Intervention de Jean-Yves Le Bouillonnec

Séance en hémicycle du 12 décembre 2012 à 15h00
Proposition de loi relative aux juridictions de proximité — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Madame la présidente, mesdames, messieurs, j'ai l'honneur de vous présenter cette proposition de loi relative aux juridictions de proximité.

Cette proposition de loi, déposée le 23 octobre dernier par M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois du Sénat, a été adoptée à l'unanimité le 23 novembre 2012, après engagement de la procédure accélérée. Transmise à notre assemblée, elle a été examinée le 5 décembre dernier par notre commission des lois dont les membres m'avaient fait l'honneur de me désigner préalablement en tant que rapporteur Notre commission a bien voulu, sur les conclusions du rapport que je lui ai présenté, adopter sans modification l'article unique de cette proposition de loi qui s'est ainsi trouvée adoptée à l'unanimité.

Comme l'a rappelé M. le ministre, l'article unique de cette proposition de loi n'a qu'un objet : reporter de deux années l'échéance prévue pour la suppression des juridictions de proximité. Pour ce faire, elle modifie la loi du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allégement de certaines procédures juridictionnelles Celle-ci, dans son article 70, fixait l'entrée en vigueur de la réforme au premier jour du treizième mois suivant la promulgation de la loi, soit le 1er janvier 2013. L'article unique de la présente proposition de loi vise donc à reporter la suppression de la juridiction de proximité au 1er janvier 2015.

Chacun garde à l'esprit les circonstances dans lesquelles avaient été créées les juridictions de proximité dans la loi d'orientation pour la justice du 9 septembre 2002. Cette loi d'orientation avait pour objectif déclaré de rapprocher la justice du citoyen et de la rendre plus accessible pour faciliter la solution des petits litiges. Elle a alors instauré le juge de proximité.

Deux modifications ont été apportées à ces dispositions, successivement par la loi organique du 26 février 2003 relative aux juges de proximité et par la loi du 26 janvier 2005 relative aux compétences du tribunal d'instance.

Concluant les travaux d'une commission que présidait le doyen Serge Guinchard et dont l'objet était la répartition des contentieux, un rapport publié en 2008 considérait, au-delà des qualités personnelles des juges de proximité, que l'organisation judiciaire ainsi mise en place était extrêmement complexe, induisant des situations insatisfaisantes et alourdissant la charge des juges d'instance. Ces derniers, par insuffisance du nombre de juges de proximité recrutés, devaient aussi assumer les compétences qui auraient dû échoir à la juridiction de proximité. Ce rapport relevait, également, la complexité croissante du contentieux soumis aux juges de proximité, en particulier du fait de l'élévation des taux de compétence pour les litiges qui lui étaient soumis.

Certains ne l'ont pas oublié, la création des juridictions de proximité avait suscité beaucoup de doutes et d'inquiétude. L'efficacité du dispositif se trouvait, dès le début de sa mise en place, extrêmement complexe. Six années après seulement, le constat s'imposait et conduisait inévitablement à envisager la suppression des juridictions de proximité. C'est bien cette préconisation qui a été actée dans la loi du 13 décembre 2011. Son article 1er a redéfini les compétences des juges de proximité et son article 2 a supprimé la juridiction de proximité à laquelle ils étaient rattachés, cette suppression se trouvant différée d'une année pour en faciliter la mise en oeuvre.

Lors de notre séance en commission, vous avez été nombreux à partager le constat des lourdes difficultés actuellement rencontrées par les tribunaux d'instance, les magistrats et les personnels des greffes. C'est ce constat qui est à l'origine de la judicieuse proposition de notre collègue sénateur Jean-Pierre Sueur tendant à reporter de deux ans la date de suppression de la juridiction de proximité pour ne pas aggraver encore cette situation catastrophique, et ce dans l'intérêt du bon fonctionnement de la justice.

