Intervention de Marylise Lebranchu

Séance en hémicycle du 29 juin 2015 à 16h00
Nouvelle organisation territoriale de la république — Présentation

Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, il y a un an, j’entamais un tour de France pour aller à la rencontre des acteurs de terrain, élus locaux et agents publics, qui sont les moteurs de l’action publique territoriale. Il y a une semaine, j’ai achevé ce tour de France qui m’a conduite dans des métropoles, des petites villes rurales, des régions amenées à fusionner, dans des intercommunalités qui se développeront sur notre littoral ou encore dans nos montagnes.

En un an, j’ai pu avoir des échanges riches avec tous ceux qui font vivre nos territoires ; j’ai pu appréhender en détail les difficultés qui sont parfois les leurs. Mais j’ai aussi acquis une conviction : les territoires ne vont pas aussi mal qu’on peut parfois le dire au sein des assemblées de notre République, même si les inégalités restent lourdes.

Comme vous, j’ai vu des entreprises innovantes, des agents publics engagés, des associations créatrices de lien social, des formes nouvelles de solidarité se développer. J’ai vu des élus qui s’investissent sans relâche pour apporter les meilleurs services publics possibles à nos concitoyens et pour répondre aux besoins de leurs territoires.

Dans le Nord Pas-de-Calais, j’ai pu voir tout le potentiel qu’offrait la décentralisation des fonds européens en matière de coopération et de recherche sur les transports multimodaux, du fleuve à la mer, du rail à la route. En Normandie, j’ai mesuré l’importance donnée au nouveau rôle des régions en matière de formation professionnelle pour anticiper, par exemple, les besoins dans le domaine de l’énergie. À Dijon, Besançon et Dole, j’ai pu voir comment la seule perspective des rapprochements entre régions est déjà porteuse de dynamiques. À Bordeaux, Limoges et Angoulême, j’ai visité deux pôles d’innovation particulièrement actifs dans des secteurs d’avenir, deux pôles qui ont tout à gagner d’une clarification des actions de la puissance publique en matière de développement économique. En Auvergne, j’ai vu, au travers de la stratégie régionale 2030, ce qu’apporterait une planification renforcée dans le domaine de l’aménagement du territoire. En Bretagne, j’ai constaté l’importance du rôle que jouent et que pourront encore davantage jouer les régions dans la construction d’un équilibre ville-campagne.

À Nantes, j’ai vu, déjà, le potentiel qu’offrira une articulation concertée entre régions et métropoles. Je vous recommande à ce sujet le rapport de Pierre Cohen, ancien maire de Toulouse. À Blois, j’ai vu très concrètement les effets positifs de la mutualisation sur la qualité des services publics et l’efficacité de l’action sociale. À Mirepoix, j’ai pu constater que nombre de petites communes ont de grands projets pour leur territoire, mais ne peuvent les réaliser faute d’une ingénierie suffisante. À Lusignan, le maire m’a dit que pour cette même raison, le seuil de 20 000 habitants était l’ambition minimale pour donner aux plus petites communes la capacité de se développer. À Chambéry, j’ai pu rappeler aux élus la volonté qui était celle du Gouvernement d’adapter l’organisation territoriale à la diversité des territoires et de prendre en compte les spécificités de la montagne, dont nous avons ici d’éminents représentants. À Istres et à Marseille, j’ai vu une grande métropole euro-méditerranéenne en devenir, mais j’ai vu également les difficultés qui se sont accumulées faute de coopération entre les acteurs du territoire.

À Lyon, j’ai vu la mise en oeuvre d’une nouvelle collectivité territoriale qui permet de simplifier le paysage institutionnel et de créer de nouvelles synergies dans des domaines tels que le logement, le handicap ou la petite enfance. En Île-de-France, j’ai vu des territoires très riches à côté de territoires très pauvres qui ont besoin de se parler davantage et de se parler mieux. En Corse, enfin, j’ai vu la conviction chez les élus de tous bords de la nécessité d’une collectivité unique pour répondre aux problèmes d’emploi, de développement et d’aménagement.

La liste n’est pas exhaustive : à Annonay, nous avons depuis longtemps constaté que la mutualisation des services est une innovation qui nous vient des petites villes de France. Mais je m’arrêterai là. Mon propos était simplement de montrer que la France est diverse, et que c’est cela qui fait sa force.

Nos territoires regorgent d’atouts et de vitalité. Mais nous avons eu trop tendance à les enfermer dans des strates : les petites villes face aux grandes villes, les communes rurales contre les territoires urbains, la commune face à la menace de l’intercommunalité, les départements se défendant contre les régions ou, plus récemment, des maires ruraux se plaignant d’autres maires ruraux – et sans doute l’appréciation portée sur la loi par M. Pélissard n’est-elle pas à la hauteur des enjeux. Faisons-nous fausse route depuis vingt ans ? Peut-être, car ces oppositions grèvent les capacités d’action de nos élus locaux et entravent le potentiel de nos territoires. C’est pourquoi nous avons le devoir, par un travail commun, de garantir la coopération de toutes ces institutions, de faciliter leur collaboration pour assurer collectivement le développement harmonieux de nos territoires.

