Je voudrais insister sur le fait qu'un accord est indispensable à la reprise de l'économie, alors que la Grèce fait face, depuis 2007, à une crise inédite aux conséquences sociales dramatiques que nous avons pu constater sur place.
La situation économique et sociale de la Grèce s'est nettement dégradée depuis 2007 sous l'effet, d'une part, de la crise grecque, qui a atteint, ainsi que l'a souligné le Gouverneur de la Banque de Grèce M. Yannis Stournaras à la mission, son pic en 2009 avec un double déficit – des finances publiques et de la balance des paiements courants – de l'ordre de 15 % du PIB, et, d'autre part, des politiques d'austérité mises en place à compter de 2010 en accompagnement des plans d'aide financière.
Le PIB de la Grèce s'est ainsi contracté de plus de 26 % entre 2007 et 2013. La production industrielle a chuté et les investissements se sont effondrés. Je précise à cet égard que la Grèce est un pays qui n'exporte pas ou peu, ce qui accentue les difficultés à relancer son économie.
Le taux de chômage a connu une véritable explosion, pour atteindre un pic à 27,5 % en 2013. Les jeunes ont été particulièrement touchés, puisque près de 60 % d'entre eux étaient au chômage en 2013.
Cette situation s'est traduite par un net appauvrissement de la population grecque, le revenu des ménages étant amputé de 25 % en moyenne. Les revenus ont ainsi diminué de 30 à 40 % dans le secteur privé et de 20 à 30 % dans le secteur public. En outre, les retards dans le versement des salaires sont nombreux, allant de 5 à 18 mois. Avec un taux de risque de pauvreté de la population en âge de travailler de 23,8 % en 2013, la Grèce se place malheureusement à la première place des États de l'Union européenne.
Les inégalités, déjà importantes avant la crise, se sont en outre fortement accrues depuis. Ainsi, le revenu global des 20 % d'habitants aux revenus les plus élevés est plus de six fois supérieur à celui des 20 % aux revenus les plus faibles. De fait, les principales victimes de la crise et des politiques d'austérité ont été les ouvriers, les employés et les classes moyennes.
Certes, il y a eu une légère reprise, de l'ordre de 0,8 %, en 2014, principalement tirée par le tourisme. La Grèce a ainsi pu revenir sur les marchés financiers et la reprise modérée de l'activité a permis une inflexion de la courbe du chômage, qui est passé à 26,5 % en 2014, le taux de chômage des jeunes s'établissant, pour sa part, à 51 %.
Mais, depuis le mois de janvier 2015, l'économie grecque est paralysée, suspendue à la conclusion d'un accord entre le gouvernement grec et ses créanciers.
Les acteurs économiques rencontrés par la mission – qu'il s'agisse du président de la Fédération des industries grecques, du directeur général de la fondation Niarchos ou des représentants des entreprises françaises implantées en Grèce – ont été unanimes : l'attentisme est général. Les investisseurs font marche arrière.
Les représentants de la communauté d'affaires franco-grecque rencontrés par la mission ont en outre souligné une véritable méfiance de la part du gouvernement à l'égard des entreprises privées. Aussi, tandis que les grandes banques françaises et le groupe Carrefour ont quitté le pays, certaines entreprises françaises demeurées sur place commencent à s'interroger sur l'opportunité de rester en Grèce.
La BCE soutient à bout de bras le secteur bancaire grec, qui apparaît de plus en plus menacé par l'incertitude quant aux résultats des négociations avec le trio institutionnel. Le secteur bancaire se caractérise en effet par des fuites de dépôts de plus en plus importantes : les dépôts s'élèveraient à 130 milliards d'euros environ, contre 235 milliards en 2009 et 165 milliards fin novembre 2014. La semaine du 15 au 22 juin se serait caractérisée par des retraits de l'ordre de 5 milliards d'euros.
A la dette publique vis-à-vis des créanciers internationaux s'ajoute une dette « intérieure » des entreprises et des particuliers vis-à-vis de l'État, des entreprises vis-à-vis des salariés (souvent les salariés sont payés avec plusieurs mois de retard), des entreprises vis-à-vis de leurs fournisseurs, etc. Cette dette intérieure est estimée à plusieurs milliards d'euros.
Dans ce climat de fatalité et d'attentisme, un accord avec les créanciers est donc indispensable au déblocage de la situation, d'autant plus que le versement de 7,2 milliards d'euros qui devait intervenir de la part des créanciers y est subordonné.
Je rappelle à cet égard que la Grèce a bénéficié de deux plans d'aide financière.
Le premier plan, doté de 110 milliards d'euros sur 3 ans, a été accordé en avril 2010. Il a conduit au versement de 73 milliards d'euros, 20,1 milliards d'euros provenant du FMI et 52,9 milliards d'euros de prêts bilatéraux des États de la zone euro.
Compte tenu de résultats économiques décevants et de son incapacité à restaurer sa crédibilité sur les marchés financiers, la Grèce a engagé en 2011 des discussions en vue d'un deuxième plan d'aide, dont le principe a été acté par les chefs d'État et de gouvernement de la zone euro le 26 octobre 2011. Validé par l'Eurogroupe en mars 2012, il s'élève à 171,6 milliards d'euros, dont 143,6 milliards d'euros provenant du Fonds européen de stabilité financière et 28 milliards d'euros à la charge du FMI. À ce stade, 130,9 milliards d'euros ont été déboursés sur le programme du FESF et 11,8 milliards d'euros sur celui du FMI. Ce deuxième programme s'est accompagné de la restructuration de 107 milliards d'euros de dette détenue par des créanciers privés.
