Intervention de Gaby Charroux

Séance en hémicycle du 13 décembre 2012 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2013 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGaby Charroux :

Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, prenant la parole devant les acteurs de la lutte contre l'exclusion en clôture de la conférence nationale de lutte contre la pauvreté, mardi dernier, M. le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a rappelé que la pauvreté était passée de 12,9 % de la population en 2002 à 14,1 % en 2010, et probablement encore davantage en 2011 et 2012.

Nous voyons là le résultat de dix années d'une politique de droite qui n'a jamais eu d'autre objectif, sous le couvert de moderniser notre pays, que d'encourager et conforter l'emprise de la finance, au seul bénéfice des détenteurs de capitaux.

Les dégâts sont considérables : un million de chômeurs en plus ; 720 000 emplois supprimés dans l'industrie ; une dette publique qui a quasiment doublé, passant de 900 à 1 700 milliards d'euros ; 8,6 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté avec moins de 964 euros par mois, soit 300 000 de plus qu'en 2007 !

Dans le même temps, les entreprises du CAC 40 n'ont jamais autant distribué de dividendes, les richesses de quelques-uns ayant atteint des niveaux insolents.

Nous en voulons pour preuve les chiffres publiés cette semaine par le cabinet Proxinvest sur la rémunération des dirigeants des entreprises du CAC 40.

Le patron de Publicis a ainsi empoché l'année dernière, grâce au versement anticipé de ses bonus différés, 19,6 millions d'euros de rémunération. Le patron de Renault, qui tente d'arracher des accords de compétitivité dans ses usines pour baisser le coût du travail, a quant à lui vu sa rémunération croître de 38 %, à 9,7 millions d'euros ; une rémunération équivalente à celle d'un autre patron, candidat à l'exil en Belgique. Quant au patron de GDF-Suez, il a vu sa rémunération progresser plus vite encore que les prix du gaz, de plus de 44 %, à 4,8 millions d'euros. Pour la première fois en 2011, le salaire fixe moyen des dirigeants du CAC 40 a franchi le million d'euros.

Ces chiffres méritent d'être rappelés, car ces mêmes dirigeants du CAC 40 ont adressé, il y a quelques semaines, dans les colonnes d'un hebdomadaire dominical, une lettre ouverte à M. le Président de la République pour revendiquer une baisse du coût du travail d'au moins 30 milliards d'euros en deux ans, le transfert de 15 milliards d'euros de cotisations vers la TVA, et une baisse drastique de 15 milliards d'euros des dépenses publiques.

Pour ces dirigeants, qui continuent de s'enrichir sans frein, la crise n'est que le prétexte pour justifier l'injustifiable et serrer, cran après cran, la ceinture au peuple.

Nous rappelons ces éléments, parce que c'est à l'aune de l'accroissement des inégalités depuis dix ans et des difficultés grandissantes que connaît l'immense majorité de nos concitoyens depuis trois ans qu'il nous faut apprécier la pertinence des choix budgétaires. La seule question qui se pose est de savoir si ces choix sont de nature à favoriser la croissance et l'emploi et à desserrer l'étau de la contrainte exercée par les marchés financiers.

Vous avez souhaité placer ce projet de loi de finances sous le signe de la justice, afin de remettre celle-ci au coeur du système fiscal. Cette préoccupation se trouve en effet au coeur des combats politiques menés par toute la gauche depuis une décennie, au coeur des propositions que nous avons défendues ensemble, face à l'offensive continue de la droite contre l'égalité devant l'impôt, contre la dépense publique et donc les services publics, contre l'intervention et le rôle de l'État dans la vie de la nation.

Nul ne peut nier que des progrès ont été réalisés en ce sens depuis juin, en termes de progressivité de l'impôt sur le revenu, même si elle reste à nos yeux encore insuffisante.

On peut citer la remise sur pied, au moins partielle, de l'impôt de solidarité sur la fortune ; le début d'un alignement de la fiscalité des revenus du capital, de la rente, et du patrimoine sur celle des revenus du travail ; l'amorce d'une mise en question des choix d'optimisation fiscale des entreprises avec, encore très récemment, l'exemple de l'amendement visant à ajuster les conséquences de la réforme de la taxe professionnelle, à propos de la cotisation foncière des entreprises. Nous appuyons sans réserve ces orientations.

Force est cependant de constater que votre engagement en faveur de la justice fiscale et l'ambition de sortir le plus rapidement possible du profond marasme économique et social actuel se heurtent à deux contradictions.

La première de ces contradictions tient aux engagements européens de la France. Le projet de loi de finances pour 2013 est tributaire de ces engagements. Les gouvernements et les institutions européennes demeurent aujourd'hui focalisés sur la mise en oeuvre des principes et règles d'austérité budgétaire, uniquement préoccupés de donner des gages sur leur discipline budgétaire à moyen terme pour tenter de conjurer la défiance des marchés.

