Intervention de Marc Dolez

Séance en hémicycle du 29 juin 2015 à 16h00
Nouvelle organisation territoriale de la république — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarc Dolez :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État à la réforme territoriale, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, alors que nous entamons la deuxième lecture de ce projet de loi, le mécontentement des élus locaux ne cesse de croître.

Mercredi dernier, devant l’Assemblée nationale, l’Association des maires ruraux a rassemblé plus de cinq cent de ces derniers, venus de toute la France, pour manifester leur opposition à « l’anéantissement du niveau de proximité préféré des Français, la commune. »

De leur côté, l’Association des maires de France et de nombreuses autres associations d’élus ont exprimé clairement l’incompréhension, l’inquiétude, voire la colère des élus locaux devant la baisse injuste et insoutenable des dotations de l’État, le retrait de celui-ci dans les territoires ruraux et la disparition des services publics.

Exaspération et résignation dont, pour ma part, j’ai constaté l’ampleur lors du récent congrès des maires du Nord. Non, madame la ministre, nous ne pouvons pas partager l’appréciation presque idyllique, pour ne pas dire surréaliste, que vous rapportez de votre tour de France.

À vrai dire, votre réforme ne trompe personne. Le bouleversement des institutions locales et l’assèchement de leurs ressources financières ne portent aucunement l’ambition d’améliorer l’action publique au service des citoyens. Ce chambardement n’a en réalité qu’un objectif : réduire l’action publique locale dans la perspective de dégager des économies comptables. Mais là aussi, personne n’est dupe. Comme le démontrent plusieurs études, les économies promises sont irréalistes et ne peuvent que se traduire par des restrictions budgétaires sur les services à la population.

Nous le disons depuis le début, le bouleversement sans précédent qui se dessine conduira inévitablement à l’élargissement de la fracture territoriale, à l’augmentation des inégalités et à la remise en cause des principes constitutionnels d’unité et d’indivisibilité de la République.

Nous avions souligné, il y a quelques mois, l’incohérence qui consistait à déterminer l’espace des régions sans avoir examiné, au préalable, leurs fonctions et compétences. Il nous paraît aujourd’hui tout aussi incohérent de définir la réorganisation des compétences des collectivités territoriales sans se préoccuper des ressources dont elles disposeront, d’autant que les collectivités subissent une restriction drastique de leurs dotations.

Cette situation est d’autant plus préoccupante que le Gouvernement se refuse à en prendre l’exacte mesure, alors que selon l’AMF, près de 2 000 communes sont déjà dans le rouge et en cessation de paiement et que l’investissement public, porté à 70 % par les collectivités territoriales, s’effondre, ayant diminué de 9 milliards d’euros entre 2013 et 2015.

Autant le dire tout de suite, notre opposition à votre projet de loi est tout aussi déterminée qu’en première lecture. Elle s’est même renforcée devant l’inflexibilité dont la majorité a fait preuve en commission pour refuser les quelques amendements du Sénat qui permettaient de préserver un peu mieux la place de la commune et du département dans l’architecture territoriale.

Chacun l’a maintenant bien compris, presque sur tous nos bancs, la réforme conduira inéluctablement à leur disparition à plus ou moins long terme. Comment interpréter autrement le rétablissement, à l’article 15 ter B, de l’exigence d’une majorité qualifiée des communes membres d’un EPCI pour renoncer à l’élaboration d’un plan local d’urbanisme, et ce contre l’avis du rapporteur, dont il faut saluer la sagesse sur ce point ?

Comment interpréter autrement, à l’article 14, le rétablissement à 20 000 habitants du seuil minimal de constitution d’un EPCI ? Ce seuil est irréaliste et arbitraire : cette aberration, critiquée de toutes parts, est une mesure déconnectée des réalités du terrain.

Avant d’aborder la discussion des différents articles de ce projet de loi, je ne ferai ici que rappeler les principales raisons de notre opposition à ce texte et à l’ensemble de la réforme territoriale en cours.

D’abord, nous contestons absolument la suppression de la clause de compétence générale, alors qu’elle avait été rétablie par la loi MAPTAM de 2014. Cette suppression pose une question de fond touchant à la nature même de notre démocratie locale. Il est en effet significatif que la compétence générale ait été accordée aux communes dès la loi municipale fondatrice de 1884, et qu’elle ait été accordée aux départements et régions par la loi, elle aussi fondatrice, de 1982. La première conséquence de ce projet de loi est bien de détricoter ces deux grandes lois de la République.

Pour reprendre l’analyse du sénateur Pierre-Yves Collombat, c’est la preuve que la réforme proposée n’a « rien à voir avec le processus de décentralisation mais tout avec l’idéologie managériale qui assimile les collectivités à des sortes d’entreprises pourvoyeuses de services et refuse de voir en elles des entités politiques, des centres de décisions collectives et des lieux de participation civique. Pour cette idéologie, la régression démocratique est au contraire un gage d’efficacité gestionnaire. »

Les mots sont durs, mais tellement justes s’agissant d’une réforme qui s’inscrit dans la lignée de celle de 2010 et programme la disparition des collectivités territoriales de proximité. En effet, ce projet de loi poursuit la concentration des pouvoirs locaux aux niveaux régional et intercommunal, réduit les compétences des départements et les place de fait sous la tutelle des régions dans un grand nombre de domaines.

Se dessine ainsi, progressivement, une République quasi fédérale intégrée à une Europe supranationale, avec un État recentré sur ses seules missions régaliennes, avec des départements écartelés entre les métropoles et les régions, et avec des communes qui s’effacent au profit des intercommunalités, transformées peu à peu en collectivités de plein exercice et dont l’élection au suffrage universel direct serait, hélas, le couronnement. Que restera-t-il alors des départements et des communes, dont la libre administration est garantie par la Constitution ? Des coquilles vides, sans pouvoirs ni moyens financiers.

Enfin, nous sommes particulièrement inquiets des conséquences de la réforme sur l’organisation et les conditions de travail des fonctionnaires et agents publics territoriaux, car la mobilité et la flexibilité à grande échelle des personnels territoriaux se trouvent ici confortées, en dehors de tout processus de négociation réel.

Pour conclure, les dispositions de ce texte sont l’expression d’orientations profondément libérales visant à accroître sans cesse la concurrence entre les territoires et que, pour notre part, nous récusons totalement. Notre vision de l’avenir est celle d’une France disposant de milliers de foyers démocratiques, ancrée dans tous ses territoires et enracinée dans son histoire. Nous voulons une République au plus près des citoyens, en milieu rural comme en milieu urbain, pour développer les services publics locaux, améliorer les conditions de vie de chacun et favoriser le vivre ensemble.

Pour toutes ces raisons, et parce qu’ils ne se résigneront jamais à la mise à mal des libertés locales, les députés du Front de gauche voteront, une nouvelle fois, résolument contre ce projet de loi.

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