La conclusion d'un accord apparait comme un préalable indispensable à la reprise de l'économie. Pour autant, la question qui se pose de la manière la plus forte est bien, comme l'a souligné l'ambassadeur de France en Grèce M. Kuhn-Delforge, celle « du jour d'après », c'est-à-dire celle de la modernisation de la Grèce et de la dynamisation de son économie. Et on voit bien à ce sujet qu'il y a une vraie séparation dans la société grecque entre, d'une part, des Grecs qui ont une double nationalité et un mode de vie international et, d'autre part, les 80 % de la population restante qui supportent seuls la charge des ajustements.
Interrogés sur les causes de la crise grecque, les interlocuteurs de la mission ont été pratiquement tous unanimes pour dénoncer la responsabilité de la Grèce, de ses élites et de ses pratiques, la députée du parti Syriza Mme Theodora Tzakri, ancien membre du Pasok, étant la seule à mettre en cause le fonctionnement de la zone euro qu'elle a considérée comme bénéficiant à la seule Allemagne.
Fondée sur des données budgétaires et comptables inexactes, l'introduction de l'euro a été à l'origine d'une bulle artificielle, ainsi que l'a souligné Evangelos Venizelos, qui n'est pas pour rien dans l'affaire ni d'ailleurs les milieux d'affaires européens, caractérisée par une hausse des revenus de 126 % entre 2001 et 2009 (contre 26 % en France sur la même période), par une augmentation du PIB de 60 % et par une extension du secteur public.
Mais les points faibles de l'économie et de la société grecques ont une origine plus ancienne, reposant sur l'existence d'un système corrompu fondé sur le clientélisme, le patronage, l'osmose entre les élites politiques et économiques et le mépris de la légalité, ainsi que l'a mis en évidence M. Giorgos Katrougalos, ministre délégué à la réforme administrative, devant la mission, tout en soulignant que les politiques menées ces cinq dernières années avaient aggravé ce mal. Il est quand même intéressant de souligner que les privilèges fiscaux dont bénéficient les armateurs sont inscrits dans la Constitution grecque.
Plusieurs interlocuteurs ont évoqué une méfiance forte à l'égard de l'État, héritée en partie de la présence ottomane passée. Pour les Grecs, l'administration est l'héritière du colonialisme turc.
Cette méfiance à l'égard de l'État s'accompagne du développement d'une économie parallèle, le poids de l'économie souterraine représentant 30 à 35 % du PIB.
La persistance de ce système est favorisée par l'extrême complexité du système juridique grec, que plusieurs de nos interlocuteurs, dont M. Peter Wagner, qui est le numéro deux de la task force, ont relevée. Il s'agit d'un des principaux freins à la réforme. Ainsi, la règlementation relative à la comptabilité des entreprises et à la fiscalité contient des dispositions contradictoires et d'autres impossibles à appliquer, ce qui est prétexte au pouvoir arbitraire de l'administration et offre autant de possibilités de corruption. À défaut, le recours aux tribunaux est possible, mais très lent – les tribunaux croulent sous des affaires qui s'accumulent depuis des années – et le résultat aléatoire, le système judiciaire n'étant pas considéré comme efficace et indépendant.
Ce système trouve appui dans la « faible administration » grecque, telle que la caractérisait déjà Edmond About en 1858, dans son ouvrage intitulé La Grèce contemporaine. Deux siècles plus tard, on en est toujours au même point.
Le système grec se caractérise également par l'absence de justice fiscale – les plus riches et certaines castes en particulier, comme les armateurs et l'Église qui bénéficient de privilèges ancestraux ou inscrits dans la Constitution – et par l'impossibilité – ou l'absence de volonté – de collecter l'impôt. Ainsi, selon le président de la Fédération des industries grecques, la TVA rapporte 15 milliards d'euros par an, mais il y a 5 milliards d'euros de perdus.
On voit bien ainsi qu'on est face à un système où tout le monde se tient depuis des années et que la réforme représente, dans ce contexte, un énorme chantier.
