Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, la proposition de loi que nous examinons vise à reporter pour une durée de deux ans le délai prévu par la loi du 13 décembre 2011 pour la suppression des juridictions de proximité. Cette suppression devait être effective à la date du 1er janvier 2013.
Si cette proposition de loi est adoptée par votre assemblée, cette entrée en vigueur différée prendra effet au 1er janvier 2015.
La nécessité de ce report tient à deux raisons essentielles et impérieuses : la Chancellerie ne dispose pas de moyens humains suffisants pour l'application efficace de cette loi dans moins de trois semaines ; par ailleurs, la réflexion relative au rôle des juridictions de proximité doit s'inscrire dans un projet plus global.
On se souvient que les juges de proximité ont été créés en 2002, dispositif complété par la loi du 26 janvier 2005 portant création d'une nouvelle catégorie de juridictions : les juridictions de proximité. La justice de proximité n'est toutefois pas l'apanage des gouvernements précédents si l'on veut bien se souvenir que la justice de proximité fut une innovation révolutionnaire, afin, disait-on, de rendre pour les litiges de la vie quotidienne, une justice rapide, simple et presque gratuite : c'était déjà l'objectif en 1790 et le but des travaux de l'Assemblée constituante.
Aujourd'hui, ce sont 452 juges de proximité qui participent grandement au fonctionnement du service public de la justice. Actuellement, à côté des tribunaux de grande instance et des tribunaux d'instance, les juridictions de proximité déchargent les juges d'instance au pénal en matière de police pour les contraventions des quatre premières classes et au civil pour toutes les actions personnelles ou mobilières, sauf exceptions, jusqu'à 4 000 euros en dernier ressort. Par ailleurs, les juges de proximité peuvent, également, siéger comme assesseur au sein des tribunaux correctionnels.
Dans le prolongement de la recommandation n° 22 du rapport Guinchard, la précédente majorité avait pourtant fait le choix, par la loi du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux, de prévoir la suppression des juridictions de proximité et le rattachement des juges de proximité aux tribunaux de grande instance à compter du 1er janvier 2013. Je m'étais d'ailleurs, à l'époque, étonné que, lors de réforme de carte judiciaire, la précédente majorité ait pu vanter pendant cinq ans les mérites de la nécessaire proximité du juge, et, dans la pratique, faire exactement le contraire… La loi du 13 décembre 2011 a malheureusement procédé d'une contradiction identique entre les annonces législatives et la mise en oeuvre concrète des dispositions votées par le Parlement. Faire en sorte que la loi s'applique rapidement est pourtant une nécessité démocratique.
Force est de constater que rien n'avait été prévu pour respecter cet objectif et le Gouvernement s'est trouvé fort dépourvu lorsqu'il a constaté à sa prise de fonction que rien n'avait été véritablement anticipé par l'ancienne majorité. Il est en effet rapidement apparu que, du fait de ce transfert d'activités des juridictions de proximité aux tribunaux de grande instance, les 452 juges de proximité en fonction en décembre 2012 auraient dû être renommés ; un décret en Conseil d'État aurait dû être publié afin de fixer les modalités d'organisation du service des juges de proximité dans les TGI et les tribunaux d'instance ; l'évolution des applications informatiques, la rédaction des instructions au greffe, l'élaboration des trames nécessaires, l'adaptation des formulaires à destination du public auraient dû être anticipées.
En outre, il convient d'observer que le transfert des charges assuré par les juges de proximité vers les juges d'instance aurait accentué leur charge de travail déjà importante du fait, notamment, de la réforme des tutelles. Ce transfert aurait nécessité jusqu'à 110 emplois équivalent temps plein de juges d'instance selon une évaluation des services du ministère. Il est à noter, à cet égard, qu'aucune création d'emplois n'avait été décidée par le précédent gouvernement dans le cadre de l'accompagnement de la loi du 13 décembre 2011.
Dans ce contexte, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a accueilli avec faveur l'initiative du président de la commission des lois du Sénat qui était parvenu de son côté au constat de la nécessité de conduire une approche globale de la justice de proximité et, donc, de reporter la mise en oeuvre de la loi de 2011. Ce report, commandé par la sagesse et la cohérence dont l'Assemblée est la gardienne exigeante, ne désorganisera pas les juridictions.
