Intervention de George Pau-Langevin

Réunion du 7 juillet 2015 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

George Pau-Langevin, ministre des Outre-mer :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, c'est toujours un plaisir de revenir à l'Assemblée nationale.

Le projet de loi organique sur la Nouvelle-Calédonie, sous des dehors techniques, voire austères, marque une étape significative dans le processus de sortie de l'Accord de Nouméa, ouvert l'an dernier, qui doit préparer la consultation relative à l'accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté. Cette consultation, prévue par le point 5 de l'Accord, doit intervenir entre aujourd'hui – si le Congrès de la Nouvelle-Calédonie le souhaite – et fin 2018. Le présent texte propose une série de mesures qui doivent être mises en oeuvre pour qu'elle se déroule de la manière la plus paisible et la plus incontestable possible. Il fait suite au comité des signataires de l'Accord de Nouméa, qui s'est tenu à Paris le 3 octobre 2014. À cette occasion, le Gouvernement s'était engagé à déposer un projet de loi organique permettant, d'une part, d'étendre les cas d'inscription d'office sur la liste électorale spéciale pour la consultation prévue par le point 5 de l'Accord de Nouméa, et d'autre part, d'améliorer le fonctionnement des commissions administratives spéciales chargées d'établir la liste électorale spéciale pour la consultation et de réviser la liste électorale spéciale pour les élections provinciales. Nous avons enfin prévu de mettre en place une instance consultative d'experts chargée d'harmoniser les pratiques des différentes commissions administratives spéciales, leur fonctionnement ayant fait l'objet de récriminations récurrentes.

Le projet initial du Gouvernement, qui respectait strictement les avis du Conseil d'État, a suscité l'inquiétude d'une partie des Calédoniens. Aussi l'avis rendu par le congrès de Nouvelle-Calédonie était-il réservé et assorti d'une série de propositions d'amendements. À la suite de cet avis, le Gouvernement a lancé des consultations afin d'identifier, parmi les amendements proposés par le congrès, ceux susceptibles de faire l'objet d'un large accord entre les partenaires calédoniens. À cette occasion, le président de votre Commission, Jean-Jacques Urvoas, ainsi que le président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, qui s'étaient rendus en Nouvelle-Calédonie dans le cadre d'une mission parlementaire se sont émus de l'incompréhension manifeste dont ce texte faisait l'objet sur place. Le Premier ministre a donc décidé de convoquer un comité des signataires extraordinaire, autrement dit l'instance politique calédonienne du plus haut niveau – qui de surcroît a l'avantage de réunir toutes les parties, y compris les indépendantistes non représentés au Parlement – susceptible d'apporter des réponses à ces interrogations.

Ce comité, présidé par le Premier ministre, s'est tenu le 5 juin dernier. Il fut extraordinaire à plus d'un titre : par son sujet – les questions électorales –, par sa durée – plus de douze heures –, et par ses conclusions – un accord très attendu. Je tiens à saluer devant vous l'ensemble des acteurs politiques de la Nouvelle-Calédonie qui ont rendu ce compromis possible, notamment les députés de la Nouvelle-Calédonie : Mme Sonia Lagarde et M. Philippe Gomes. Au Sénat, j'ai également rendu hommage au sénateur Pierre Frogier et à M. Rock Wamytan ; tous ont fait souffler sur ce comité un esprit de concorde salutaire.

Le comité des signataires a permis de lever des doutes et des malentendus. Tous les partenaires étaient convaincus que s'il fallait discuter de manière franche et sincère, il était tout aussi indispensable de trouver des solutions politiques aux questions posées. Ils se sont ainsi accordés sur la nécessité d'étendre à la plupart des citoyens calédoniens nés sur le territoire la procédure d'inscription d'office qui permettra de les dispenser des formalités d'inscription sur les listes électorales spéciales. L'administration se chargera de la constitution des dossiers de demande d'inscription en croisant des listes d'ores et déjà existantes qui peuvent permettre d'identifier les différentes catégories concernées. Au total, plus de 80 % des électeurs potentiels verront leur inscription facilitée et n'auront aucune démarche individuelle à faire. Si les démarches des électeurs en seront grandement facilitées, la tâche de l'administration sera autrement plus complexe, puisqu'il lui faudra retrouver tous les électeurs en droit de participer à la consultation et de vérifier qu'ils sont bien en droit de le faire.

