Intervention de Elisabeth Pochon

Séance en hémicycle du 29 juin 2015 à 16h00
Réouverture exceptionnelle des délais d'inscription sur les listes électorales — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaElisabeth Pochon, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, à la suite de l’échec, le 10 juin dernier, de la commission mixte paritaire, nous examinons, en nouvelle lecture, la proposition de loi visant à la réouverture exceptionnelle des délais d’inscription sur les listes électorales.

Le texte adopté par le Sénat diverge à plusieurs égards de celui que nous avions adopté ici même en mars dernier. Mais, si la solution retenue par la seconde chambre diffère de celle à laquelle nous avions abouti, je me félicite que les deux assemblées partagent un objectif commun : adapter notre procédure d’inscription au report des élections régionales de mars à décembre prochain, et faciliter ainsi la participation du plus grand nombre à ce scrutin. Qui comprendrait en effet que notre démocratie organise des élections sur la base d’un corps électoral figé une année avant sa convocation ?

En première lecture, nous avions décidé de la réouverture exceptionnelle des délais d’inscription sur les listes électorales pour l’année 2015, afin de permettre à toutes les personnes qui s’inscriraient jusqu’au 30 septembre prochain de pouvoir participer aux élections régionales de décembre. À défaut, les listes servant à ces élections seraient celles établies le 1er mars 2015, issues des demandes d’inscription déposées avant le 31 décembre 2014. Vous savez tous que seuls quelques électeurs pourraient à titre exceptionnel s’inscrire après cette date, et au plus tard dix jours avant la date du premier tour du scrutin, en application de l’article L. 30 du code électoral.

Sont visés par cette inscription « hors période » : les agents publics et les militaires dont la situation professionnelle est modifiée en cours d’année ; les personnes qui changent de domicile pour un motif professionnel ; les jeunes Français n’ayant pas bénéficié de la procédure d’inscription d’office ; les personnes acquérant la nationalité française et naturalisées en cours d’année ; enfin, les Français recouvrant l’exercice du droit de vote dont ils avaient été privés par l’effet d’une décision de justice.

Le Sénat n’a pas retenu notre dispositif. Il a préféré assouplir les conditions d’inscription « hors période » et l’étendre à toutes les personnes qui déménagent, quel que soit le motif du déménagement et non plus seulement pour des raisons professionnelles conformément à l’article L. 30 actuel. À mon initiative, la commission des lois a rétabli la rédaction que nous avions adoptée en première lecture, prenant acte des insuffisances et des difficultés soulevées par le dispositif voté par le Sénat.

En voici les principales illustrations. Tout d’abord, la solution retenue par le Sénat est insatisfaisante en raison du périmètre des personnes qui pourront demander à être ajoutées sur les listes électorales. En généralisant les conditions d’inscription « hors période » à tous les motifs de déménagement, qu’ils soient professionnels ou personnels, la solution proposée par le Sénat ne règle qu’une partie du problème lié au report des prochaines élections régionales de mars à décembre. En effet, elle ne permet pas aux personnes qui auraient simplement oublié de s’inscrire à temps sur les listes de participer à ce scrutin. Elle fige donc la situation électorale des personnes qui ne remplissent aucune des conditions d’inscription « hors période », pratiquement un an avant le scrutin.

Par ailleurs, la disposition adoptée par le Sénat soulève de nombreuses difficultés opérationnelles liées aux modalités actuelles de révision des listes électorales. En période normale de révision, deux mois entiers sont laissés aux commissions administratives de révision, à l’INSEE et, le cas échéant, au juge, pour procéder aux inscriptions et aux radiations nécessaires, afin de vérifier la capacité électorale de la personne et de la radier, le cas échéant, de l’ancienne liste électorale. Hors période de révision, les délais pour réaliser ces opérations sont beaucoup plus contraints. Les demandes d’inscription déposées en application de l’article L. 30 doivent être déposées au plus tard dix jours avant le scrutin et sont examinées par les commissions administratives au plus tard cinq jours avant celui-ci, afin que puisse être publié le tableau de rectification dit « des cinq jours ».

Dans ces conditions, il n’est pas possible pour les commissions administratives d’échanger de façon satisfaisante avec l’INSEE à propos des inscriptions et des radiations ; elles ne peuvent qu’informer les communes des radiations afin qu’elles modifient en conséquence leur liste électorale. L’absence de coordination à l’échelle nationale concernant ces inscriptions et ces radiations est d’ailleurs à la source de discordances importantes entre le fichier général des électeurs détenu par l’INSEE et les listes communales, ce qui explique le nombre élevé de doubles inscriptions.

Ces dysfonctionnements, déjà réels aujourd’hui, se trouveraient amplifiés et aggravés si nous acceptions de généraliser les possibilités de s’inscrire hors période à toutes les personnes qui changent de commune, sans réserver le bénéfice de cette inscription à certains motifs précis. Nous porterions alors préjudice à la sécurité de la procédure de révision des listes électorales pour l’année 2015 et, en définitive, à la sincérité du processus électoral dans son ensemble.

En outre, le dispositif sénatorial ne manquerait pas de semer la confusion chez les électeurs qui ont changé ou vont changer de commune au cours de l’année 2015, en instaurant entre eux une distinction injustifiée en fonction du moment auquel ils auront déposé leur demande d’inscription. Les personnes ayant sollicité leur inscription après l’entrée en vigueur de cette mesure pourraient être inscrites hors période et voter aux élections régionales. En revanche, celles qui auront effectué cette démarche entre le 1er janvier 2015 et la date d’entrée en vigueur de cette disposition, ignorant par définition qu’elles pouvaient demander leur inscription « hors période », devront être inscrites sur les listes entrant en vigueur le 1er mars 2016, ou devront redemander leur inscription « hors période » pour pouvoir bénéficier de ce nouveau dispositif.

Enfin, la rédaction choisie par le Sénat conduit à pérenniser et à élargir les possibilités d’inscription « hors période », à rebours de l’évolution souhaitable des modalités d’inscription sur les listes électorales. Or, la mission d’information que j’ai conduite avec M. Jean-Luc Warsmann a conclu à la nécessité de renoncer au concept même de période de révision des listes électorales et d’imaginer une nouvelle procédure d’inscription adaptée au rythme démocratique, c’est-à-dire au calendrier et à la fréquence des scrutins, ainsi qu’à la mobilité résidentielle et professionnelle des électeurs. Pour ce faire, elle a proposé d’instaurer une révision permanente des listes et de rapprocher le plus possible le moment où les listes électorales sont considérées comme définitivement mises à jour et la date du scrutin.

Dans le même esprit, le Président de la République lui-même a formulé en octobre 2014 le souhait que les électeurs puissent s’inscrire sur les listes jusqu’à un mois avant la date du scrutin auquel ils souhaitent voter. C’est en ce sens que M. Jean-Luc Warsmann et moi-même travaillons, afin que ces propositions puissent être rapidement traduites dans notre droit électoral.

En conclusion, la rédaction adoptée par notre commission en nouvelle lecture me paraît constituer le meilleur équilibre entre, d’une part, l’exigence démocratique de participation du plus grand nombre aux élections et, d’autre part, l’impératif de sécurité juridique du processus électoral. Je vous invite donc à adopter cette proposition de loi.

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