objectifs que les Nations unies vont fixer prochainement et au centre du programme de la COP21 qui doit se tenir à Paris en fin d'année.

Six principes nous semblent devoir être retenus : permettre un accès universel et équitable de l'eau potable à un coût abordable pour les ménages sur le plan international ; assurer l'accès de tous dans des conditions équitables à des services d'assainissement et d'hygiène adéquats – ce qui est loin d'être acquis dans certaines régions du monde, notamment en Afrique ; améliorer la qualité de l'eau en réduisant la pollution, en diminuant de moitié la proportion d'eaux usées non traitées et en augmentant la proportion de recyclage et de réutilisation des eaux dans un contexte approprié ; accroître la productivité de l'eau – c'est-à-dire faire en sorte qu'une quantité d'eau donnée permette un usage plus important, notamment pour les besoins alimentaires ; mettre en oeuvre une gestion intégrée des ressources en eau à tous les niveaux ; enfin, protéger et restaurer les écosystèmes aquatiques, y compris les montagnes, les zones humides et les forêts. Il est important que ces grandes orientations, mises en oeuvre en France depuis longtemps et qui peuvent nous paraître banales, soient reprises dans les régions de la planète présentant un retard en la matière – et, de ce point de vue, notre pays doit donner l'exemple.

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