À cet égard, le nouveau gouvernement grec, issu d'un parti qui n'avait jamais été aux affaires, apparaissait comme le mieux à même de mettre fin au système établi. Mais, après 5 mois au pouvoir, sa volonté de réforme doit encore être confirmée. Comme tétanisé par la question de la conclusion de l'accord avec les créanciers de la Grèce, il apparaît incapable de réformer en profondeur.
Les représentants de Syriza rencontrés par la mission ont toutefois confirmé la volonté de leur parti de réformer. Ainsi, le président de la commission des Affaires européennes, M. Alexis Mitropoulos, a insisté sur la volonté des autorités grecques de s'attaquer aux problèmes de la corruption et de l'évasion fiscale. De même, le ministre délégué à la réforme administrative, M. Giorgos Katrougalos, a souligné que Syriza voulait réformer le système, en s'attachant aux vraies priorités. Ses projets de réforme s'inspirent d'ailleurs fortement des propositions formulées par la task force.
Toutefois, au-delà des intentions et des projets, si l'on observe l'action du gouvernement élu depuis janvier 2015, force est de constater que les mesures prises jusqu'à présente sont encore loin de montrer une volonté de mettre fin au système établi.
Les projets de privatisation sont à l'arrêt ou remis en cause dans leurs modalités de mise en oeuvre. Il en va ainsi d'une partie du port du Pirée, dont l'appel d'offres lancé pourrait être remis en question par le gouvernement au profit d'une cession de gré à gré avec le groupe chinois COSCO, en infraction avec les règles européennes en matière de concurrence. La fusion du Fonds hellénique de privatisation avec l'agence qui gère les actifs immobiliers de l'État semble d'ailleurs confirmer la volonté du gouvernement de ne plus procéder à des privatisations.
Les projets de réforme fiscale visent uniquement à faire rentrer de l'argent dans les caisses de l'État, sans s'attaquer véritablement aux racines du problème. Ainsi, la loi portant mesures en faveur de la relance de l'économie adoptée le 20 mars 2015 ne prévoit pas de renforcement des sanctions, notamment pénales, pour les fraudeurs et laisse de côté la question des contribuables qui organisent leur insolvabilité.
Enfin, la relégation des agents de la task force dans un bâtiment de la périphérie d'Athènes alors qu'ils étaient auparavant placés dans les ministères afin d'apporter leur assistance technique à la modernisation de l'État, témoigne de la méfiance extrême du gouvernement vis-à-vis des Européens et peut faire douter de la volonté réelle des autorités grecques de réformer le pays.
Créée en 2011 afin d'aider la Grèce à mettre en oeuvre des réformes structurelles, la « task force » a mobilisé jusqu'à 60 experts, grecs ou européens, afin d'offrir aux autorités grecques, à leur demande, une assistance technique. Des résultats ont ainsi été enregistrés dans des domaines variés comme l'amélioration de la consommation des fonds structurels, la réorganisation de l'administration et la mise en place d'une structure chargée de la coordination interministérielle sur le modèle du Secrétariat général du gouvernement en France.
Mais, assimilée à tort à la troïka, la task force est délaissée par le nouveau gouvernement. Ainsi, alors qu'elle avait proposé aux autorités grecques de mener une revue des allocations sociales et familiales, afin de dégager des marges de manoeuvre pour assurer le financement de la généralisation du salaire minimum, qui est, aujourd'hui, mis en oeuvre à titre expérimental dans 13 municipalités grecques à l'initiative de la Banque mondiale, le gouvernement actuel n'a pas donné suite à ce projet.
Pour conclure, il me semble qu'il faut que la Grèce mène des réformes en profondeur, qu'il y ait une véritable remise à plat qui concerne tout le monde. La Commission sur la vérité de la dette publique mise en place par le Parlement grec a présenté ses premiers éléments d'analyse qui montrent bien que la remise à plat doit concerner tout le monde. Le chantier du gouvernement est gigantesque. Cela va prendre du temps. Notre déplacement nous a permis de mieux comprendre la situation et de voir qu'il n'y avait pas d'un côté les gentils (Syriza) et de l'autre les méchants (les autres).