Intervention de Patrice Carvalho

Séance en hémicycle du 12 décembre 2012 à 15h00
Proposition de loi relative aux juridictions de proximité — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrice Carvalho :

La création des juridictions de proximité, par la loi du 9 septembre 2002, avait été justifiée par la nécessité d'instaurer une justice spécialisée pour traiter les petits litiges de la vie quotidienne : baux d'habitation, contrats de consommation, etc. Elle résultait du constat de la surcharge des tribunaux d'instance et de leur incapacité à traiter spécifiquement les petits litiges. En effet, les tribunaux d'instance, créés en 1958 pour remplacer les justices de paix, s'étaient rapidement trouvés débordés en raison de l'augmentation du contentieux, de l'insuffisance du nombre de recrutements de magistrats et de l'alourdissement des tâches confiées à ces derniers. Parallèlement, la multiplication des formules de règlement amiable n'avait pas permis de pallier l'absence de mécanisme juridictionnel adéquat pour traiter ces litiges.

Les juridictions de proximité étaient donc censées remédier à ces difficultés et surtout répondre au souci de rapprocher la justice des citoyens. Ces nouvelles juridictions s'étaient alors vu confier, à côté des tribunaux d'instance, la mission principale de juger, en matière civile, les litiges inférieurs à 4 000 euros et, en matière pénale, les contraventions des quatre premières classes.

Lors de l'examen de cette réforme, en 2002, nous avions dénoncé un texte élaboré sans aucune concertation avec les professionnels de la justice concernés – magistrats, fonctionnaires des tribunaux, avocats, syndicats –, qui avaient pourtant exprimé de vives inquiétudes.

Nous nous étions opposés à la mise en place d'un ordre supplémentaire de juridiction de première instance, en alertant sur la complexification des règles de compétence entre juridictions et les erreurs susceptibles d'en résulter. En outre, nous avions indiqué que l'évidente complexité du système s'opposait clairement à l'objectif avancé de réconcilier la justice avec les usagers.

Au lieu de retirer des compétences aux tribunaux d'instance au profit des nouveaux juges de proximité, nous préconisions de doter les tribunaux d'instance des moyens nécessaires à leur bon fonctionnement.

Nous avions alors appelé de nos voeux une justice de proximité efficace, qui ne se substitue pas à la juridiction la plus accessible et la moins coûteuse de notre système judiciaire. Nous nous étions résolument opposés à ce projet qui ouvrait la voie à une justice à deux vitesses, l'une rendue par des magistrats non professionnels s'adressant aux citoyens ordinaires pour leurs petits litiges, l'autre rendue par des magistrats professionnels et destinée aux litiges importants.

Six ans seulement après l'adoption de cette réforme, la loi du 13 décembre 2011 prenait acte de son échec. Le constat est édifiant : la création des juridictions de proximité a accru la complexité de l'organisation judiciaire de première instance, qu'il s'agisse de la répartition des compétences entre le tribunal d'instance et les juridictions de proximité ou de l'absence de règles procédurales adaptées aux types de litiges traités. Pour un grand nombre de justiciables, l'accès à la justice demeure compliqué en raison des règles de formalisme, du coût de l'action en justice ou de l'impossibilité de faire appel. Enfin, il s'est avéré que les juridictions de proximité offraient moins de garanties procédurales aux justiciables, les principes directeurs du procès étant parfois malmenés.

La loi du 13 décembre 2011 sur la répartition des contentieux a donc purement et simplement supprimé les juridictions de proximité, tout en précisant que cette suppression serait effective à compter de janvier 2013. Si la loi a prévu de rattacher les juges de proximité aux tribunaux de grande instance et de redéfinir leur rôle, elle n'a tenu aucunement compte du fait que les tribunaux d'instance ne disposeraient pas de l'effectif nécessaire pour absorber le contentieux civil dévolu jusqu'alors aux juridictions de proximité et représentant plus de 100 000 affaires civiles nouvelles chaque année. Comme nous l'avions dit alors, cette suppression ne pouvait intervenir sans que des moyens supplémentaires soient accordés aux tribunaux d'instance, dont l'activité a connu une forte croissance ces dernières années. Rappelons que la réforme de la carte judiciaire a entraîné la suppression de 178 tribunaux d'instance, et que les tribunaux d'instance doivent assumer une charge de travail supplémentaire en raison du transfert du contentieux du surendettement et de l'entrée en vigueur de la réforme de la protection juridique des majeurs.

Aujourd'hui, la situation budgétaire des tribunaux d'instance est à ce point dramatique qu'elle ne leur permettra pas d'absorber ce contentieux civil à partir du 1er janvier prochain. C'est la raison pour laquelle la proposition de loi soumise à notre approbation prévoit, dans l'urgence, de reporter de deux ans la suppression des juridictions de proximité. Elle entend ainsi remédier au défaut d'anticipation des conséquences de la suppression des juridictions de proximité.

Au regard des difficultés auxquelles seraient confrontés les juges d'instance et compte tenu de l'allongement des délais de traitement au détriment des justiciables, nous ne pouvons que souscrire à ce report au 1er janvier 2015. Néanmoins, il convient que ce report s'accompagne d'une réflexion d'ensemble sur la justice de proximité. À cet égard, nous avons noté avec satisfaction la mise en place d'une mission d'information par la commission des lois du Sénat et l'engagement de Mme la garde des sceaux, lors de la séance publique du Sénat du 1er octobre 2012, de mener une réflexion sur ce sujet.

En outre, le report de la suppression des juridictions de proximité pose, de manière générale, la question des moyens alloués à la justice. Il convient de garder à l'esprit la situation catastrophique dans laquelle se trouve le service public de la justice, et le fait que selon le rapport 2012 de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice, la France est à la quarantième place – sur quarante-sept – du classement des pays en fonction du budget public annuel total alloué au système judiciaire rapporté au produit intérieur brut par habitant.

Lors de la discussion de la mission « Justice » du projet de loi de finances pour 2013, nous avons salué l'accroissement des effectifs prévu pour la période 2013-2015, tout en soulignant que cette augmentation ne se traduirait pas pour autant par une amélioration significative de la situation, tant les besoins sont colossaux et le passif difficile à assumer. Certes, le projet de budget pour 2013 prévoit le recrutement de 142 magistrats, dont 50 directement affectés à l'instance ; mais ceux-ci n'intégreront leur juridiction qu'après leur formation à l'École nationale de la magistrature, c'est-à-dire après le 1er janvier 2015. De plus, les emplois ainsi créés visent à renforcer les tribunaux d'instance pour leur permettre de faire face à l'accroissement de leur charge de travail causé par d'autres réformes, notamment celle de la protection juridique des majeurs qui impose la révision de l'ensemble des mesures de tutelle en cours.

La situation actuelle est donc critique. Les rapports des juges d'instance ainsi que les constats dressés par l'association nationale des juges d'instance et par les organisations syndicales font tous état d'une situation intenable et de conséquences préoccupantes, en particulier pour ce qui touche à la protection des majeurs. Les délais sont accrus, des retards sont constatés et les mesures non révisées risquent la caducité. Dès à présent, il convient donc de prendre la mesure de la gravité de la situation et, comme le demandent les professionnels de la justice concernés, de mobiliser tous les moyens possibles pour renforcer les tribunaux d'instance.

Néanmoins, nous soutenons cette proposition de loi.

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