Les mesures prévues dans le fameux « pacte de croissance » n'y suffiront sans doute pas. Elles ne sont à l'évidence pas à la hauteur des besoins, ni ne seront de nature à contrebalancer les effets récessifs des politiques de rigueur actuelles.

Nous nous voyons sans cesse renvoyés à l'austérité. Cette austérité réduit peu la dette, mais laisse en revanche en l'état la logique libérale qui prévaut en Europe, laquelle encourage le dumping social et fiscal, et handicape le développement économique.

S'il nous faut sortir de la spirale de l'endettement, cela ne peut être qu'en retrouvant le chemin de la croissance et de la création d'emplois, ce qui nous conduit tout naturellement à évoquer la question de nos entreprises.

Contrairement à une idée reçue, la situation de celles-ci ne s'est pas dégradée du fait d'un coût salarial trop élevé, mais à raison d'une multitude de facteurs, étroitement imbriqués, au premier rang desquels la financiarisation croissante qui a fait disparaître la majeure partie des entreprises – grandes et moyennes – véritablement indépendantes, la surévaluation de l'euro à partir de 2002-2003, et les difficultés accrues d'accès au crédit depuis le début de la crise.

Nous avons appuyé la création de la Banque publique d'investissement qui, en dépit de l'insuffisance des moyens dont elle dispose pour l'instant, va dans le bon sens, car ce type d'instrument peut aider à sortir des logiques financières et à remettre la finance au service de l'industrie et du développement des activités productives.

La seconde contradiction tient aux reculs du Gouvernement sur des sujets qui n'ont rien de symbolique et alimentent une certaine confusion.

Vous vous êtes engagés dans la voie de l'alignement de la fiscalité du capital sur celle du travail. Pourquoi n'êtes-vous pas allés au bout de cette réforme utile et avez-vous cédé aux revendications de ces chefs d'entreprise qui se sont eux-mêmes baptisés « pigeons », dont le principal, sinon l'unique, souci est non pas de créer des emplois ou de s'inscrire dans une démarche de long terme, mais de conserver leur entreprise le temps strictement nécessaire pour empocher de juteuses plus-values ?

Le pragmatisme et le souci légitime de tenir compte de certaines situations particulières ne doivent pas conduire, me semble-t-il, à donner des coups de volant, un jour à droite, le lendemain à gauche.

La même remarque vaut pour l'impôt sur les sociétés. Vous avez proposé, dans le cadre du présent projet de loi, une série de dispositions portant sur l'imposition des sociétés dont le produit attendu est de 8 milliards d'euros. Puis, à quelques semaines d'intervalle, vous décidez d'amputer brutalement le même impôt de 20 milliards avec la création d'un crédit d'impôt compétitivité.

Il importe aujourd'hui, à nos yeux, de renforcer la cohérence des choix en matière de politique économique et fiscale, mais surtout d'inverser la logique en cours et de mettre fin à la mise sous tutelle financière du tissu économique.

La finance doit être de nouveau au service de l'économie. C'est la raison pour laquelle nous défendons, en matière de fiscalité des entreprises, le principe de la modulation de l'imposition des entreprises et des cotisations patronales en fonction de l'usage qu'elles font de leurs bénéfices.

L'idée est là encore, à l'inverse de la politique conduite par la droite, de dissuader la rente et de favoriser l'investissement productif et la création d'emplois en pénalisant les entreprises qui distribuent massivement des dividendes à leurs actionnaires et de baisser l'impôt des entreprises qui investissent, innovent, créent de l'emploi, forment et rémunèrent correctement leurs salariés. Cette proposition fait consensus à gauche. François Hollande avait lui-même formulé le voeu d'une telle réforme en 2011. Pourquoi ne pas privilégier cette voie plutôt que de reconduire des solutions qui n'ont pas fait la preuve de leur efficacité ou de reculer sous les menaces et imprécations de la présidente du Medef ?

Le sérieux et la crédibilité de la gauche passent, selon nous, par l'affirmation d'une plus grande audace sur le terrain des réformes économiques et fiscales.

Tout au long des débats de ces dernières semaines, tant à l'Assemblée qu'au Sénat, nous avons défendu des amendements qui, il y a quelques mois encore, faisaient consensus dans les rangs de la gauche. Je pense, en particulier, aux nombreux amendements votés l'année dernière au Sénat, à l'initiative de Nicole Bricq, alors rapporteure générale de la commission des finances, qui ont été rejetés par le Gouvernement. Nous regrettons qu'à chacun ou presque de ces amendements, à toutes nos sollicitations ou même celles d'autres composantes de la gauche, concernant non seulement nos propositions en matière de fiscalité, mais aussi la situation des collectivités locales ou des administrations et services publics, vous ayez régulièrement répondu que vous étiez parvenus à un équilibre budgétaire que vous ne pouviez défaire.

Nous regrettons de ne pouvoir partager ce sentiment, car l'équilibre que vous avez trouvé confine, pensons-nous, à une forme de grand écart entre la poursuite d'une politique de gauche bienvenue et hélas ! l'obéissance aux marchés financiers.

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