Intervention de Philip Cordery

Réunion du 17 juin 2015 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilip Cordery, rapporteur :

Madame la présidente, mes chers collègues, nous sommes saisis d'un accord entre la France et la Belgique relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière, signé à Tournai le 18 mars 2013. Une fois qu'il sera entré en vigueur, ce texte remplacera et abrogera un précédent accord avec la Belgique, signé le 5 mars 2001. Je commencerai par vous présenter le cadre actuel de la coopération avec notre voisin belge, puis les raisons qui ont conduit à négocier un nouvel accord, avant d'exposer les principales avancées qui sont attendues de ce texte.

La coopération transfrontalière entre la France et la Belgique repose aujourd'hui sur deux piliers principaux, qui ont été mis en place par l'accord de Tournai de 2001 : d'une part, un centre de coopération policière et douanière (CCPD), installé à Tournai ; d'autre part, le développement d'une coopération directe entre les services, y compris au niveau des unités opérationnelles.

Le CCPD de Tournai fonctionne comme un service d'échanges d'informations et de coordination dans la zone frontalière, sans avoir vocation à effectuer de manière autonome des interventions à caractère opérationnel. Le CCPD contribue par ailleurs à la préparation et à l'exécution des opérations de remise d'étrangers en situation irrégulière, à l'aide à la préparation et au soutien des observations et des poursuites transfrontalières prévues dans le cadre de la convention d'application de l'accord de Schengen, ainsi qu'à la coordination de mesures conjointes de surveillance.

Le centre fonctionne 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. Les effectifs déployés à Tournai sont au nombre de 43, dont 28 fonctionnaires français et 15 agents belges. Un renfort de deux agents belges supplémentaires a été décidé en 2013, mais cette mesure reste à mettre en oeuvre. En ce qui concerne l'activité du CCPD, la répartition des saisines entre la France et la Belgique tend à s'équilibrer, alors que les saisines étaient aux deux tiers d'origine belge en 2013. Elles concernent pour l'essentiel les infractions contre les biens, les infractions routières et les stupéfiants.

Outre la création du CCPD de Tournai, l'accord de mars 2001 a consacré la possibilité d'une coopération directe entre les services – police nationale, gendarmerie nationale et douane pour la partie française ; police locale, police fédérale, administration des douanes et accises pour la partie belge.

L'accord prévoit notamment des contacts périodiques, le détachement réciproque d'agents de liaison, ainsi que des consultations régulières pour élaborer et mettre à jour des schémas d'intervention commune de part et d'autre de la frontière, pour mettre au point des plans de recherche, pour organiser des patrouilles mixtes, de même que pour programmer des exercices frontaliers communs.

Le premier accord de Tournai a été complété par un échange de lettres signées à Paris et à Bruxelles le 10 juin 2002 pour la mise en oeuvre des patrouilles mixtes transfrontalières. Cet échange de lettres autorise les agents concernés, tant français que belges, à porter leur uniforme national ainsi que leurs armes de service et à en faire usage en cas de légitime défense.

L'utilité d'un cadre rénové pour la coopération transfrontalière entre la France et la Belgique s'est imposée au regard de deux évolutions distinctes.

La première évolution est la perception d'un regain de délinquance en zone frontalière durant la période 2010-2012, avec un certain nombre de faits divers qui ont particulièrement frappé l'opinion publique et les acteurs locaux, en particulier dans la zone frontalière autour de Lille, Courtrai et Tournai.

Une deuxième raison qui a poussé à adapter et à renforcer le cadre juridique établi en 2001 est le développement, depuis une dizaine d'années, de nouveaux outils juridiques, plus ambitieux, dans le cadre d'autres accords de coopération transfrontalière en matière policière et douanière, signés plus récemment que l'accord de 2001 avec la Belgique, mais aussi dans le cadre de l'Union européenne. Sur ce point, permettez-moi de vous renvoyer à mon rapport écrit.

L'accord qui nous est soumis a été négocié en quelques mois, à la suite d'une rencontre à Paris, le 5 septembre 2012, entre Manuel Valls, alors ministre de l'intérieur, et Joëlle Milquet, qui était vice-première ministre belge et ministre de l'intérieur. Le nouvel accord a finalement été signé à Tournai le 18 mars 2013 par ces deux mêmes ministres.

