Intervention de Jean-Frédéric Poisson

Réunion du 17 juillet 2012 à 17h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Frédéric Poisson :

M. Tourret a regretté avec raison que le texte ne permette pas de dégager une définition générale du harcèlement sous ses deux espèces : sexuelle et morale. Une telle définition aurait d'autant plus de pertinence que tous les éléments permettant de l'adopter sont déjà dans le texte. Ce n'est qu'une simple question d'agencement. Toutefois, le délai imparti à l'examen du projet de loi ne nous a pas permis d'aller au fond de la question. Je tiens à cette occasion à remercier Mme la rapporteure d'avoir bien voulu mettre à notre disposition à la fin de la semaine dernière une première version de son rapport.

Je citerai un autre adage, français celui-là : « Le mieux est l'ennemi du bien. » M. Fenech a eu raison de souligner qu'à vouloir entrer trop précisément dans le détail des situations, des appréciations ou des qualifications, on risque de lier le juge ou de restreindre la portée de ses décisions. En effet, une liste ne peut jamais être exhaustive, ce qui explique du reste la profusion de l'adverbe « notamment » dans certains textes, en vue de prémunir contre la diversité de la vie. C'est pourquoi, à l'article 1er du projet de loi, la qualification de la situation comme « intimidante, hostile ou offensante » me paraît, à moi aussi, grosse d'incertitude – nous aurons l'occasion d'y revenir lors de l'examen des articles.

Ma remarque vaut également pour la mention dans le texte de « toute autre forme de pression grave » – la loi de bioéthique adoptée en 1994 évoquait de même des maladies « d'une exceptionnelle gravité ». Autant je comprends l'intention qui préside à cette rédaction, autant considérer la contrainte ou l'ordre donné comme une pression grave en elle-même me paraît délicat, surtout si le texte vise également les relations de travail. Le projet doit donc être précisé. De plus, il est difficile d'évaluer une pression : à partir de quel moment peut-elle être considérée comme grave ? Où placer le curseur ?

De même, si je comprends les raisons qui militent en faveur de l'introduction de la vulnérabilité sociale comme circonstance aggravante, on ne doit pas considérer comme répréhensible uniquement le fait de profiter d'une telle situation, mais le simple fait que la personne qui subit le harcèlement soit dans une situation de vulnérabilité, que l'auteur du harcèlement veuille ou non en profiter – j'ai déposé un amendement à ce propos.

Tous ces éléments subjectifs me paraissent faire difficulté.

En outre, la limitation de la circonstance aggravante au mineur de quinze ans me paraît insuffisante. Aux raisons que vous avez déjà données, madame la garde des Sceaux, j'ajouterai le fait que l'immense majorité des mineurs qui sont dans une relation de travail en entreprise ont plus de quinze ans. Il faut relever la limite d'âge : j'ai également déposé un amendement en ce sens.

Mme Neuville a évoqué l'apport de preuves que pourraient constituer, notamment, des arrêts de travail concomitants aux faits reprochés. J'appelle votre attention sur la difficulté à établir le lien de causalité dans ce genre de situation. Sous la précédente législature, Marisol Touraine et moi-même avons conduit, au sein de la commission des Affaires sociales, un travail sur la prévention des risques psychosociaux : nous nous sommes alors heurtés à la difficulté d'établir de manière certaine le lien de causalité entre une situation de pression et des troubles à caractère psychologique ou médical chez les personnes qui la subissent. En matière pénale, il convient de s'entourer de toutes les précautions.

Enfin, ne pourrait-on faire bénéficier les auteurs de harcèlement, sexuel ou moral, d'un suivi psychologique ? Le fait d'asseoir sa domination sur le harcèlement, avec tout ce que celui-ci suppose de cruauté, de vice et de négation des rapports normaux entre les personnes, justifie à mes yeux une telle mesure, à condition toutefois de la réserver aux faits les plus graves.

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