Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes appelés ce soir à donner une sanction définitive aux travaux qui ont accompagné la gestation, puis le vote, du projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme.
Le texte qui nous revient après la tenue de la commission mixte paritaire, puis le vote du Sénat lundi dernier, est un texte équilibré, qui porte la marque de nos deux assemblées.
Je préciserai dans un instant quel est cet équilibre auquel nous sommes parvenus grâce aux travaux de la commission mixte paritaire. Je me borne à rappeler brièvement au préalable les origines et les raisons d'être de ce texte.
L'affaire Merah avait conduit la majorité précédente, on le sait, à mettre sur pied un projet de loi qui n'avait toutefois pas dépassé le stade du Conseil des ministres. La majorité issue du vote présidentiel puis législatif du printemps dernier a remis sur le métier ce projet, avec l'appréciation qu'il lui appartenait de porter et qui a conduit à regarder certaines dispositions comme pertinentes et d'autres moins acceptables, que ce soit au regard des principes mêmes – on songe au délit de consultation de sites faisant l'apologie du terrorisme – ou au regard de l'efficacité.
Mais l'affaire Merah n'est que la partie visible d'un phénomène relativement nouveau, qu'il convenait de cerner au mieux. Il s'agit des possibilités nouvelles offertes par la communication électronique pour attirer et former ce qu'il faut bien nommer, hélas, des apprentis terroristes.
Le Gouvernement, comme le Sénat et comme l'Assemblée en première lecture, s'est montré soucieux de trouver une pleine réponse aux défis nouveaux qui sont ainsi posés à la lutte antiterroriste dans un État de droit.
À cet égard, il ne suffit pas de créer de nouvelles incriminations ; il convient de réfléchir au dispositif le plus efficace pour limiter, et s'il se peut réduire à néant, la nuisance de sites au rôle particulièrement actif.
La question de la « captation des données » par l'utilisation de logiciels espions aptes à s'introduire à distance dans les sites à raison de leur dangerosité demande que soit évaluée la pertinence de dispositifs adéquats. Le Gouvernement mène une réflexion sur ce problème afin d'aboutir à un dispositif débarrassé de tout risque constitutionnel et pourvu d'une efficacité suffisante. Votre rapporteur tient à souligner ce point.
J'en viens à présent aux dispositions résultant des travaux de la commission mixte paritaire.
Tout d'abord, la majorité des dispositions que nous avions votées ici a été maintenue, parfois sous réserve de modifications rédactionnelles ou de corrections de portée mineure. C'est le cas, à l'article 2, de la nouvelle incrimination pour délits rattachables au terrorisme commis à l'étranger, incrimination étendue, comme vous l'aviez voulu, aux personnes résidant habituellement en France.
C'est encore le cas pour les modifications portées par l'article 2 ter à la loi de 1881, étendant la prescription et la possibilité de détention provisoire en matière d'apologie du terrorisme.
C'est enfin le cas pour les dispositions bénéficiant aux victimes du terrorisme, et notamment les dispositions qui, à côté d'une mention sur l'acte de décès qui apporte assez peu, à vrai dire, aux droits que les victimes tiennent déjà de la loi, allongent le délai de prescription comme le fait l'article 2 quater A en l'alignant sur le droit commun.
Sont également maintenues dans le texte, respectivement aux articles 2 quater à 2 sexies, certaines modifications de la procédure de gel des avoirs financiers.
Enfin, à l'article 3, est maintenue une innovation proposée par le Gouvernement, consistant à créer une rubrique « Mort pour le service de la Nation » permettant de reconnaître le sacrifice des agents publics civils et militaires tués en service ou, comme les militaires de Montauban victimes de Merah, à raison de leur qualité.
Cette dernière innovation a été améliorée par le rapporteur du Sénat, et la commission mixte paritaire a adopté les modifications qu'il a proposées sur le texte voté par l'Assemblée, donnant au ministre le pouvoir et non l'obligation de reconnaître la qualité de « Mort pour le service de la Nation » ; faculté également étendue à la qualité de « Victime du terrorisme » et donnée en ce cas au ministre de la justice.