Je ne rappellerai que quelques points.
Le transfert des injonctions de payer supérieures à 10 000 euros aux tribunaux de grande instance, prévu par la loi du 13 décembre 2011 entrera bien en vigueur au 1er janvier 2013. Le report de la suppression des juridictions de proximité permettra de ne pas alourdir davantage encore la charge des juges d'instance. Comme vous l'avez indiqué, monsieur le rapporteur, dans votre avis budgétaire, la situation des tribunaux d'instance est difficile alors qu'ils participent d'une justice de proximité qui est souvent celle des oubliés, des humbles, des accidentés de la vie.
L'attention publique se porte trop exclusivement sur les questions pénales et pénitentiaires alors que, numériquement, nos concitoyens sont d'abord concernés, et c'est heureux, par la justice du surendettement, des tutelles ou des baux d'habitation, c'est-à-dire la justice de la vie quotidienne parfois difficile.
Cent soixante-dix-huit tribunaux d'instance ont été supprimés lors de la réforme de la carte judiciaire, rendant nécessaire des adaptations importantes des personnels et des services à peine finalisées aujourd'hui. Les 305 tribunaux d'instance restant ont dû faire face au réexamen systématique des dossiers de tutelle en application de la loi du 5 mars 2007, entraînant la révision de 731 671 mesures de protection avant le 1er janvier 2014. Le contentieux du surendettement a été transféré aux tribunaux d'instance depuis le 1er septembre 2012.
Mesdames, messieurs les députés, afin de faire face à ses responsabilités, le Gouvernement a prévu, dans le projet de loi de finances pour 2013, 142 créations d'emplois pour la justice du quotidien dont cinquante juges d'instance, marquant ainsi sa volonté de faciliter l'action des juges d'instance.
Ce premier texte tenant à l'organisation judiciaire et au droit civil est le premier pas, modeste mais nécessaire, vers une réforme plus globale de l'organisation judiciaire.
La garde des sceaux a annoncé, notamment lors du débat sur le rapport d'information sénatorial de Nicole Borvo Cohen-Seat et d'Yves Détraigne, qui a très clairement montré les dysfonctionnements issus de la réforme de la carte judiciaire, son souhait de mener, conformément aux engagements du Président de la République, une réflexion autour de l'organisation judiciaire. Une première réflexion sur l'office du juge, son périmètre d'intervention et l'assistance au magistrat est confiée à l'Institut des hautes études sur la justice qui rendra ses recommandations en avril 2013. Parallèlement, deux groupes de travail sont mis en place autour de la direction des services judiciaires de la Chancellerie, le premier sur le juge du XXIe siècle et le second sur les juridictions du XXIe siècle.
Le statut et les missions des juges de proximité seront abordés dans le cadre de cette réflexion. Nous savons, en effet, que les juges de proximité sont inquiets sur leur avenir. Nommés pour une durée de sept ans non renouvelable, les premiers juges de proximité commencent à quitter leurs fonctions. Dans le même temps, la suppression annoncée des juridictions de proximité a fait diminuer le nombre de candidatures. Les juges de proximité voudraient d'ailleurs pouvoir être prolongés dans leurs missions.
L'objectif de la Chancellerie est de rapprocher les justiciables de la justice et, donc, d'en renforcer l'accessibilité et la proximité. Les projets de la garde des sceaux font naturellement écho aux engagements du Président de la République. À cet égard, le tribunal de première instance, mis à l'étude dans ce contexte, répondrait parfaitement à cet objectif : il ferait de chaque site judiciaire existant sur un département le point d'entrée pour tous les services du tribunal de première instance. Les juges de proximité auront toute leur place dans cette nouvelle organisation judiciaire.
Mesdames, messieurs les députés, c'est dans cette perspective de confiance dans le travail des juges de proximité, de cohérence dans l'application des lois, d'exigence dans la réforme plus globale à venir que je vous invite, au nom du Gouvernement, à adopter cette proposition de loi.
Au-delà d'une modification formelle de date, c'est le rapport entre nos concitoyens et la justice qui est en cause. Une bonne justice, c'est une justice impartiale, donc une justice qui suppose une certaine distance, laquelle doit aller de pair avec la garantie du meilleur accès possible à la justice. En République, la distance du juge ne saurait résider en son éloignement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)