Je souhaite revenir sur la question des aides à travers l'exemple de deux de mes clients. Le premier est une industrie de pointe qui a obtenu un important crédit d'impôt recherche pour une innovation remarquable. Il s'apprête à passer avec succès à la phase de production, mais celle-ci sera entièrement réalisée en Chine, où il emploiera 300 personnes.
Le second fabrique des produits beaucoup plus classiques et va augmenter ses volumes, en passant de 100 000 à 600 000 pièces. Il doit aujourd'hui choisir : soit il transfère la production en Tunisie, soit il recrute des ingénieurs et investit dans la recherche et développement pour diviser le temps et les coûts de fabrication et garder ainsi la production en France. Il ne recevra aucune aide.
Il faut donc faire attention : les critères d'obtention des aides doivent être adaptés aux objectifs que l'on cherche à atteindre.
On entend partout que l'innovation va nous sauver. Or, ce n'est pas exact : il convient avant tout que nos concitoyens travaillent dans nos entreprises et que ceux d'entre eux qui n'ont pas le niveau baccalauréat trouvent un emploi. C'est sur ce point que nous devons concentrer nos efforts. J'emploie à l'étranger vingt ou trente ingénieurs, appréciés pour leur niveau d'étude. Je n'aurais aucune difficulté à en recruter le double et à les envoyer partout dans le monde. En revanche, que devons-nous faire pour que nos compatriotes qui n'ont pas le niveau baccalauréat trouvent un emploi ? Il faut aider à la créativité pour maintenir la production en France. Cela vaut pour l'ensemble de nos métiers. Or, l'État ne verse aucune aide dans ces cas-là. Pour maintenir des emplois, le crédit d'impôt doit cibler les innovations qui portent sur le processus de production.
Il a également été beaucoup question de participation des salariés à la gouvernance des entreprises. Nous disposons déjà, en France, de délégués du personnel, de comités d'entreprise et de comités centraux d'entreprise, ainsi que d'organismes spécialisés qui peuvent contrôler les comptes à tous les niveaux. Ces instances permettent de discuter au sein de l'entreprise. Cela n'a guère de sens d'ajouter une nouvelle strate ou de prévoir une représentation des salariés au conseil d'administration. D'autant que, dans les sociétés multinationales, le conseil d'administration qui prend les véritables décisions peut très bien se tenir à l'étranger, par exemple aux Pays-Bas. Dans ce cas, le conseil d'administration français est factice ou ne se réunit même pas.
Nous devrions, en revanche, mieux réfléchir à la gouvernance des marchés publics, en particulier à la spécification des produits, tels que les compteurs d'EDF. Recourir à des spécifications ne constitue en rien une mesure anticoncurrentielle : c'est définir la manière dont on souhaite qu'un produit soit fabriqué. Ainsi, une collectivité publique qui préciserait, dans un cahier des charges, que 70 % d'un produit doit contribuer à créer de la richesse sur son territoire ne contreviendrait pas pour autant à la réglementation européenne. Toutes les entreprises en concurrence, qu'elles soient françaises ou étrangères, seraient soumises aux mêmes règles et devraient répondre à cette exigence définie par le commanditaire. De la même manière, lorsque les autorités chinoises accordent une licence pour fabriquer des véhicules en Chine, elles spécifient que 60 % de l'équipement doit être fabriqué sur leur territoire. Tous les constructeurs étrangers concourent selon les mêmes règles et doivent se conformer à cette spécification du marché public.