En tant que rapporteur pour avis des crédits de la mission « Justice » pour 2013, j'avais souhaité, pour ce premier exercice budgétaire, porter mon attention sur la justice du quotidien, la justice des contentieux de la vie courante : crédits à la consommation, tutelles des majeurs, litiges du locatif de l'habitat – loyers, expulsions –, contentieux de surendettement, petites créances. C'est cette justice-là qui est au coeur de la vie des justiciables, qui en concerne le plus grand nombre. Les activités de cette institution judiciaire sont les indicateurs d'un accès réel des citoyens à leurs droits du quotidien.

Face à la judiciarisation croissante de la société, cette justice a pâti au cours des dernières années de réformes successives, morcelées, improvisées, mal ficelées. Elle s'en est trouvée désorganisée, voire déstabilisée, avec la réforme de la carte judiciaire dont M. le ministre vient de rappeler les conséquences, la réduction globale du nombre de magistrats et de fonctionnaires, la réduction des budgets de fonctionnement et des services.

Je vous ai déjà décrit les défis auxquels doit faire face l'instance : révision systématique des dossiers de protection des majeurs, transfert du contentieux du surendettement, augmentation des contentieux du loyer et des petits recouvrements de créances.

Mes dernières visites de terrain, notamment à Nogent-sur-Marne et à Villejuif, m'ont fait mesurer, comme chacun d'entre vous, l'impossibilité pour ces juridictions d'instance d'assurer, en plus de sa charge actuelle, les nouveaux contentieux qu'induirait la suppression immédiate de la juridiction de proximité.

Le transfert de compétence des juridictions de proximité vers les tribunaux d'instance, conséquence de cette suppression, n'a été ni anticipé ni sérieusement accompagné, qu'il s'agisse des budgets ou des personnels.

Alors que certaines juridictions doivent faire face à une charge de travail toujours plus grande, elles pâtissent en particulier d'un sous-effectif chronique de magistrats par rapport aux effectifs théoriques, des vacances de postes n'étant pas compensées par la nomination de magistrats placés, auquel s'ajoute un manque de fonctionnaires de greffe.

Le ressenti dans les tribunaux d'instance est d'autant plus lourd que de nombreux juges de proximité ont été transférés dans les juridictions de grande instance, en particulier pour compléter les chambres collégiales des tribunaux correctionnels, ce qui a été plutôt mal accepté dans les juridictions d'instance.

La suppression des juridictions de proximité implique le transfert vers les tribunaux d'instance de la compétence pour connaître des actions personnelles ou mobilières d'une valeur maximale de 4 000 euros, et de celle des demandes indéterminées ayant pour origine l'exécution d'une obligation dont le montant n'excède pas 4 000 euros. Cela représente 90 000 à 100 000 dossiers par an ; la juridiction d'instance, en l'état, n'est tout bonnement pas en capacité d'y faire face.

Les deux années de prolongation qu'ouvre l'adoption de cette proposition de loi permettront aux tribunaux d'instance d'absorber les retards et de faire face à l'accroissement du nombre de dossiers.

Elles doivent aussi être mises à profit pour mener une réflexion sur l'organisation de la justice de première instance et aboutir à des solutions. Je me félicite, monsieur le ministre, que tel soit désormais l'objectif du Gouvernement. Sa structure actuelle est trop complexe et parfois bien peu logique. Elle est aujourd'hui ignorée par un grand nombre de justiciables et, ce n'est pas le moindre paradoxe, incomprise de ceux à qui elle est pourtant destinée.

Lors de l'examen de la proposition de loi par le Sénat, la garde des sceaux a émis quelques pistes de réflexion sur une nouvelle organisation judiciaire : réouverture de certaines juridictions dans quelques ressorts, expérimentation d'un tribunal de première instance, expérimentation d'un guichet unique de greffe, voire d'audiences foraines.

Il nous faut participer à ce travail de réflexion et le poursuivre pour effectivement reconsidérer la juridiction de première instance et lui permettre d'assumer pleinement sa mission au coeur de la vie de nos concitoyens.

Mesdames, messieurs, la commission a adopté cette proposition de loi contenant un article unique, à l'unanimité. Je vous invite à faire de même. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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