Je suis à la tête d'une petite société située dans l'Ille-et-Vilaine, à proximité de l'autoroute A84, qui fabrique des maillots de bain et de la lingerie haut de gamme. À sa création, en 1979, l'entreprise employait quinze personnes, avant d'évoluer et de travailler pour des clients prestigieux : Chanel, Vuitton, Eres ou Lise Charmel. Quarante-six employés sont actuellement répartis sur deux sites. Nos atouts sont la qualité, la réactivité et le conseil aux clients. Ceux-ci sont en majorité français, mais nous vendons aussi notre production en Europe, en Asie et en Amérique.
La confection française, gage de qualité, coûte cher. La main-d'oeuvre représente plus de 80 % de nos charges. Dans ce domaine, nous ne pouvons rivaliser avec la concurrence étrangère. En Tunisie, le salaire moyen mensuel se monte à 150 euros, ce qui place le coût de la minute de travail à 0,12 euro, contre 0,5 en France. Un soutien-gorge de base coûte 2,40 euros en Tunisie, contre 10 dans notre pays.
Depuis dix ans, la confection française a connu une baisse considérable, imputable à la délocalisation de la production. Selon le rapport Gallois, l'industrie manufacturière ne représente en France que 10 % de la valeur ajoutée de l'ensemble des branches, contre 26 % en Allemagne et 14,5 % en Europe. Les perspectives commerciales s'améliorent cependant grâce au retour du « made in France ». Ainsi, un de mes clients historiques a choisi de revenir en France après quelques années de tentations étrangères. Depuis trois ans, nous collaborons avec une jeune marque qui prône le label made in France. Cette cliente fait partie des entreprises qui ont représenté la France au G20 de Mexico.
Nous avons toujours souhaité nous diversifier et évoluer tout en préservant nos valeurs : notre entreprise familiale et rurale noue un vrai partenariat avec ses clients. Nous travaillons en toute confiance avec eux pour maintenir notre éthique et notre qualité, qui est avant tout celle de notre personnel. Certaines employées travaillent pour nous depuis la création de l'entreprise, ce qui signifie que nous connaîtrons bientôt une vague de départs à la retraite. Pour l'anticiper, nous avons intégré six personnes depuis deux mois, dans le cadre d'un contrat de professionnalisation. Nous en accueillerons quatre autres en mars. Ce recrutement a été effectué en collaboration avec Pôle emploi, la chambre de commerce et notre organisme paritaire collecteur agréé (OPCA).
Nous rencontrons un double problème d'accès au financement.
La première difficulté vient des banques. Notre activité étant saisonnière, nous annualisons les heures de travail. Entre octobre et mars, l'activité est intense, et nous réalisons 70 % de notre chiffre d'affaires. Le printemps et l'été sont des temps de préparation de la collection, d'étude et de récupération des heures. De ce fait, notre trésorerie varie considérablement. En août et en septembre, quand notre trésorerie est au plus bas, il serait logique que nous recevions un soutien de notre banque, qui connaît notre historique et notre mode de fonctionnement. Ce n'est pas le cas. Nous rencontrons des difficultés majeures dans ce domaine.
La seconde difficulté tient à l'absence d'aides publiques. En 2011, l'entreprise a investi 8 % de son chiffre d'affaires, pourtant en baisse, pour acquérir, à la demande des clients, un système de traçage automatique qui nous a permis d'être en phase avec les nouvelles techniques de coupe et de ne plus utiliser d'ammoniaque, ce qui améliore les conditions de travail de nos employés. Par ailleurs, nous avons décidé de racheter une entreprise de notre secteur d'activité, qui se trouvait en liquidation judiciaire. Nous avons ainsi maintenu l'emploi de plus de dix personnes. Pour ces deux investissements, ni la communauté de communes, ni le conseil général, ni la région, ni l'État ne nous ont accordé la moindre subvention, alors que nous les avions sollicités, au prix de multiples démarches. Nous avions même réuni tous les acteurs autour d'une table. En vain. Je rappelle qu'en 2010, c'est avec le soutien de l'Union européenne, que le Programme de modernisation de l'industrie (PMI) a été mis en place en Tunisie ; 42 % des entreprises tunisiennes profitant de ce dispositif appartiennent à notre secteur d'activité. Si notre entreprise s'était située dans ce pays, le système dans lequel nous avons investi y aurait été financé à plus de 60 % par l'Union européenne.
Il est essentiel que les sociétés puissent investir et embaucher au moment opportun. Elles doivent se sentir non pas forcées, mais accompagnées et considérées pour redevenir compétitives et rentables. Notre secteur d'activité témoigne d'un grand savoir-faire et, malgré un coût-minute élevé, la demande de production existe. Reste que notre marge de manoeuvre sur la trésorerie est trop faible. Pour avancer, nous devons pouvoir investir à bon escient.