En second lieu, les partenaires ont débattu du fonctionnement des commissions administratives spéciales. Le président de chaque commission pourra lancer des mesures d'investigation en cas de doute sur les cas qui lui seront soumis. Mais les partenaires n'ont pas souhaité donner suite à notre proposition de permettre au président d'éliminer des demandes manifestement infondées, préférant que la commission se prononce elle-même. Enfin, il a été question, pour renforcer l'objectivité attendue de ces commissions, d'y faire figurer un deuxième magistrat ; finalement, les parties se sont entendues pour le remplacer par une personnalité qualifiée indépendante, chargée d'un rôle d'observateur, afin de rendre le travail de ces commissions incontestable.

La question des listes électorales spéciales pour les élections provinciales fait l'objet d'un débat déjà ancien : certains pensaient, que compte tenu de l'Accord de Nouméa, certains électeurs y figuraient indûment. Le critère déterminant posait également problème : est-ce le fait d'avoir habité en Nouvelle-Calédonie avant 1998 ou celui d'avoir été inscrit sur les listes électorales à la même période ? Au fil des années, les réponses ont varié. Le comité a pris une position sage en souhaitant commencer par évaluer l'ampleur du problème : le litige n'est pas du même ordre selon que le nombre de personnes indûment inscrites est de cinq ou de trente mille personnes. Nous avons décidé de procéder à une analyse sur des listes anonymisées afin de vérifier que tous ceux qui y sont inscrits ne prêtent à aucune contestation, mais il faudra sans doute distinguer entre les inscriptions intervenues avant et après 1998. Une fois les données du litige clarifiées, le prochain comité des signataires pourra apporter une solution juridiquement correcte et politiquement acceptable. Cet accord raisonnable a été accueilli par la population calédonienne avec soulagement et espoir. Le déroulement du comité a montré la volonté de l'État de demeurer équidistant, mais également sa détermination à s'engager pleinement dans le processus en tant que partenaire de l'Accord de Nouméa – attitude de nature à apaiser les esprits sur place.

Dans la foulée du comité du 5 juin 2015, des réunions ont été organisées sur place pour transcrire en droit cet accord politique. Des amendements ont été débattus par les partenaires calédoniens à Nouméa, sous l'égide du haut-commissaire, puis adoptés à l'unanimité en commission des Lois au Sénat. En effet, les sénateurs ont admis que si les partenaires calédoniens étaient parvenus à un accord tout en nuances, il fallait respecter cet équilibre et n'y toucher que d'une main tremblante. C'est pourquoi le Gouvernement ne souhaite pas rouvrir la discussion sur d'autres sujets, aussi légitimes soient-ils, que ceux évoqués lors du comité des signataires du 5 juin dernier. Ce texte étant centré sur la consultation de sortie de l'Accord de Nouméa, nous avons obtenu des sénateurs de renoncer à y intégrer des amendements qui ne s'inscrivaient pas dans ce cadre. Je souhaiterais que les députés adoptent une position similaire : ce texte transcrit un équilibre politique abouti qu'il importe de ne pas alourdir par des scories. Nous avons besoin de l'adopter rapidement car le travail pour construire la liste électorale sera long et il conviendrait de le commencer rapidement. En revanche, nous aurons l'occasion, cet automne, de travailler sur une proposition de loi organique relative à la Polynésie dans laquelle il sera possible – si les Polynésiens l'acceptent – d'insérer des dispositions relatives aux autres territoires d'outre-mer. Cette façon de légiférer laissera au présent texte une forme d'unité qui me semble souhaitable.

Nous sommes aujourd'hui bien engagés dans la voie de sortie de l'Accord de Nouméa et nous avons besoin du concours de tous, des acteurs de la majorité comme de ceux de l'opposition, au niveau local comme au niveau national. Le Gouvernement est très investi dans cette tâche, mais je compte beaucoup sur les parlementaires de tous bords pour nous permettre de mener la Nouvelle-Calédonie jusqu'à cette consultation dans des conditions aussi apaisées et incontestables que possible. Chacun a sa part à prendre dans cette tâche délicate.

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