Intervention de Colette Capdevielle

Séance en hémicycle du 12 décembre 2012 à 15h00
Proposition de loi relative aux juridictions de proximité — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaColette Capdevielle :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, cette proposition de loi a pour objet de reporter de deux ans l'application de la suppression des juridictions de proximité prévue par la loi du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allégement de certaines procédures juridictionnelles.

Ce n'est donc pas le volume d'un texte qui lui confère son intérêt : preuve nous en est donnée par cette proposition de loi de notre collègue de la chambre haute, le sénateur Jean-Pierre Sueur, soumise aujourd'hui à notre examen et à notre vote. Ce texte succinct a pour simple objet le report de deux ans de l'application des articles 1er et 2 de la loi du 13 décembre 2011 supprimant la juridiction de proximité et maintenant les juges de proximité, auxquels seront confiées de nouvelles compétences. Au fond, il s'agit d'une demande de sursis – un sursis probatoire, dirons-nous, avec mise à l'épreuve de deux ans. Bien entendu, la récidive ne sera pas possible cette fois-ci !

Cette proposition de loi est la conséquence directe des choix politiques absolument calamiteux du précédent gouvernement en matière de justice et de juridictions. En effet, sous couvert de réorganisation de la justice de proximité, la précédente majorité l'a simplement détruite et nous oblige aujourd'hui, finalement, à restaurer, réhabiliter et reconstruire une justice accessible à tous, égalitaire pour tous et proche.

Dans l'attente d'une telle réforme, nécessaire et vraiment urgente, il nous faut contenir le désordre qu'aurait causé la disparition brutale et abrupte des juridictions de proximité, prévue par une loi aussi peu préparée que la réforme de la carte judiciaire.

La réforme de la carte judiciaire : parlons-en ! Œuvre majeure de Mme Dati, mené à coups de hache et de boutoir, sans concertation, sans réflexion et surtout sans vision prospective, ce bricolage malheureux aura particulièrement touché les tribunaux d'instance. Je peux donner l'exemple de mon département, les Pyrénées Atlantiques, où des tribunaux d'instance ont été fermés alors qu'ils étaient gracieusement logés par des communes trop heureuses d'accueillir un service public à disposition des habitants. Il a fallu les reloger à grands frais à proximité de TGI déjà surchargés et dont on ne pouvait pas pousser les murs. L'État doit maintenant payer un loyer : quel sens aigu de l'optimisation des dépenses publiques ! Nous devrons certainement, dans les semaines à venir, procéder à une évaluation et dresser un bilan de cette réforme de la carte judiciaire.

Cette période de casse du service public de la justice est heureusement révolue, et Mme la garde des sceaux oeuvre, depuis sa nomination, à la restauration de l'indispensable lien de confiance républicain entre la justice et les justiciables. Cette nécessité fait d'ailleurs l'unanimité auprès des professionnels qui ont particulièrement souffert du mépris affiché à leur endroit, ces dernières années, par le précédent exécutif.

Lors de la création des juridictions de proximité en 2002, nous n'étions pas favorables à cette justice au rabais. Déjà, nous dénoncions le manque voire la quasi-absence de formation de ces nouveaux juges, la complexité procédurale pour les justiciables ainsi que les dangers de décisions rendues sans possibilité d'appel. L'étude d'impact et l'exposé des motifs de la loi du 13 décembre 2011 faisaient le même constat. Déjà, nous alertions sur le statut précaire des juges de proximité à qui sont confiées des missions juridictionnelles.

De 2002 à 2012 : dix ans plus tard, le bilan est mitigé, ni totalement négatif, ni totalement positif. Il n'est pas totalement négatif : les juges de proximité ont déchargé les juges d'instance, et ont permis de faire fonctionner les juridictions correctionnelles, notamment en comparutions immédiates. Il n'est pas totalement positif : parfois très critiqués, certains juges de proximité ont été qualifiés de « juges de l'approximation », de « juges au rabais », de « juges bon marché ». En fait, leur qualité est très variable en fonction des juridictions et dépend principalement de la pertinence de leur recrutement et de leurs expériences professionnelles passées.

Cela dit, je partage totalement l'analyse de Jean-Pierre Sueur et de la rapporteure au Sénat : les juges de proximité ont su, au fil des années, déployer des qualités de dévouement, de disponibilité et, ajouterai-je, de patience, tant ils doivent accueillir le justiciable en direct, sans préparation ni organisation de leur défense. Enfin, ils ont fait la démonstration, au fil des ans, d'une forte implication dans leur travail.