J'en viens donc aux modifications résultant de la commission mixte paritaire. Tout d'abord a été réintroduit un article 2 bis que le Sénat avait voté en première et unique lecture, qui vise à créer une incrimination spécifique de recrutement en vue de participer à un groupement terroriste ou de commettre un acte terroriste.
Votre assemblée, comme la commission des lois et comme le rapporteur, n'avait pas vu l'utilité d'une telle incrimination, déjà contenue dans celle d'association de malfaiteurs en vue de commettre un acte terroriste, et pouvant même conduire, si j'en crois plusieurs des personnes auditionnées, à affaiblir cette dernière incrimination. La commission mixte paritaire l'a toutefois réintroduite en se fondant sur ce qu'elle apportait une précision qui a paru utile à la majorité de ses membres.
Deux autres modifications sont encore et pour finir à exposer. À l'article 3, 1a procédure d'expulsion d'un étranger dont la présence porte atteinte à l'ordre public a fait l'objet d'un débat au terme duquel la commission mixte paritaire est convenue que cette procédure, telle que modifiée par le Sénat, devait s'appliquer, comme l'avait souhaité votre assemblée, à tout étranger entrant dans le champ de l'article L 522-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile – CESEDA – et non aux seuls étrangers susceptibles d'être regardés comme terroristes. Par ailleurs, le délai supplémentaire d'un mois laissé à l'étranger pour saisir à nouveau la commission a été réintroduit dans la loi elle-même.
Le souci d'une majorité de sénateurs, sur cette disposition, de ne pas mêler le traitement du terrorisme avec celui des questions de sécurité, semble à votre rapporteur et, comme on peut l'imaginer, à beaucoup d'entre vous, un souci légitime. Mais il ne s'agit ici que d'une disposition de pure procédure administrative, portant sur quelques dizaines de cas par an, et le fait qu'en dehors de ce cas marginal le présent projet de loi ait pour objet d'accentuer les traitements spécifiques, tant préventifs que répressifs, du seul terrorisme est la preuve même qu'il s'agit bien d'un texte ne mêlant pas des impératifs ou des questions qui sont en effet différents.
Enfin, la commission mixte paritaire a, comme le Sénat, refusé la ratification du code de la sécurité intérieure. Le point n'est pas majeur et il serait sans doute abusif d'y voir une différence d'approche, plus encore de doctrine, entre les deux assemblées quant aux modalités de ratification de codes dont elle ont déjà eu à connaître du contenu.
Qu'il me soit enfin permis, au moment où nous allons inscrire dans notre droit une loi ayant pour objet principal le terrorisme – la troisième seulement depuis 25 ans –, d'en souligner certaines caractéristiques propres.
Il est indiscutable qu'elle a été conçue dans la perspective d'une lutte plus efficace contre ce qu'il est convenu de nommer le djihadisme et en gardant le souci, je l'ai dit, de prévoir tous les moyens nécessaires de se prémunir à l'avenir contre le cyberdjihadisme.
Ce fléau permettant de démultiplier l'action terroriste à tous les stades est spécifique à notre temps. D'abord, certes, parce que les méthodes de communication électronique le servent en démultipliant ses possibilités et ses effets. Mais aussi, est-il permis de penser – c'est du moins une réflexion de votre rapporteur –, parce que ces mêmes moyens, redoutables, n'auraient pas d'efficacité s'ils ne reposaient sur un développement de formes du terrorisme à l'intérieur même de notre pays, alimentées au terreau d'extrémismes qui importent des formes de radicalité qui jusqu'ici, quelles qu'en soient les raisons, nous étaient épargnées.
Ce contexte méritait, je pense, d'être rappelé pour expliquer que le texte soit principalement dirigé contre la menace du djihadisme, élément marquant des débuts du XXIe siècle, et non contre le terrorisme interne de factions indépendantistes ou de mouvements se réclamant d'une radicalité révolutionnaire, comme nous l'avons davantage connu jusqu'aux années 80 et 90.
Sans doute les historiens diront-ils un jour que le terrorisme aura connu des formes variables aux XXe et XXIe siècles. Il reste que ce qu'il a en commun est cette position d'altérité radicale par rapport à des valeurs auxquelles nous sommes légitimement attachés. Nos valeurs républicaines doivent impérativement être défendues, porteuses qu'elles sont d'un idéal collectif pacifique né du débat raisonné. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)