Je vais malheureusement ajouter au pessimisme ambiant. Je traiterai quatre points, en passant sur le constat, connu et inquiétant, d'une Europe de la défense qui s'essouffle et du manque de volonté politique.
Le premier point, qui n'a pas encore été abordé, concerne l'ambiguïté de l'expression « Europe de la défense ». Une petite quinzaine d'années après le lancement de la PSDC, on ne sait toujours pas ce que cela signifie au juste. S'agit-il de la défense collective des États membres contre une menace extérieure ? La question a été posée dans un rapport parlementaire de 2013, mais on sait que les États membres n'en veulent pas. L'article 42, paragraphe 7, du traité de Lisbonne est une sorte de copier-coller de l'article 5 du traité de l'OTAN, qui fonde la défense collective, à ceci près qu'il a été vidé de sa substance par deux réserves : l'une concernant la politique des États neutres et non alignés, l'autre affirmant que l'OTAN reste garante de la défense collective des vingt-deux États membres de l'Union européenne également membres de l'OTAN.
Par ailleurs, si le débat sur l'armée européenne a été récemment relancé par le Président Juncker, on ne comprend toujours pas ce que seraient ses missions.
Enfin, les limites de l'action européenne en matière de défense sont devenues évidentes avec la crise ukrainienne puisque, pour les États se sentant menacés, ce n'est pas l'Union européenne qui apparaît comme l'institution capable de répondre à leurs besoins, mais l'OTAN – en réalité, les États-Unis.
Une note parle de « fonction stratégique » pour l'Union européenne ; il faudrait savoir si celle-ci inclut la défense collective ou si l'on parle d'autre chose. Cette autre chose, c'est ce que l'Union européenne fait depuis treize ou quatorze ans dans le domaine de la sécurité et de la défense : la gestion de crises. La PSDC, depuis 2003, c'est le déploiement de moyens militaires et civils pour répondre à des crises, en général lointaines – les conflits des autres –, avec une utilisation des forces armées dans le bas du spectre. C'est le sens de l'accord passé à Saint-Malo au moment de la création de la PSDC : il s'agissait, pour les Britanniques en tout cas, de ne faire que de la gestion de crises. La question, dans ce cadre, est de savoir si une PSDC plus efficace signifierait mieux faire de la gestion de crises ou bien changer de portage et embrasser la défense collective.
Deuxième point : il ne faut pas surestimer ce que la PSDC apporterait à l'Union européenne dans le domaine de la défense. Ce ne serait dans le meilleur des cas qu'un outil au service d'une politique étrangère. Aucune PSDC ne peut apporter de valeur ajoutée si elle n'est pas au service de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) ; or parler de PESC, c'est retomber dans le débat sur les divergences entre les cultures stratégiques des États membres et sur leurs perceptions différentes des menaces. En outre, les États n'ont pas opéré de transfert de souveraineté vers l'Union européenne en matière de politique étrangère ; le Service européen pour l'action extérieure (SEAE) reste faible et affaibli par les États ; son ancien secrétaire général exécutif Pierre Vimont le rappelait régulièrement.
Se pose aussi la question de l'adaptation de l'outil aux besoins : face au terrorisme, à l'immigration illégale, au crime organisé, à la cyber-menace, à la déliquescence des États, sommes-nous sûrs qu'une PSDC, dans sa dimension militaire, telle qu'on la conçoit à Paris, soit la meilleure réponse ? Nous aiderait-elle beaucoup face au chaos libyen, ou en Irak et en Syrie ?
Troisième point : la France, dans ce débat, est à la fois la solution et le problème. Notre pays est sans aucun doute, si je reprends l'image d'Arnaud Danjean, l'un des rares à pouvoir cocher les deux cases. C'est le pays le plus ambitieux : à l'exception d'Althea, en Bosnie-Herzégovine, aucune opération ne se serait tenue sans la France. Mais il y a aussi la France-problème, je veux parler de cette éternelle suspicion, chez nos partenaires européens, quant au dessein français. Le retour informel que nous avons sur les opérations subsahariennes, c'est en substance : « Encore des opérations que la France souhaite mutualiser pour un dessein purement français ! » Ainsi, quand la France demande une augmentation du partage des coûts dans le cadre d'Athena, on la soupçonne immédiatement de chercher à faire financer ses propres opérations par ses partenaires européens. Il faut prendre en considération cette suspicion, car c'est elle qui fait que la France se retrouve souvent isolée dans le débat. Du coup, l'action de la France n'a plus d'effet d'entraînement, à la fois pour les raisons objectives déjà évoquées et pour ces raisons plus subjectives, liées à un discours qui n'est pas toujours bien perçu par nos partenaires.
Quatrième et dernier point : le traité de Lisbonne, cela a été souligné, permet tout. Si la PSDC est bloquée, ce n'est pas parce que les dispositions juridiques feraient défaut. Le cadre institutionnel permet en principe que la PSDC fonctionne.
La solution au problème est à mon sens la flexibilité, déjà prévue dans le traité. S'agissant des coopérations structurées permanentes, rien n'a changé deux ans plus tard, et il est assez peu probable qu'une CSP soit mise en place dans les mois ou les années à venir, à moins d'un véritable changement de politique. Mais la flexibilité peut aussi venir de l'article 44 du traité de Lisbonne, qui permet à une coalition d'États de planifier et de commander une opération au nom de l'Union européenne mais entre un petit nombre d'États. Cet article pourrait permettent de conduire une opération sans la lourdeur de la structure de décision et de conduite de Bruxelles, quand bien même elle resterait, en droit, une opération de PSDC décidée par le Conseil des ministres.
De même, si l'Europe n'a pas de budget militaire – cela a été rappelé –, l'article 41, paragraphe 3, permet de créer un fonds de lancement afin que les opérations militaires bénéficient d'un budget finançant des activités préparatoires ne pouvant l'être par les crédits de l'Union européenne. Mais cet article n'a jamais été mis en oeuvre.
Enfin, le programme Train and Equip, qui a fait l'objet d'une communication conjointe de la haute-représentante et de la Commission européenne en mai, doit permettre à terme à des opérations de PSDC, mais aussi aux délégations de l'Union européenne, dans les 140 pays où elle est représentée, de puiser dans les fonds communautaires de développement pour financer l'équipement de forces armées nationales, par exemple au Mali ou en Somalie. Les négociations précédant cette communication ont donné lieu à des batailles culturelles féroces entre l'approche intergouvernementale du SEAE et des militaires, et l'approche communautaire de la Commission et de sa direction générale de la coopération internationale et du développement, résolument hostiles à l'idée de puiser sur leurs fonds de développement pour financer des activités susceptibles d'avoir des implications dans le domaine militaire.