Notre groupe familial, situé à Fougères, est leader dans la production, la distribution et la vente de chaussures au détail. Nous représentons 1 000 emplois dans le monde, et 750 en France, dans des villes moyennes comme Fougères, Cholet, Romans ou Saint-Omer. Nous distribuons environ 30 millions de paires de chaussures par an. Nous distribuons des marques américaines comme Converse ou New Balance, et des marques françaises que nous avons achetées peu à peu : Kickers, Aster, Mauduit, Stéphane Kélian ou Charles Jourdan.
Nous exportons 35 % de notre production, surtout vers l'Europe et, depuis peu, vers les États-Unis et l'Asie, l'exportation étant notre principal axe de développement. Le salaire annuel moyen que nous versons est de 36 000 euros bruts. En France, même si l'activité de production est réduite, nous employons beaucoup de cadres, de stylistes, de professionnels du marketing ou de la communication, et de techniciens. Nos concurrents sont essentiellement allemands et italiens. Le prix de revient d'une paire de Kickers est de trente-six euros en France contre dix-huit au Vietnam, mais nous parvenons à être compétitifs sur certaines gammes. Ainsi, nous avons monté un atelier de production de vingt-cinq personnes à Romans lorsque nous avons racheté la marque Charles Jourdan, mais l'écart entre le « made in France » et le « made in Italy » est de 30 % sur les articles de luxe.
Notre société est présente dans tous les réseaux de distribution. Nous vendons des marques différentes à Carrefour, à Décathlon, à des chausseurs succursalistes, à des responsables de boutiques de sport, à des grands magasins comme Le Printemps ou encore à Colette. Le réseau internet, où nous sommes leader, représente 14 % de notre activité.
Il y a moins de vingt ans, il existait encore 450 usines de chaussures en France. Il n'en reste que 82. Pour une consommation de 339 millions de paires en 2011, seuls 24 millions ont été produits dans notre pays, et encore partiellement, car les fabricants sous-traitent certaines activités en Tunisie, au Maroc ou ailleurs. Autant dire que le secteur s'est effondré. Après la guerre, quand mes grands-parents étaient ouvriers dans la chaussure, on trouvait encore 130 usines à Fougères. La production de chaussures ne représente plus, aujourd'hui, que 5 800 emplois en France.
Depuis dix ans, les détaillants ont vu augmenter deux postes de manière considérable : les charges liées à l'immobilier et les charges salariales, du fait des 35 heures. Pour compenser ces hausses, les grands succursalistes et d'autres réseaux de distribution multiplient leur prix par trois ou quatre, voire plus, alors que les détaillants appliquaient, il y a encore vingt ans, un coefficient de deux ou deux et demi.
Une entreprise comme la nôtre apporte une grande valeur ajoutée puisqu'elle intègre toute la filière – conception des produits, bureau d'études et des méthodes, style –, en dehors du « temps minute », qui est délocalisé en Espagne, au Portugal, en Italie, voire plus loin : au Maghreb, en Turquie, en Inde ou en Asie. Sur place, les usines intègrent des bureaux de contrôle et de développement.
Sur certains produits, notamment de « moyenne gamme », on voit mal comment on pourrait renverser le cours de l'histoire, mais, dans le « haut de gamme » et la maroquinerie, la France a encore sa place. Nous devons cependant nous protéger de la concurrence de nos voisins, notamment de l'Allemagne qui utilise la main-d'oeuvre polonaise pour des activités ponctuelles, et des pays latins, où la flexibilité est plus grande.
Si la France conserve un patrimoine de marques importantes, les sociétés asiatiques ont acquis un réel savoir-faire technique. L'époque où les usines chinoises ne produisaient que du bas de gamme est révolue. En trente ans, leur production a considérablement gagné en qualité, et le dumping social n'est plus la seule raison de leurs succès. Il est essentiel de protéger nos entreprises qui possèdent des marques, car, si nos concurrents nous les rachètent, on voit mal quel patrimoine il nous restera.
Je suis heureux que nous soyons installés en Bretagne, car, pour nous, la compétence et les qualités humaines sont primordiales. Je retrouve le même savoir-faire dans les villes moyennes du Nord et du Sud-Ouest. Les banques régionales devraient favoriser cette implantation. Nos concurrents allemands ont des relations plus simples avec leurs banques. Ils ont, en général, deux partenaires : la Deutsche Bank et une banque du Land, qui les soutient sur le long terme.