Chacun a sa place. Notre projet de loi la précise en respectant chaque collectivité de France. Car nous savons tous que sans cette armature territoriale, ce sont tous les services au public qui se trouveraient menacés. Notre ambition, c’est de donner aux élus des territoires la capacité de construire ensemble une vision d’avenir du territoire à trente ou cinquante ans. C’est ainsi que nous pourrons conduire une action publique au service de la vie quotidienne de l’ensemble de nos concitoyens.

Aux régions, nous donnons la capacité de porter le progrès et l’anticipation. Garantes de l’avenir de nos concitoyens et de nos territoires, elles permettront une meilleure répartition de l’activité ainsi qu’un développement plus équilibré et plus durable. Vendredi, à Rouen, j’ai pu évoquer au congrès de l’Association des régions de France – en dépit de la grande tristesse du moment où j’ai pris la parole, après des actes de barbarie qui nous ont réunis dans une même communauté de solidarité – les futures missions qui seront celles de nos régions : faire en sorte que ne se constituent pas en leur sein des isolats de prospérité et des territoires abandonnés ; accompagner nos entreprises, PME, ETI ou coopératives ; assurer l’avenir de notre jeunesse et accompagner les salariés ; garantir notre indépendance alimentaire et énergétique – grand enjeu du XXIe siècle – par une action renforcée des établissements publics fonciers régionaux, par exemple.

Les départements, eux, au travers de la création de la compétence d’ingénierie et de solidarité territoriale, apporteront assistance et soutien aux citoyens et aux territoires.

Nous avons fait le choix de conserver nos 36 000 communes, monsieur le président Pélissard. Ainsi, le bloc communal sera conforté par la montée en puissance des intercommunalités. Il pourra offrir de meilleurs services à l’ensemble des citoyens, et ce à l’échelle des bassins de vie, même si plusieurs opinions se confrontent et parfois s’affrontent au sein de l’Association des maires de France – n’est-ce-pas, monsieur le rapporteur ?

Cette nouvelle organisation territoriale, plus claire et davantage adaptée à la diversité des territoires de France, doit nous permettre de conduire une action publique territoriale qui réponde mieux aux besoins de l’ensemble de nos concitoyens, une action publique qui donne à tous un égal accès aux services publics essentiels et qui accompagne chacun dans son quotidien et dans ses projets de vie, de création ou d’emploi.

Pour conduire cette action publique renouvelée dans nos territoires, nous avons également besoin de nos élus locaux. Je souhaite aujourd’hui devant vous leur rendre hommage. Nous avons aussi besoin de nos agents publics, des agents publics engagés, qui servent chaque jour l’intérêt général, qui oeuvrent pour nous tous au quotidien et qui se sentent parfois un peu méprisés par l’opinion publique, ou plutôt l’opinion médiatique dominante. Nos élus et nos fonctionnaires territoriaux ont vraiment besoin du soutien de cette assemblée.

C’est aussi la raison pour laquelle la mise en oeuvre de la réforme doit reposer sur l’exemplarité de la puissance publique dans la conduite du changement et l’accompagnement de ses agents, la raison pour laquelle le projet de loi apporte des garanties quant à la situation personnelle de ceux pour qui la nouvelle organisation territoriale emporterait des conséquences – conservation de leurs emplois, de leurs niveaux de rémunération, de leur protection sociale complémentaire – et la raison pour laquelle il nous faudra aussi réaffirmer le sens de leur mission.

Avons-nous un accord avec le Sénat ? Je tiens d’abord, monsieur Dussopt, à saluer le remarquable travail conduit par les rapporteurs. Sur l’ensemble de ces points, nous travaillons depuis la première lecture à la « convergence heureuse » des points de vue. Ce travail doit se poursuivre. Cette lecture doit être l’occasion de mieux définir encore une organisation territoriale efficace, simple, mais ambitieuse et sans arrière-pensée.

Pour ce faire, il nous faut bien garder en tête les objectifs qui sont les nôtres : clarification, coopération, rationalisation ; et il nous faut les garder en tête sur un certain nombre de points essentiels dont nous allons débattre.

En matière de développement économique, par exemple, il est important de maintenir le caractère prescriptif du schéma régional de développement économique, qui permettra une véritable simplification et plus de coopération entre nos élus sur l’ensemble du territoire régional. C’est le cas y compris pour les aides à l’immobilier d’entreprise, qui sont certes des compétences des intercommunalités, mais qui doivent faire l’objet d’une réflexion partagée. Le but n’est pas de favoriser les délocalisations ou le déplacement d’activités, bien au contraire. D’ailleurs, contrairement à ce que certains prétendent, la prescription n’exclut pas le contrat quand il s’agit de concrétiser les actions sur le terrain.

