Intervention de Bernard Rousseau

Réunion du 24 juin 2015 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Bernard Rousseau, responsable des politiques « eau » de France Nature Environnement, FNE :

La plupart des questions posées portaient sur le petit cycle de l'eau. Il ne faut pourtant pas oublier que nous avons des obligations européennes, résultant notamment de la directive-cadre sur l'eau, qui fixe un objectif de bon état des eaux pour 2015, puis d'autres objectifs pour les années 2016 à 2021.

La première des causes nous empêchant d'atteindre l'objectif de bon état se trouve dans les atteintes à la continuité des cours d'eau, qui se répercute sur la vie des espèces aquatiques et la continuité sédimentaire. Cette cause résulte de ce que nous avons fait par le passé : il existe actuellement environ 70 000 ouvrages de toute nature sur les cours d'eau, qui constituent autant de solutions de continuité, donc d'obstacles potentiels pour les espèces migratrices, et peuvent contribuer à dégrader la qualité des eaux – comme on le sait, les eaux stagnantes se défendent moins bien contre les polluants.

La deuxième grande cause réside dans les pollutions diffuses, qui proviennent essentiellement des nitrates et des produits phytosanitaires – issus de l'industrie chimique, elle-même soumise à des règles pour le rejet de ses propres effluents, et ayant à s'acquitter de redevances auprès des agences de l'eau – et qui sont à l'origine d'une contamination chimique extrêmement importante.

Pour ce qui est des problèmes de continuité, on se heurte à des résistances d'ordre culturel – le poids du passé – ainsi qu'à la difficulté de trouver des maîtres d'ouvrage capables d'agir. Quant à la pollution diffuse, elle est le résultat d'une politique agricole pratiquée de longue date. La politique de l'eau ne saurait donc, à elle seule, résoudre ce problème : certes, elle comporte quelques mesures agroenvironnementales visant à réduire la pollution aux nitrates ou aux produits phytosanitaires, mais ces mesures sont très limitées et ne remettent absolument pas en cause notre modèle de production agricole.

Comme l'a dit Jean Launay, les prélèvements effectués par l'État sur les fonds de roulement des agences de l'eau constituent un véritable détournement du principe selon lequel « l'eau paie l'eau ». Si quelqu'un est d'accord pour payer une redevance à une agence de l'eau, c'est parce qu'il admet que son activité a pour effet de dégrader la qualité de l'eau ; dès lors, utiliser son argent pour tout autre chose que la préservation de l'eau n'a aucune justification au regard du principe « pollueur-payeur » – et le détournement va encore plus loin quand le Conseil des prélèvements obligatoires commence à s'intéresser aux redevances affectées.

La véritable signification du principe « pollueur-payeur », c'est que l'acteur paie en fonction de la dégradation dont il est responsable. Chaque industriel, chaque agriculteur paie en fonction de son activité, tandis qu'une tarification distincte s'applique aux usages domestiques et assimilés. Il n'est donc pas exact de dire que les usagers domestiques s'acquittent de 80 % du montant des redevances : en fait, cette proportion varie en fonction des bassins – ainsi, elle s'élève à 90 % dans le bassin Seine-Normandie, alors que l'on connaît le poids de l'industrie dans cette région. Cela soulève d'autres questions – notamment celle de l'impact des comités de bassin sur les décisions relatives à la redevance, ou encore celle des aides –, qui rejoignent les thématiques liées à la gouvernance.

Bien que je sois un militant associatif très attaché à la biodiversité sous toutes ses formes, je me pose quelques questions quand je vois inscrire dans la loi que les agences de l'eau vont pouvoir financer autre chose que l'eau : tant qu'il s'agit de préserver la biodiversité des milieux aquatiques ou humides, cela ne me pose pas de problème – ni même pour ce qui est de milieux marins, tant ils sont liés aux eaux douces qui s'y déversent –, mais, pour ce qui est de la biodiversité terrestre, je suis dubitatif. Au demeurant, le système des agences de l'eau fonctionne sur la base de redevances affectées, et la logique voudrait donc que l'on soit capable d'inventer des redevances affectées sur la biodiversité terrestre – si ce n'est que le Conseil des prélèvements obligatoires a un mot d'ordre, l'écrêtement des redevances, dont l'application se traduit par une réduction des moyens.

Je conclurai en soulignant un paradoxe : alors que l'on milite pour l'augmentation des moyens alloués aux agences de l'eau, la diminution des moyens de leurs partenaires – notamment les collectivités, les structures et les industriels – pourrait avoir pour conséquence l'impossibilité de mettre à profit les moyens supplémentaires des agences, à moins d'augmenter les taux des aides, par exemple. Comme on le voit, tout ce qui touche à la gouvernance de l'eau est très compliqué, et il est difficile de définir une solution définitive. J'ai chez moi des bibliothèques entières de rapports, dont certains remontent à un demi-siècle : on y disait déjà ce que l'on continue à dire aujourd'hui, ce qui est rien moins qu'inquiétant quant à notre capacité à obtenir des résultats dans ce domaine.

Ne perdons jamais de vue que l'eau potable dont nous disposons ne résulte pas du traitement de l'eau brute provenant des milieux naturels, mais du système de dépollution curatif très performant que nous avons mis en place, et qui coûte très cher. Pour vous répondre, monsieur le président, il serait effectivement logique d'instaurer une redevance sur les nitrates, compte tenu du fait que la France est située dans une zone vulnérable de ce point de vue – mais la question est posée depuis 2006 sans que l'on y ait apporté pour le moment de réponse satisfaisante.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion