Intervention de vice-amiral d'escadre Charles-édouard de Coriolis

Réunion du 1er juillet 2015 à 9h30
Commission des affaires européennes

vice-amiral d'escadre Charles-édouard de Coriolis, représentant militaire permanent de la France auprès de l'Alliance atlantique et de l'Union européenne :

L'OTAN compte vingt-huit États membres et l'Union européenne le même nombre. Sur les vingt-deux pays qui sont membres à la fois de l'une et de l'autre, les représentants militaires ont, contrairement aux diplomates, une double casquette ; c'est une grande force car les dossiers ne peuvent être gérés de manière indépendante.

La stratégie de l'Union européenne repose sur une articulation entre sécurité et développement, ainsi que sur une utilisation synchronisée et coordonnée des instruments européens. C'est ce que nous vendons en permanence : l'approche globale, c'est-à-dire l'utilisation de tous les outils dont dispose l'Union européenne pour faire face aux crises. Il s'agit d'un continuum prévention-gestion-résolution. Pluralité et complémentarité des instruments constituent, en théorie, la valeur ajoutée de l'Union européenne ; c'est ce qui la distingue des autres organisations de sécurité. Il est clair que l'OTAN n'a pas cette capacité ; elle essaie plus ou moins de s'en doter, par du defence capacity building, mais ce n'est pas son coeur de métier.

Les opérations militaires de la PSDC sont actuellement au nombre de six – et nous avons réussi à développer, sur ces opérations, un label de qualité EUFOR : l'EUNAVFOR Atalanta, flagship des opérations de l'Union européenne, l'EUNAVFOR Med, qui vient juste d'être lancée, l'EUFOR Tchad et l'EUFOR Althea, des opérations sous mandat exécutif avec emploi de la force, ainsi que deux EUTM ou training missions. Celles-ci offrent une véritable plus-value car l'OTAN comme les Nations unies sont absentes de ce créneau. L'EUTM Mali, par exemple, forme les septième et huitième bataillons des forces armées maliennes. Grâce à l'opération Barkhane, nous disposons d'un retour d'expérience du terrain : nous pouvons signaler au commandant de l'EUTM un déficit de formation dans tel ou tel domaine – le franchissement des fleuves, par exemple – et lui demander de mettre l'accent sur ce point ; cette complémentarité est très intéressante.

Les contraintes de calendrier doivent également être prises en compte. Une opération nationale française peut être déclenchée en quelques heures ou quelques jours ; c'est unique au monde. Pour EUNAVFOR Med et Atalanta, il nous a fallu un peu plus de deux mois à chaque fois. Pour une opération de l'OTAN ou des Nations unies, le délai passe à un an. Le général Pierre de Villiers a souvent l'occasion de dire qu'il faut pouvoir réagir vite face à des crises ; l'Union européenne présente donc un avantage certain par rapport à l'OTAN ou aux Nations unies, alors même que nous n'avons encore jamais utilisé les GTUE.

La complémentarité avec les opérations nationales et celles des Nations unies est plus complexe qu'avec l'OTAN, même si la nouvelle haute-représentante et le nouveau secrétaire général de l'OTAN, M. Jens Stoltenberg, en ont fait un axe d'action privilégié. J'espère que l'opération EUNAVFOR Med sera l'occasion de faire quelque chose dans le domaine de l'échange de renseignements et d'améliorer la complémentarité avec l'OTAN.

Les forces françaises portent la charge principale de la lutte contre les réseaux terroristes au Sahel. Cette situation nous procure autonomie et flexibilité, mais nos partenaires orientaux en profitent pour voir les enjeux de sécurité du Sud comme un problème français. Nous sommes certes parvenus à obtenir un soutien européen aux efforts militaires au Mali et en République centrafricaine (RCA). En RCA, l'Estonie, par exemple, nous avait apporté cinquante-trois personnes dès le début de l'opération EUFOR RCA et jusqu'en août 2014, mais elle attend le retour d'ascenseur – en l'occurrence un soutien de la France sur le flanc est, face à la menace russe. Il faut avoir conscience qu'en fonction de la position géographique qu'un pays occupe en Europe, la perception des menaces n'est pas la même.