Il s'inscrit dans le cadre plus large d'un plan d'action qui a été approuvé le même jour et dont la mise en oeuvre devait permettre de renforcer la coopération dans la zone frontalière en attendant la ratification du nouvel accord de Tournai.

En termes de volume de projets, 75 % des mesures envisagées dans le cadre de ce plan d'action ont été réalisés, en particulier l'analyse de la délinquance transfrontalière dans quatre bassins traversant la frontière, au moyen d'un suivi mensuel, le développement des patrouilles mixtes, la promotion de la coopération directe, le développement de doctrines communes de gestion des incidents, ou encore la mise en place de colloques sur des problématiques communes, telles que la lecture automatisée des plaques d'immatriculation.

J'en viens aux stipulations les plus significatives du nouvel accord qui nous est soumis. Il comporte plusieurs avancées importantes qui devraient permettre de renforcer le centre de coopération policière et douanière de Tournai, de développer davantage la coopération directe dans la zone de compétence commune, notamment les patrouilles mixtes, et d'améliorer les capacités opérationnelles des services et unités concernés.

En ce qui concerne le centre de Tournai, son implantation est confirmée, même si la porte n'est pas fermée à la création d'autres CCPD franco-belges, ni à la modification de leur localisation par la voie d'accords d'exécution ou d'arrangements techniques. A ce stade, l'évaluation des besoins n'a pas conduit à remettre en cause le dispositif actuel, qui repose sur deux centres, celui de Tournai et celui de Luxembourg. Pour des raisons d'efficacité, les acteurs de terrain sont d'ailleurs opposés à la multiplication des CCPD.

Outre celui de Tournai, proprement bilatéral, il existe en effet un autre centre qui associe la France, la Belgique, l'Allemagne et le Luxembourg. Il s'agit du CCPD quadripartite de Luxembourg, créé par un accord de 2008 que nous avons examiné en mai dernier, sur le rapport de notre collègue André Schneider.

L'accord qui nous est aujourd'hui soumis consacre de nouvelles missions confiées au CCPD de Tournai en matière de veille et d'anticipation des phénomènes criminels, ainsi qu'en matière de rapprochements d'informations. Le nouvel accord de Tournai établit aussi de manière précise les modalités selon lesquelles les données à caractère personnel sont collectées, consultées, exploitées, transmises, conservées et protégées dans le cadre d'un fichier commun, en apportant des garanties utiles sur tous ces points.

En ce qui concerne la coopération directe, l'accord de 2013 élargit tout d'abord la « zone de compétence commune ». Du côté français, outre l'Aisne, les Ardennes, la Meurthe-et-Moselle, la Meuse et le Nord, directement limitrophes du territoire belge, la « zone de compétence commune » est étendue à 4 départements supplémentaires : la Marne, la Moselle, le Pas-de-Calais et la Somme. Ces départements ont été choisis dans une logique de traitement global de la délinquance en zone frontalière, avec le souci de conserver une aire géographique cohérente et d'éviter une dilution de la spécificité de la zone transfrontalière. Du côté belge, la « zone de compétence commune » comprend l'ensemble du territoire, alors que l'accord de 2001 se limitait aux provinces de la Flandre occidentale, du Hainaut, de Namur et de Luxembourg.

Il faut noter que la compétence géographique du CCPD de Tournai est un peu plus restreinte. Du côté français, elle englobe certes l'ensemble des 9 départements que j'ai cités, mais elle est limitée du côté belge aux 4 provinces limitrophes initialement concernées en 2001.

L'article 13 du nouvel accord, relatif aux patrouilles communes, permettra aux agents d'une Partie présents de l'autre côté de la frontière d'exercer des prérogatives de puissance publique, sous la direction et en présence d'agents de la Partie sur le territoire de laquelle la patrouille a lieu.

Un agent présent de l'autre côté de la frontière pourra appréhender une personne prise en flagrant délit de commission ou de participation à la commission d'une infraction punie d'une peine d'emprisonnement, sans la présence d'agents du territoire concerné. La personne appréhendée devra ensuite être remise aux autorités territorialement compétentes.

