Intervention de Jérôme Frantz

Réunion du 6 décembre 2012 à 9h30
Mission d'information sur les coûts de production en france

Jérôme Frantz, président de la Fédération des industries mécaniques, FIM :

Je suis à la tête d'une entreprise familiale qui existe depuis quatre-vingt-treize ans. Quand j'y suis entré, en 1992, mon père employait cinquante personnes. L'effectif est monté à 280 en 2001-2002. Nous sommes aujourd'hui 120. Vous comprendrez pourquoi quand vous saurez que notre entreprise est spécialisée dans le traitement de surface des métaux pour l'industrie automobile. Le point de rupture s'est produit en 2000-2001, du fait de la loi sur les 35 heures, que j'avais d'abord soutenue car cette forme de partage du travail me semblait une piste intéressante. Je m'étais lourdement trompé.

La FIM, premier employeur industriel français, emploie 620 000 personnes dans les entreprises de plus de dix salariés, pour un total de plus de 800 000. En 2012, notre chiffre d'affaires atteindra 112 milliards d'euros, dont plus de 40 % à l'exportation directe et 60 % si l'on y ajoute l'exportation indirecte. La transformation des métaux et la fabrication des machines représentent chacune 45 % de notre activité, les 10 % restants correspondant au secteur de la mesure et de la précision, dont relève le matériel médical.

Le premier secteur, lié à l'automobile, marche mal. Le taux de croissance pour 2012 ne dépassera pas 1 %. En revanche, il atteindra 15 % pour l'équipement et les machines-outils, en dépit de la concurrence allemande, 20 % pour les machines agricoles, et 25 % quand les entreprises travaillent avec les États-Unis.

Le patron de PME que je suis serait ravi d'innover, d'offrir une qualification à ses collaborateurs et d'investir, mais comment faire quand l'entreprise ne gagne pas d'argent et quand les charges écrasent nos marges ? Le premier enjeu de la compétitivité est de restaurer ces marges. Les dix dernières années, les Allemands ont acheté 200 000 machines, les Italiens 5 000 et les Français 2 500 à 3 000. C'est dire quel retard nous avons pris.

Vous vous demandez s'il faut aider les hauts ou les bas salaires. Il y a vingt-cinq ans, la Corée s'est posé la même question. Ce pays de 35 millions d'habitants fabriquait du bas de gamme, quand son voisin, la Chine, comptait 1,3 milliard d'habitants et se consacrait au même type de production. Il a décidé d'arrêter du jour au lendemain les aides aux bas salaires pour aider les salaires qualifiés. En vingt ans, les Coréens ont monté une industrie qui force le respect dans nombre de secteurs.

Faire supporter en totalité aux entreprises le coût de la protection sociale et des allocations familiales revient à leur mettre au pied un boulet qui leur interdit de créer des richesses. Le Pacte gouvernemental pour la compétitivité, qui repose sur un mécanisme intelligent, va néanmoins dans le bon sens, mais il ne dégagera que 20 milliards, quand nous en attendions 80. Quant au terme de « contreparties », purement idéologique, il nous agace. Lorsque le Gouvernement a le courage d'allouer une partie de l'impôt à la création de richesses, on ne peut pas parler d'un « cadeau aux patrons ». Ce sont d'abord les employés qui en profiteront. Depuis vingt-trois ans, mon entreprise n'a pas redistribué un sou aux actionnaires. Une entreprise crée des richesses qu'elle redistribue autour d'elle, d'abord en son sein – aux managers, collaborateurs et actionnaires –, puis, à travers l'impôt, à toute la société. C'est le message qu'il faut porter à nos concitoyens si nous voulons gagner la bataille.

Le financement reste un problème. Oséo nous a beaucoup aidés en 2008, pendant la crise, mais cet organisme a atteint ses limites, car il n'est pas décisionnaire : ce sont les banques qui choisissent d'accorder des prêts aux entreprises et de leur ouvrir des lignes de crédit. La création de la BPI est une bonne nouvelle, si toutefois celle-ci a les moyens d'intervenir directement.

En France, la stratification du marché du travail est catastrophique, alors qu'un des enjeux majeurs de notre pays sera de transférer les compétences des secteurs qui ne marchent pas vers ceux qui avancent. En Bourgogne, j'ai eu l'occasion de visiter une boucherie industrielle qui employait une quarantaine de personnes. Toutes venaient d'une entreprise de mécanique qui avait fermé. Le seul travail qu'elles avaient retrouvé était l'équarrissage de la viande. Si nous ne parvenons pas à transférer les compétences vers des marchés porteurs, nous perdrons la compétition mondiale. Tel est l'enjeu des négociations que nous menons pour rendre le marché du travail plus flexible. Notre but n'est pas d'aller contre nos collaborateurs ; nous voulons au contraire faire les choses avec eux, en sortant de l'idéologie.

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