, l'entreprise familiale vosgienne de soixante personnes que je préside, réalise un chiffre d'affaires de 10 millions d'euros. Elle cherchait, avant le 1er janvier 2005 et la fin des quotas dans le textile et l'habillement, à produire un volume permettant de gagner en productivité par l'abaissement du prix de revient. À la suite de ce changement, l'outil industriel et les qualifications des salariés ont été adaptés à une production en petite série. Les activités qui peuvent plus difficilement se différencier – comme la filature en amont – ont été abandonnées. Notre stratégie repose dorénavant sur la diversification des marchés. Ainsi, nous fabriquons, par exemple, 40 000 sacs de caisse en coton biologique pour Carrefour. Ce contrat possède un fort potentiel de croissance : il répond à une urgence environnementale, celle de remplacer les sacs en plastique ; il développe un partenariat entre un petit producteur et un grand distributeur ; il rejoint, enfin, des aspirations éthiques, exprimées par ceux que l'on nomme les « consom'acteurs ».
Le secteur du textile est présenté, depuis de nombreuses années, comme étant dans un état d'agonie prolongée. Or, en 2011, l'industrie textile française – composée de 2 300 entreprises dont 600 de plus de vingt salariés – a réalisé un chiffre d'affaires de 12,8 milliards d'euros, en croissance de 5 % par rapport à 2010. Ses 70 000 salariés travaillent dans la mode, la maison et les marchés techniques des transports, de la construction, de la santé, de l'emballage ou de l'agriculture. Ces marchés techniques représentent plus de 40 % de l'activité textile française. Depuis 2010, la branche emploie plus d'employés et de cadres que d'ouvriers, ce qui constitue une véritable rupture.
Le coût du travail atteint 60 % du chiffre d'affaires des confectionneurs de maille ou de lingerie et entre 20 % et 25 % dans les entreprises de tissage et dans celles de non-tissé. Le cabinet Werner a calculé que le coût de l'heure de travail dans l'industrie textile française s'élevait à 23,02 euros pour l'employeur, en 2011, contre 20,85 en Allemagne, 16,1 en Italie et 13,82 en Espagne. Il serait de 2,10 dollars en Chine et de 60 cents au Vietnam, mais nous ne nous comparons pas à ces pays en développement. Cette différence en Europe est due au poids des charges sociales, à l'absence de salaire minimum en Italie et en Allemagne et à son faible niveau en Espagne – 748 euros par mois en 2011 contre 1 365 en France, le SMIC horaire ayant augmenté de 41 % depuis 2001, alors que les prix n'ont progressé que de 21 %. Davantage que l'Allemagne, le principal concurrent de la France dans le textile est l'Italie. L'écart de 40 % du prix du travail au détriment de la France se retrouve dans la balance commerciale, qui a affiché un déficit de 884 millions d'euros dans ce secteur avec notre voisin transalpin en 2011.
Le prix des matières premières utilisées dans le processus de production – coton, polyester, laine, soie, polypropylène – connaît une grande volatilité : ainsi, le cours du coton a été multiplié par trois entre l'automne 2010 et mars 2011. Les grands producteurs – la Chine, l'Inde, le Pakistan et le Brésil – possèdent une industrie textile très développée, ce qui accroît la dépendance de l'Europe vis-à-vis de ces pays émergents qui ont la capacité de faire varier les prix ou de restreindre l'accès aux matières premières. L'Union des industries textiles cherche avec l'Union européenne à élaborer une diplomatie des matières premières qui permette de résoudre ce problème.
L'énergie occupe une part importante dans le coût de production, même si son poids se ressent davantage dans certains maillons de la filière textile – comme la production de fibres et de non-tissé qui consomme beaucoup d'électricité ou l'ennoblissement qui nécessite une grande quantité de gaz. Pour ces activités, le coût de l'énergie atteint 20 % du chiffre d'affaires des entreprises, qui sont donc sensibles à toute hausse du prix ou de la fiscalité énergétiques. Les PME industrielles doivent être protégées d'une augmentation brutale du coût de l'énergie et incitées, par une fiscalité « verte », à réduire leur consommation. Or, l'Union française de l'électricité a annoncé un accroissement des prix de l'électricité et du gaz. Si le nucléaire ne devait plus représenter que 50 % de la production d'énergie, le besoin d'investissement dans les énergies alternatives atteindrait 400 milliards d'euros, ce qui élèverait le prix du mégawatt par heure de 20 euros pour les entreprises, alors qu'il s'établit à environ 55 euros aujourd'hui.
Les taxes sur la production – taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), contribution au service public de l'électricité (CSPE) et impôts fonciers, dont la cotisation foncière des entreprises (CFE) – sont en progression ces dernières années ; elles atteignent 2,5 % de la valeur ajoutée et pèsent ainsi sur la compétitivité « coût » des entreprises industrielles.
S'agissant de la compétitivité « hors coût », le crédit d'impôt collection, propre au secteur de l'habillement et du cuir, doit être maintenu : il permet le renouvellement rapide des collections pour un coût budgétaire annuel inférieur à 150 millions d'euros. En outre, l'action d'Ubifrance doit être préservée, car elle a su créer des partenariats utiles pour l'exportation – y compris pour les branches dont la balance commerciale est déficitaire – en accompagnant les entreprises dans leur quête de relais de croissance sur les marchés étrangers. Dans l'industrie textile, 40 % du chiffre d'affaires des entreprises est réalisé à l'export.
Le CICE est une mesure positive pour trois raisons : sa montée en puissance ne durera que deux ans et non trois, si bien que les 20 milliards d'euros seront perçus dès 2014, ce qui aidera les entreprises à faire face à la dégradation de la conjoncture ; il s'ajoute aux allègements de charges sociales sur les bas salaires compris entre 1 et 1,6 SMIC ; son ciblage est adapté à l'industrie du textile puisqu'il couvrira, selon COE-Rexecode, 80 % à 90 % de sa masse salariale.
Autre innovation heureuse, la création de la Banque publique d'investissement (BPI) permettra de lutter contre certains effets de la restriction du crédit. Cependant, des doutes subsistent quant à sa gouvernance nationale et régionale, au rôle accordé aux syndicats de salariés, au risque de clientélisme – selon M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances, 90 % des engagements financiers seront décidés dans les régions – aux règles prudentielles applicables aux fonds d'investissement et aux opérations de financement, et aux garanties d'étanchéité entre les activités de prêt, d'apport de garantie et de fonds propres.