Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 7 juillet 2015 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas, président :

Madame la ministre, je voudrais exprimer mon soulagement devant l'issue que vous nous proposez. Lors des débats au Sénat, un de nos collègues a qualifié ce projet d'« enfant du miracle ». Le terme me paraît assez adapté. Quand le 24 avril, le président Bartolone et moi nous sommes rendus à Nouméa dans un déplacement prévu de longue date, nous ne nous attendions pas à constater l'incompréhension qu'évoquait Philippe Gomes. Il est troublant, en atterrissant à la Tontouta, de voir des panneaux annonçant une manifestation : « Tous Calédoniens, tous Français : non à l'indépendance ! » On n'avait pas vu ce genre d'affichage politique depuis très longtemps en Nouvelle-Calédonie. Jamais je n'avais davantage constaté combien la distance entre Paris et Nouméa ne pèse pas le même poids quand on va dans un sens et dans l'autre : une information qui vient de Paris et arrive à Nouméa gagne en déflagration, alors qu'un message qui part de Nouméa vers Paris perd au contraire en intensité. Le président Bartolone, Philippe Gosselin et moi-même n'avions pas le sentiment d'arriver dans une terre où l'État socialiste allait préparer un « trucage » des listes électorales pour organiser une marche forcée vers l'indépendance ! Il n'était qu'à lire les slogans inscrits sur les affiches de la manifestation du 24 avril devant les grilles du haut-commissariat : « Non aux socialos collabos ! », « Nous entrons en résistance contre l'État socialiste ! », « Non au trucage des listes électorales ! » Quand on vient animé par l'esprit de consensus qui a marqué les travaux de l'Assemblée nationale depuis les accords de Matignon, avec Michel Rocard, et l'Accord de Nouméa, avec Lionel Jospin, qu'on a accompagné Jean-Marc Ayrault en juillet 2013 devant le congrès de Nouvelle-Calédonie, et le président de la République, François Hollande, dans son voyage de novembre 2014, on ne peut qu'être surpris d'entendre l'inquiétude manifestée par les huit à dix mille personnes rassemblées devant les grilles du haut-commissariat. Il est donc heureux que le Gouvernement ait, avec patience et ténacité, expliqué nos intentions.

Quand on cherche à comprendre la Nouvelle-Calédonie, on est d'abord confronté à une incroyable difficulté de lecture : entre l'Accord de Nouméa, le titre XIII de la Constitution et la loi organique du 19 mars 1999 – l'article 218 d'un côté, et l'article 188 de l'autre –, le pointillisme juridique va jusqu'à rendre les choses totalement incompréhensibles. La notion de corps électoral restreint – qui laisse à penser qu'un citoyen calédonien pourrait être privé d'un droit de vote – ne peut qu'heurter celui qui débarque sur la Caillou. Il fallait donc ramener le calme et la sérénité. L'initiative du président de l'Assemblée nationale – dont il vous a informée, madame la ministre – a permis de parvenir à cette proposition. Vous l'avez concrétisée et il faut vous en remercier, tout comme il faut remercier le Premier ministre d'avoir présidé ce comité des signataires exceptionnel qui le fut tant par sa durée – douze heures – que par la qualité des propositions auxquelles il a abouti.

René Dosière l'a rappelé, il est toujours frustrant pour les parlementaires d'être cantonnés dans un rôle de greffier scrupuleux ; mais nous l'acceptons aujourd'hui avec responsabilité, convaincus qu'il s'agit d'une page supplémentaire de l'histoire qui fait honneur aux élus de Nouvelle-Calédonie et aux signataires des accords, parmi lesquels Jean Lèques, Harold Martin, Simon Loueckhote, Rock Wamytan, Paul Néaoutyine et Pierre Frogier. Je voudrais rendre hommage à tous ceux qui participent aux travaux du comité ; ils se montrent à la hauteur du défi et contribuent à la construction par la France de ce processus de décolonisation qui figure dans l'Accord de Nouméa.

En relisant les propos visionnaires de François Mitterrand dans sa Lettre à tous les Français de 1988 et les mémoires de Jacques Lafleur, L'Assiégé, on mesure à quel point l'histoire mord la nuque des élus actuels ; nous devons rester dans les pas de ceux qui ont posé ces actes de pacification. Le texte proposé aujourd'hui représente un très bon projet de loi organique ; il permettra, d'ici la prochaine réunion du comité des signataires, d'en concrétiser les orientations : si les Kanaks sont automatiquement inscrits sur la liste de sortie, encore faudra-t-il s'assurer que l'on dispose d'un registre fiable : il peut se poser des problèmes d'homonymie, par exemple. Si la question du tableau annexe a fait l'objet de tant de débats, c'est parce que l'État ne l'a pas traitée au moment où il le fallait. En prenant aujourd'hui des engagements d'automaticité, essayons de tirer les leçons de nos échecs. C'est avec beaucoup de soulagement que je voterai ce texte en séance.

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