Pour notre capitale nationale et métropole européenne, nous ne pouvons davantage reporter les choses, même s’il est possible d’organiser la progressivité de la montée en compétences. Cela fait trop longtemps que les habitants du Grand Paris attendent une organisation plus solidaire pour répondre à leurs besoins.

Notre métropole méditerranéenne, quant à elle, est d’ores et déjà « une métropole qui stimule, qui bouscule, qui ouvre des horizons ; une métropole […] qui tire son énergie du brassage des savoirs, des cultures ». C’est le Premier ministre, Manuel Valls, qui l’a souligné à l’issue du comité interministériel réuni à Marseille le 29 mai dernier. Sur ce territoire, l’économiste Christian Saint-Étienne – peu suspect de partialité sur un projet qui peut diviser élus et acteurs socio-économiques – rappelle, dans une étude qu’il vient juste de conduire, les enjeux pour la réussite économique du territoire d’Aix-Marseille-Provence. C’est par la modernisation des infrastructures de transport de l’aire métropolitaine et les investissements que nous pourrons rendre cette métropole attractive, nationalement comme internationalement. J’étais ce matin aux assises de la coopération décentralisée : nous avons beaucoup à faire avec le Sud.

Je sais que le développement des intercommunalités est parfois un sujet de crispation. Pourtant, c’est le sujet fondamental. J’en ai encore parlé, la semaine dernière, avec plus d’une centaine de maires ruraux : leurs doutes sont des marques de défiance, de méfiance. Pourtant, l’intercommunalité est la grande chance de nos communes ; c’est ce qui permet aux communes associées de faire plus, de faire mieux. Pour les plus petites communes, cela permet de disposer de plus grandes capacités financières et d’une meilleure ingénierie pour réaliser des projets au service des habitants.

L’intercommunalité permet de diffuser les services au public, de ne pas les réserver aux habitants des communes centres ou des communes riches. Et si nous confortons cet échelon, tout a été fait – notamment grâce aux travaux de l’Assemblée – pour reconnaître les efforts que viennent de fournir de nombreux élus ces dernières années, pour laisser du temps à l’harmonisation, et pour prendre en compte les spécificités territoriales. De ce point de vue, le travail de votre rapporteur et de la commission des lois a été remarquable.

Enfin, nous souhaitons rationaliser les syndicats, qui gèrent aujourd’hui des services essentiels pour le quotidien des citoyens. Le but n’est pas uniquement de rendre les périmètres pertinents du point de vue technique : il n’est plus possible que les communes appartiennent, en moyenne, à quatre syndicats ! Il faut regrouper les fonctions supports. N’oublions pas, à ce titre, que la rationalisation de la carte de 2010 a abouti à une baisse de seulement 9 % du nombre de syndicats : 13 400 syndicats de communes subsistent à jour, dont 5 081 ont un périmètre d’action inférieur au périmètre de l’intercommunalité couvrant leur territoire.

Si nous souhaitons encourager l’exercice de certaines compétences à une échelle minimale intercommunale, c’est que cela permettra bien souvent de donner davantage de moyens pour les exercer. Ces compétences pourront ainsi être exercées à un niveau qui permet davantage d’économies d’échelle, et les structures qui en ont la responsabilité disposeront des ressources financières et des compétences techniques nécessaires pour assumer les investissements significatifs à réaliser dans les prochaines années.

Dans le cas du transfert des compétences relatives à l’eau et à l’assainissement aux établissements publics de coopération intercommunale – EPCI – rien ne nous oblige à revoir les modes de gestion actuels, ce qui suscite, comme vous le savez, beaucoup de craintes. La seule obligation du transfert conduit à harmoniser les prix. L’EPCI se tournera ainsi vers le mode de gestion optimal, le plus intéressant pour le citoyen. Dans ce contexte, les régies, bien souvent moins onéreuses que les services délégués, devraient en profiter mais je sais que cette question sera longuement débattue.

Mesdames et messieurs les députés, nous avons déjà eu sur ce texte de longues heures de débat, et nous allons cette semaine en avoir encore davantage. Ces débats sont souvent techniques, et se prolongent souvent tard dans la nuit : je salue, à cet égard, votre grande implication. Cependant, cette technicité ne doit pas nous détourner de notre objectif commun : rendre l’organisation de la vie quotidienne plus facile dans tous les territoires de France, sans devoir y revenir, législature après législature, avec de nouvelles lois. Il faut éviter les procès d’intention, j’en parlais tout à l’heure avec l’un d’entre vous.

Il s’agit, en somme, de faire en sorte que les Français vivent mieux, de faire en sorte que plus aucun d’entre eux ne se sente abandonné, et que tous retrouvent la fierté de leur pays. C’est notre obligation à nous, c’est celle de l’État, c’est votre obligation quotidienne à vous tous. Je vous remercie d’y accorder autant de temps et d’importance.

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