Il existe une véritable volonté politique de lancer des opérations. Deux ont été lancées cette année, EUMAM – une military advisory mission – en RCA et EUNAVFOR Med. Les réunions ministérielles montrent une véritable volonté politique d'agir, avec un mandat clair ; c'est la mise en oeuvre qui est compliquée. La génération de force, notamment, est un véritable cauchemar, car elle se fait, comme à l'OTAN, de façon spontanée, et les difficultés apparaissent dès qu'il s'agit de mettre la main à la poche. La France est un bon élève à cet égard. EUMAM RCA compte soixante personnes, ce qui n'est pas la mer à boire. Pourtant, alors que notre pays a mis vingt personnes à disposition dès le début, il a fallu quatre conférences de génération de force pour couvrir les quarante personnes restantes – et encore a-t-il fallu faire appel à des États tiers ; le soutien médical est assuré par les Serbes…

Le mécanisme Athena – entre 80 et 100 millions d'euros par an – rembourse une partie des frais des missions, en général les frais de déploiement et de quartier général, soit environ 15 millions d'euros par mission. C'est très faible, surtout par comparaison avec les onze missions civiles, qui reçoivent quant à elles 600 millions d'euros, à savoir 350 millions pour les frais de fonctionnement, couverts en totalité, et 250 millions pour des projets.

Les GTUE sont des outils très efficaces, servis par environ 1 500 personnes bien entraînées, avec une réelle capacité militaire. La France est responsable depuis le 1er juillet, pour six mois, d'un des deux GTUE. Ces instruments n'ont jamais été utilisés ; c'est dommage car ils correspondent à ce que l'OTAN a voulu construire avec le Readiness Action Plan : des forces à haute réactivité, un outil à la main du pouvoir politique, via le Comité politique et de sécurité (COPS), et donc immédiatement disponible, sous très faible degré d'alerte. Le problème, c'est que les États pourvoyeurs de ces troupes doivent aussi payer pour une grande partie de leur déploiement. Au début des années 2000, à la suite d'un événement climatique au Pakistan, le déploiement par l'Espagne de la NATO Reaction Force (NRF) lui a coûté 20 millions d'euros. Les Espagnols se sont bien juré qu'on ne les y prendrait plus…

La composition de ces battle groups, qui sont des forces d'entrée en premier, est de très bonne qualité. Ces troupes sont certifiées selon des standards comparables à ceux de l'OTAN. Ce ne sont donc pas des tigres de papier, mais on sent une appréhension à les employer. Le ministre français de la défense ne manque cependant pas de déclarer que, puisque nous sommes responsables d'un GTUE, notre pays le déploiera en cas de crise.

Le programme Train and Equip était un des « délivrables » du sommet européen. Comme à l'OTAN, il faut, dans les affaires européennes, avancer pas à pas. Ce qui m'intéresse, c'est le soutien aux opérations militaires, c'est-à-dire faciliter la vie des chefs de mission et d'opération. Pour cela, il faut que ceux-ci bénéficient d'un soutien arrière très important : soutien en renseignement, soutien à la génération de force… Nous nous battons pour que l'état-major de l'Union européenne soit reconnu.

Il n'est pas facile d'être militaire à l'Union européenne ; sous Catherine Ashton, nous n'avions pas le droit de porter l'uniforme. Nous avons reçu une bouffée d'oxygène avec Mme Federica Mogherini mais il n'y a toujours pas de budget de défense et nous avons besoin d'un peu d'argent.

Le général Philippe Pontiès, commandant de l'EUFOR RCA, souhaitait bâtir un pont à Bangui, « le Pont de l'unité ». Comme il était en concurrence avec un projet de la Commission européenne, celle-ci lui a mis des bâtons dans les roues. Il lui fallait 300 000 euros et il ne les a pas trouvés. Du coup, il est allé voir les Tchèques, qui lui ont donné un pont, qu'il a fait transporter par les Espagnols et monter par les Suédois, ou l'inverse. Bref, il a dû bricoler, comme on sait le faire dans l'armée française. De même, quand on reconstruit un système de défense, la première chose à faire est d'installer un système d'information numérique pour compter les gens. Au Mali, c'est le Canada qui a donné 800 000 euros, et il a fallu monter un dispositif adapté pour que le mécanisme Athena puisse engranger cet argent.

La plus-value des opérations militaires européennes est reconnue. Elles sont encore faibles en intensité mais présentent un bon rapport qualité-prix. Le Mali et la RCA y trouvent un « délivrable » sonnant et trébuchant. L'important est la continuité de l'action européenne. Les Maliens se souviennent que le pays s'était effondré parce que la France les avait laissés tomber il y a quelques années ; ils ne veulent pas que nous partions.

Il faut – c'est notre travail à Bruxelles – réfléchir aux moyens d'adapter ces actions en fonction de l'évolution de la situation. Avec nos camarades britanniques, nous sommes en bisbille sur l'opération Althea en Bosnie, qui n'a plus de raison d'être militaire. De même, l'opération Atalanta ayant contenu, non les causes mais du moins les conséquences de la piraterie en mer, un manque d'appétence des États membres à fournir des contributions se fait jour. Il est donc important de faire évoluer ces missions.

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