Tandis que le plan du FMI doit prendre fin en mars 2016, l'échéance du programme du FESF, initialement fixée au 31 décembre 2014, a dû être reportée à deux reprises et est désormais fixée au 30 juin 2015.
L'objectif affiché lorsque le deuxième report a été décidé, en février dernier, était alors double : aboutir à la conclusion positive de la dernière mission de suivi du trio institutionnel et évaluer les modalités d'un éventuel arrangement de suivi.
Le versement de 7,2 milliards d'euros qui devait intervenir de la part des créanciers a alors été suspendu à la conclusion positive de la mission de suivi. Pour mémoire, ce versement recouvre la dernière tranche du FESF (1,8 milliard d'euros), les profits (1,8 milliard d'euros) que la BCE doit rétrocéder sur les titres de dette grecque acquis dans le cadre du programme « SMP » (« Securities Markets Program », qui, lancé en 2010, a consisté en l'achat d'obligations souveraines sur le marché secondaire), le solde correspondant à une tranche de versement du FMI.
L'enveloppe de 10,9 milliards d'euros prévue pour la recapitalisation des banques grecques dans le Fonds hellénique de stabilité financière, qui est placée auprès du FESF et mobilisable à la demande de la BCE en sa qualité de superviseur unique, demeure également disponible jusqu'au 30 juin 2015.
Or, depuis le mois de février, les négociations entre le FMI, les responsables de l'Union européenne et le gouvernement grec s'enlisent, malgré l'annonce récurrente d'un accord proche. On assiste à un véritable bras de fer doublé d'une partie de « poker menteur ». Le fait que les négociations dure peut rendre pessimiste mais aussi montrer la volonté d'arriver à un accord politique. C'est cela qui est important, car derrière cette négociation, il y a ce que l'Union européenne veut faire dans l'accompagnement d'un de ses membres – exiger le respect des engagements pris mais aussi soutenir la croissance et l'investissement.
J'ai noté, parmi les points de discussion, qu'il y avait pas mal de mesures fiscales, dont certaines plus dures dans certains secteurs économiques, comme par exemple s'agissant du taux de TVA dans l'hôtellerie et la restauration.
Sans préjuger de l'issue des négociations en cours, il nous est apparu opportun de faire ce déplacement et d'essayer de relancer les propositions, compte tenu du climat d'attentisme généralisé et de la paralysie de l'économie depuis le début de l'année 2015. Peut-être que l'Union européenne et la Grèce ont chacune mis du temps à prendre des décisions et à faire des propositions, mais le Parlement peut jouer le rôle auprès des parlementaires, du gouvernement et des responsables politiques pour impulser un autre message.
Les scénarios de sortie de crise sont multiples. Les interlocuteurs rencontrés sur place se sont montrés plus ou moins optimistes sur les suites d'un éventuel accord, sachant que la population grecque ne souhaite pas sortir de la zone euro.
D'aucuns considèrent que le gouvernement grec ne pourra trouver une majorité à la Vouli, Syriza n'étant pas à proprement parler un parti politique, mais plutôt un agglomérat de mouvements politiques et syndicalistes sans véritable unité. D'autres estiment, au contraire, que l'accord sera validé par le Parlement grec, le cas échéant sans un soutien total de Syriza, mais avec le concours de voix du parti de centre gauche To Potami, du parti socialiste Pasok, voire d'une partie des conservateurs de Nouvelle Démocratie.
M. Evangelos Venizelos, ancien vice Premier ministre et ancien président du Pasok, a ainsi indiqué que le Pasok serait prêt à approuver tout accord conclu avec les créanciers, dans la mesure où, notamment, il apparaîtrait comme une acceptation rétrospective de la politique qui avait été menée par le Pasok. Il a souligné l'importance des réformes structurelles à mener.
Pour sa part, M. Antonis Samaras, ancien Premier ministre et président de Nouvelle Démocratie, s'est montré plus réservé, considérant qu'il ne peut s'engager à voter un accord sans en connaître le contenu, mais qu'il serait le dernier à vouloir que la Grèce sorte de l'euro. Donc, s'il y a un accord, il l'approuvera.
En tout état de cause, la perspective d'un référendum ou de nouvelles élections anticipées ne peut être écartée.
Enfin, quand bien même l'accord serait approuvé par le Parlement, la question de sa mise en oeuvre effective se poserait selon plusieurs des interlocuteurs rencontrés par la mission. La question de la traduction concrète des engagements dans des actes n'est pas un problème nouveau, mais il se pose de manière
Pour conclure mon propos, je voudrais dire que la société et l'économie grecques souffrent de faiblesses anciennes, fondées sur un système historique biaisé, avec l'intégration dans le système politique des notables puis des partis et le fait qu'une part significative de la population bénéficie de prestations. Ce système, fondé sur le patronage, puis le clientélisme, l'osmose entre les élites politiques et économiques et le mépris de la légalité, marque l'histoire de la Grèce. Nous le retrouvons encore malheureusement aujourd'hui.