Dans l'OTAN, il y a les États-Unis, et nos alliés orientaux ne croient qu'aux États-Unis… Lors de l'annexion de la Crimée, ils n'ont pas appelé Bruxelles mais Washington. Du coup, les États-Unis, qui avaient commencé à s'éloigner de l'Europe, sont en train d'y revenir. Le secrétaire à la défense, Ashton Carter, a ainsi déclaré, la semaine dernière, à Bruxelles et en Estonie, qu'il allait re-prépositionner le matériel d'une brigade mécanisée dans les pays orientaux. De fait, nos alliés n'ont pas confiance dans l'article 5 : ils pensent qu'en cas d'action asymétrique – c'est le problème de la guerre hybride – ou si Poutine agit comme il l'a fait dans le Donbass et en Crimée, nous n'interviendrons pas. Pour eux, sans les États-Unis, le dispositif n'a aucune crédibilité. La France présente cependant les avantages d'avoir une parole indépendante, reconnue en tant que telle et écoutée, et d'être crédible, car elle reste malgré tout la seule puissance militaire globale en Europe.
Le problème de fond auquel je me heurte dans le cadre de mes fonctions, c'est que la perception des menaces – et vous avez été nombreux à le dire – varie en fonction des pays. En Europe de l'est, on est bien conscient qu'il se passe quelque chose au sud de l'Europe : le chef d'état-major des armées estoniennes me parlait même d'une guerre de religion, et qui allait durer très longtemps. Mais la menace immédiate, c'est la Russie ; tel est le point de vue de l'OTAN, qui a été adopté par la Pologne et les pays baltes. Quant aux pays riverains de la Méditerranée, ils sont essentiellement préoccupés, au-delà du problème des migrants, par cette pieuvre – c'est très clair dans les synthèses de renseignements – qui ne cesse de grossir sans que l'on ne puisse rien y faire. Tant que nous n'aurons pas réconcilié les deux approches, il sera difficile de mener une action concertée.
Lors de la dernière réunion de l'OTAN, les chefs d'état-major des armées (CEMA) se sont accordés sur trois options : dissuader les menaces étatiques, contenir les menaces non étatiques et protéger le territoire national. Ils ont reçu pour mandat de développer ces idées en vue de la prochaine réunion des CEMA de l'OTAN, qui se tiendra à Istanbul en septembre. Il faut tout de même que nous soyons guidés par un objectif, mais il est très difficile de faire converger les deux organisations. De toute façon, ne nous leurrons pas : si l'on fait abstraction des États-Unis et du Canada, les moyens militaires sont les mêmes. Il faut donc parvenir à converger sur la stratégie souhaitée et à identifier les plus-values attendues de l'un ou de l'autre : d'un côté, l'OTAN est un formidable vecteur d'interopérabilité ; de l'autre, l'approche globale de l'Union européenne, bien qu'elle soit beaucoup critiquée, constitue une chance formidable, si bien que l'OTAN elle-même s'efforce de développer le concept de holistic approach – bien entendu, la Turquie n'y est pas pour rien. On sent bien en effet que c'est en coordonnant l'ensemble des moyens que l'on arrivera à quelque chose.
Je conclurai en rappelant l'objectif d'EUNAVFOR Med, fixé lors du Conseil européen du 23 avril : « disrupt the business model of the smugglers ». La phase 1, celle du renseignement, est lancée ; elle est nécessaire mais pas suffisante. La phase 2, qui a été ajoutée par la suite car il manquait la résolution des Nations unies et l'accord interlibyen, est l'action en haute mer. Mais la véritable action interviendra avec la phase 3.