Intervention de Frédéric Reiss

Réunion du 30 juin 2015 à 16h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédéric Reiss :

En raison de son importance, nous nous étonnons que le Gouvernement ait déclaré l'urgence sur ce texte, qui devrait donc être examiné fin juillet. D'ailleurs, Mme la rapporteure a dû travailler dans des délais inacceptables. Mais autant sur la forme que sur le fond, nous nous interrogeons.

L'« immigration zéro » est un mythe autant qu'une absurdité, et elle n'est d'ailleurs pas souhaitable. En revanche, la France ne peut accepter des étrangers sur son territoire qu'en fonction de ses capacités d'accueil. Certes, notre responsabilité de nation humaniste est d'ouvrir nos portes aux réfugiés et d'accueillir convenablement ceux auxquels nous donnons un droit de séjour chez nous. Mais, dans un contexte de crise économique et de crise de l'intégration, avons-nous d'autre choix que de réduire l'immigration ?

Or le gouvernement actuel, insidieusement et sans changer la loi ni remettre en cause directement les textes que la majorité précédente a votés, a déjà procédé par circulaires, par annonces, par instructions et largement assoupli les critères de régularisation, diminué les expulsions d'immigrés illégaux et facilité l'accès à la nationalité française : la franchise de 30 euros pour l'aide médicale d'État (AME) a été supprimée dès juillet 2012 ; les députés de la majorité ont voté une baisse de 50 % du coût d'un visa pour un titre de séjour ; en novembre 2012, le ministre de l'intérieur, Manuel Valls, a assoupli les critères de régularisation des sans-papiers.

Dans un tel contexte et parce que nous avons bien vu que la gauche de la gauche avait fait pression pour l'inscription de ce texte, nous ne pouvons que lire les articles sur lesquels nous sommes saisis avec inquiétude, tant les dérives potentielles qu'il comporte sont nombreuses.

La mise en place d'un titre de séjour pluriannuel n'est pas en soi une mauvaise mesure. Le fait d'obliger tout le monde à retourner systématiquement tous les ans en préfecture n'est pas indispensable et engorge les services. En revanche, les conditions de délivrance doivent être d'autant plus strictes, ce qui est loin d'être le cas. Premier exemple : le texte étend le bénéfice du dispositif aux artistes interprètes ou aux auteurs d'une oeuvre artistique régis par l'article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle. Cet article mentionne les oeuvres de l'esprit, les oeuvres dramatiques, chorégraphiques, musicales, cinématographiques ou photographiques, mais aussi les livres, les brochures, les conférences, les allocutions, les sermons… Combien de personnes cela représente-t-il ? Deuxième exemple : il en est de même des personnes procédant à un investissement économique direct en France. Nous pensons là encore que c'est la porte ouverte à de nombreuses dérives.

Quand je lis sous la plume de notre rapporteure que « le projet de loi vise à renforcer l'attractivité de la France », je m'interroge sur ce qu'elle appelle « les talents internationaux et leurs familles ».

Sur le plan social, je m'interroge sur une disposition du projet qui permet à une personne qui perd son emploi, de voir son titre de séjour renouvelé pendant une année, augmentée de la durée des droits acquis à indemnisation restants. Cette durée m'apparaît bien imprécise et contestable.

La mise en place d'un parcours plus individualisé comprenant des formations relatives au fonctionnement de la société française et aux valeurs de la République, ainsi qu'une formation renforcée d'apprentissage de la langue française, est une initiative que l'on pourrait considérer comme positive. En revanche, s'agissant des conditions, plusieurs questions restent en suspens. Déjà, un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de l'automne 2013 avait évalué à 46 millions d'euros par an le coût total de l'objectif de l'atteinte d'un niveau A.1, et à 80 millions d'euros annuels le coût de l'atteinte d'un niveau A.2. Or il n'y a rien de précis dans l'étude d'impact. Comment allons-nous financer ces formations ? Ces dernières doivent-elles vraiment être totalement gratuites pour les personnes que nous accueillons ? Une participation financière des bénéficiaires ne nous semblerait pas incongrue. Et une fois ces formations dispensées, la surveillance de l'assiduité ne suffira pas, madame la rapporteure, pour garantir le niveau réellement acquis.

Je veux dire par là que de nombreuses questions mériteraient d'être approfondies. Nous légiférons trop vite, au risque de commettre des erreurs, à partir d'un texte technique et très approximatif proposé par le Gouvernement. La majorité ne s'étonnera pas de ma conclusion : malgré quelques dispositifs acceptables et qui seront examinés demain en commission des lois, le groupe Les Républicains se prononcera sans doute majoritairement contre ce texte.

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