L'article 14 autorise l'intervention, de l'autre côté de la frontière, de la patrouille la plus proche en cas d'urgence ou d'accidents graves mettant en cause des personnes ou des biens et nécessitant une intervention rapide des forces de police.

Les possibilités de déplacement de part et d'autre de la frontière sont également renforcées. Si l'agencement des voies de circulation l'exige, les agents d'une Partie pourront circuler sur le territoire de l'autre Partie, jusqu'à ce qu'ils puissent faire demi-tour. Des policiers qui auront effectué une arrestation sur l'autoroute à proximité de la frontière pourront ainsi franchir cette frontière afin de prendre la sortie la plus proche. En cas de besoin, il sera également possible de traverser le territoire de l'autre Partie pour se rendre d'un point à l'autre de son propre territoire. Cela permettra, par exemple, aux policiers belges d'éviter de contourner la botte de Givet.

L'article 25 invite à la recherche de synergies matérielles et logistiques entre les unités et services des deux Parties, notamment par la mise à disposition ou l'acquisition conjointe de véhicules et d'équipements, sur la base d'un accord d'exécution ou d'un arrangement technique.

Je me suis rendu ce lundi à Tournai pour visiter le CCPD, dont j'ai pu rencontrer notamment les responsables français et belges, ainsi que notre ambassadeur en Belgique, l'attaché de sécurité intérieure, le bourgmestre de Tournai, ainsi que le préfet de la région Nord-Pas-de-Calais et celui du département du Nord. J'en retiens principalement six éléments.

Premièrement, le fait que l'accord de « Tournai II » répond à une attente forte des acteurs locaux au regard de l'ampleur des défis dans la zone frontalière. Ce texte permettra de mieux y répondre.

Ensuite, si les attentes sont importantes, il ne s'agit que d'un texte complémentaire d'autres formes de coopération, notamment en matière d'immigration et de lutte contre le terrorisme. Cet accord concerne principalement la petite et la moyenne délinquance dans la zone frontalière.

Troisièmement, il faut apporter des réponses mieux adaptées au développement de phénomènes nouveaux en lien avec la présence de la frontière, notamment un proxénétisme qui accueille de nombreux clients français et qui a tissé des connections avec le trafic de drogues et d'autres trafics encore, ainsi que la place importante de la Belgique dans la circulation des armes à feu.

Quatrièmement, il faudra veiller à consacrer des efforts en matière de personnel pour assurer une bonne application de ce texte. Il s'agira notamment d'assurer une formation des agents à la législation et aux pratiques en vigueur de l'autre côté de la frontière et de se rapprocher de la parité numérique dans les effectifs déployés au CCPD de Tournai par la Belgique et la France.

Cinquièmement, j'ai constaté que les acteurs locaux attendent désormais un accord de « Tournai III » pour franchir des étapes supplémentaires, en particulier l'octroi d'un pouvoir d'interpellation véritablement autonome aux agents étrangers, ce qui pose un problème constitutionnel en France, l'interconnexion des fichiers en matière de dispositifs de lecture automatisée des plaques d'immatriculation (LAPI), ce qui nécessiterait une harmonisation entre la CNIL et son homologue belge, la création de brigades anti-criminalité (BAC) mixtes transfrontalières et le développement d'un réseau de communication commun.

Enfin, au regard de ces différents éléments, je crois qu'il serait opportun de réaliser une première évaluation complète de l'application du présent accord de « Tournai II » dans un délai d'un an, pour formuler si nécessaire de nouvelles propositions en vue de renforcer encore la coopération bilatérale.

Mes chers collègues, voilà les principales observations dont je souhaitais vous faire part. Malgré certaines limites, le nouvel accord de Tournai permettra de rénover et de consolider le cadre de la coopération transfrontalière entre la France et la Belgique en matière policière et douanière. Ce texte confortera l'action des forces de police et des douanes françaises et belges, et il contribuera ainsi à améliorer la sécurité des populations vivant et travaillant de part et d'autre de la frontière.

La Belgique ayant achevé sa procédure d'approbation parlementaire dans de brefs délais, au mois d'avril 2014, il nous revient de faire de même sans tarder davantage. Je vous invite donc à adopter ce projet de loi.

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