La Générale du granit est une petite entreprise, qui emploie 130 compagnons formés au Centre d'apprentissage de Louvigné-du-Désert. Cette entreprise familiale, créée il y a une cinquantaine d'années, est leader français dans le domaine des roches ornementales dures. Héritiers du savoir-faire des tailleurs de pierre traditionnels, nous utilisons des techniques sophistiquées à l'aide d'outils diamantés et de machines à commande numérique. Le travail de main est réservé aux finitions nobles nécessaires à la réalisation d'édifices et de monuments.
Nous avons fourni en granit breton l'aménagement de la place du Grand Louvre à Paris, de la mairie de Copenhague et de la Cour européenne de justice à Luxembourg, ainsi que le Swiss Re Building pour Norman Foster, le Musée d'art moderne pour Ieoh Ming Pei et les Champs Libres pour Christian de Portzamparc. Nous finissons actuellement la fourniture en granit du sol du tramway parisien. Nous avons également participé à la réalisation d'oeuvres d'art : l'alignement du XXIe siècle à Rennes, l'amphithéâtre en plein air de Marta Pan, les sculptures de Satoru Sato à Tokyo et la boule de l'Assemblée nationale, réalisée pour le bicentenaire de la Révolution française. Notre savoir-faire est reconnu dans le monde entier. Nos exportations, actuellement en diminution, représentent 25 % de notre production.
Les coûts de transport représentent 12 % de notre chiffre d'affaires. Depuis quelques années, ceux du transport routier ont fortement augmenté. Or nos produits sont pondéreux et notre implantation en Bretagne nous désavantage quand nous exportons vers l'Allemagne et l'Europe du Nord. Dans les années 80, quand Saint-Malo était le port du commerce du granit brut pour tout le nord de l'Europe, c'était un avantage pour nous, mais les nombreuses grèves des dockers et le blocage des bateaux ont provoqué le déplacement de ce commerce vers Anvers.
Il est dommage que la politique du transport ait privilégié la voie terrestre. Si l'on mettait en place des lignes de cabotage, la Bretagne se retrouverait au centre de l'Europe. Ce mode de transport désenclaverait une région tournée vers l'agroalimentaire, protégerait le transport local pillé par les transporteurs étrangers en mal de fret de retour et réduirait notre facture carbone en évitant le passage du fret par la Manche.
Le CIR ne nous concerne pas, car nous ne faisons pas beaucoup de recherche. Chez nous, la « matière grise » est dans la carrière. Sur le plan strictement technique, nous devrions bénéficier du crédit d'impôt en faveur des métiers d'art, mais nous sommes trop peu nombreux, dans la profession, pour faire du lobbying, ce qui explique que nous n'ayons pas eu accès à ce dispositif.
Le problème de l'accès au financement ne se pose pas pour nous en ce moment, puisque nous n'investissons plus.
Un de nos problèmes est le « verdissement » de l'économie, qui conditionne l'accès à la matière. Nous avons de plus en plus de mal à obtenir des autorisations d'exploitation. Nos principaux contrôleurs sont les services de l'État. Dans un premier temps, il s'agissait des directions régionales de l'industrie et de la recherche (DRIR), dont le personnel, constitué principalement d'ingénieurs, s'est « fonctionnarisé » quand ces instances sont devenues les directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE). Quand les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) leur ont succédé, le mot environnement a purement et simplement chassé celui d'industrie. ! Or, si nous voulons conserver nos emplois, il faut que nous puissions extraire nos matériaux sans que l'administration considère toute carrière comme destructrice de l'écosystème. Pour l'industrie, s'il vous plaît, rendez un peu de pouvoir aux ingénieurs !
Dans notre activité, le coût des salaires représente 35 % à 40 % du chiffre d'affaires. Nous subissons depuis des années la concurrence des entreprises chinoises ou indiennes, qui s'est imposée quand la France passait aux 35 heures et alors que l'Allemagne, notre principal client à l'exportation, augmentait au contraire le temps de travail hebdomadaire. Les salaires sont pour nous un poste crucial. Depuis trois ans, nous subissons en outre la forte concurrence de l'Espagne et du Portugal. Dans ces pays, le marché intérieur de la pierre naturelle de construction s'est effondré avec la crise, et les salaires réels ont fortement diminué. Ils ont été divisés de moitié au Portugal, où ils étaient déjà bas, et ils ont baissé de 30 % à 40 % en Espagne, ce qui compense largement le surcoût du transport. De plus, ces pays ont bénéficié d'aides importantes de l'Union européenne pour construire une filière industrielle dans des secteurs ruralisés, ce qui a fait baisser le coût de leurs investissements.
Dans la profession, la plupart des entreprises emploient moins de vingt personnes, et, de ce fait, ne sont pas soumises aux mêmes obligations que nous. Cette inégalité entre les sociétés de taille différente crée, dans le secteur, une concurrence déloyale. Je vous engage donc à être très attentifs aux effets de seuil lors de la mise en place de toute nouvelle réglementation.
Je vous ai remis un schéma de l'évolution depuis 1987 de notre chiffre d'affaires, de notre effectif, du montant des salaires chargés, de la somme des salaires, charges, énergie et transport, ainsi que du chiffre d'affaires à l'exportation, des impôts et taxes, et de l'excédent brut d'exploitation. Après le krach immobilier européen de 1992, le marché a baissé jusqu'en 1996. Lors du redémarrage, nous avons fortement exporté et retrouvé des marges grâce aux gains de productivité que nous ont ouverts nos investissements. Puis, la loi sur les 35 heures, en 1999, et l'augmentation du coût des transports, de l'énergie et des salaires ont rongé notre rentabilité, malgré une forte diminution de notre effectif. Nos prix ont augmenté. Devenus moins compétitifs, nous avons moins exporté, d'autant que l'arrivée des produits chinois a brisé nos marges. L'excédent brut d'exploitation est devenu inférieur au montant de nos impôts et taxes, ce qui nous interdit d'investir et d'embaucher. Depuis 2009, du fait de la crise mondiale et de la pression de nos concurrents ibériques, nous perdons de l'argent, ce qui ne nous était jamais arrivé.
Dans notre secteur – production à fort taux de main-d'oeuvre et soumise à la concurrence internationale –, il faut baisser fortement les charges sur les salaires si l'on veut redonner de la compétitivité aux entreprises. Toute réduction de charges sera bonne à prendre, pourvu qu'elle soit forte et durable. Car nous ne pouvons nous engager sans visibilité : il faut cesser de modifier les règles à chaque changement de Gouvernement. Pour retrouver confiance, les petits entrepreneurs ont besoin de stabilité. Concentrez les aides sur les industries de production, les emplois de service suivront. Redonnez de la compétitivité à nos entreprises ! C'est un devoir politique.