Aujourd'hui, nous n'avons pas vraiment le choix pour que nos juridictions puissent continuer à fonctionner. Nous devons maintenir les 460 juges de proximité, lesquels n'exercent pas à temps complet mais à la vacation. Ils sont soumis au statut de la magistrature mais ne sont pas membres du corps judiciaire, ce qui fait d'eux une catégorie hybride mal protégée.

Si la suppression des tribunaux de proximité peut être comprise pour tout un ensemble de raisons, telle la complexité de l'organisation judiciaire et du contentieux qui leur est soumis, les modalités de cette suppression sont très contestables, tant la décision de suppression a été prise sans en anticiper toutes les conséquences en termes de moyens. Le Sénat avait d'ailleurs lancé un avertissement solennel, malheureusement non entendu, lors du vote de la loi du 13 décembre 2011 par l'Assemblée nationale. La chambre haute avait très opportunément souligné le risque, inhérent à la réforme des juridictions de proximité, d'accroître la difficulté des tribunaux d'instance, déjà très éprouvés, au détriment des justiciables et des délais de traitement des litiges soumis à la juridiction.

Le report de deux ans de la suppression doit nous permettre d'engager une réflexion globale et approfondie, par une remise à plat indispensable de la notion même de justice de proximité. La justice d'instance reste la vraie justice de proximité. L'ouvrage est déjà sur le métier : Mme la garde des sceaux a d'ores et déjà initié une réflexion sur l'organisation judiciaire ; au Sénat, une mission d'information sur la justice de proximité a été confiée à Mme Virginie Klès, commissaire aux lois.

À leur tour, les députés s'engageront pleinement dans cette réflexion. Plusieurs questions appellent le débat. Choisirons-nous de garder en l'état les tribunaux d'instance et de grande instance, ou de les fusionner dans un tribunal de première instance ? Sur ce point, on constate que les professionnels sont très divisés ; dès lors, la concertation s'impose. Continuerons-nous de régler la compétence juridictionnelle sur le critère du montant des litiges – inférieurs à 4 000 euros, inférieurs à 10 000 euros – ou définirons-nous d'autres critères de compétence plus appropriés ? Maintiendrons-nous au tribunal d'instance le traitement des dossiers de tutelle, alors que le tribunal de grande instance connaît de l'ensemble du droit de la famille ? Nous l'oublions trop souvent : la juridiction d'instance est une instance de conciliation et de pacification des conflits. Or le système actuel est inadapté, obsolète et peu pertinent.

Les critères qui doivent présider à la réforme sont l'accessibilité, la gratuité – Mme la garde des sceaux s'est engagée à la suppression du droit de timbre de 35 euros –, la rapidité, sans pour autant favoriser une justice expéditive, la lisibilité et la bonne compréhension. En somme, nous avons l'ambition d'une justice de qualité, rendue par des professionnels formés et compétents, tant en ce qui concerne l'assistance que le jugement.

La justice de proximité est celle du quotidien, des tracas, des litiges qui empoisonnent la vie comme les conflits de voisinage. Cette justice n'est absolument pas médiatique. Elle a vraiment besoin d'être mieux connue. Elle doit aussi rétablir les équilibres, accompagner nos concitoyens qui rencontrent des difficultés liées à des problèmes locatifs, à la consommation ou au surendettement. À ce sujet, je me permets de rappeler que nombre de juges de proximité ont déjà cessé leurs fonctions, et que les juges d'instance vont devoir absorber la charge de travail induite. Serons-nous prêts pour la réforme des tutelles, avec une échéance fixée au 1er janvier 2014 ? Il le faudra pourtant !

Les juges d'instance s'inquiètent légitimement. Le vieillissement de la population accentue cette inquiétude partagée. À ce phénomène vient s'ajouter, depuis le 1er septembre 2012, le contentieux du surendettement, auparavant traité par les juges de l'exécution du tribunal de grande instance, qui ira croissant – on le voit déjà depuis plusieurs mois – dans le contexte de crise que nous connaissons.

La réflexion devra aussi intégrer le projet d'action de groupe pour lequel notre ministre souhaite s'engager et a déjà entamé une réflexion que nous accompagnerons.

Nous n'aurons pas trop de deux ans pour voir aboutir cette réflexion et préparer une réforme efficace, digne, juste et équilibrée.

C'est pour l'ensemble de ces raisons que nous voterons cette proposition de loi.

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