Le projet de loi relatif à la modernisation du droit de l'outre-mer traite de sujets variés, d'autant qu'il s'étoffe au fur et à mesure que progresse la discussion au Parlement. Il nous faut adapter les textes à différentes collectivités et actualiser nombre de dispositions. Les mesures qui figurent dans ce texte – demandées, voire réclamées depuis longtemps par les acteurs des territoires ultras-marins – concernent l'économie, la maîtrise et l'aménagement foncier, la fonction publique, les collectivités territoriales, la sécurité et la sûreté.
Dans le domaine économique, le Gouvernement a souhaité étendre à la collectivité de Saint-Martin les dispositions relatives à la modération des prix, instituées par la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer. En effet, les résultats dont nous disposons montrent que les observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR) et les boucliers qualité prix (BQP), négociés sous l'égide des préfets, ont eu des effets notables sur le niveau des prix, permettant une baisse moyenne de 11 % sur les produits concernés dans l'ensemble des cinq départements. Avec l'élargissement de ces dispositifs à la collectivité de Saint-Martin, nous ferons oeuvre utile.
Vous aurez également à débattre du changement de statut de l'Agence des outre-mer pour la mobilité (LADOM), actuellement placée sous celui – devenu rarissime – de société d'État inscrite au registre du commerce. On a longtemps hésité à le modifier dans la mesure où l'Agence intervient au cas par cas et octroie des aides individuelles ; elle a donc besoin de souplesse. Toutefois, ses missions en matière d'insertion professionnelle des personnes, en particulier des jeunes résidant outre-mer, justifient de la transformer en établissement public administratif, ce qui aidera à en encadrer la gestion. Pour donner aux salariés la possibilité de conserver leur contrat de travail inchangé et répondre au mieux aux recommandations formulées par la Cour des comptes, nous avons dû créer un établissement public particulier.
Enfin, le projet de loi permettra une plus juste représentation du monde agricole dans les instances des caisses d'allocation familiales. En effet, les organismes représentatifs à l'échelon local n'y sont pas toujours représentés ; le projet de loi permettra de combler cette lacune.
La maîtrise foncière et l'aménagement du territoire représentent la deuxième grande thématique abordée dans ce projet de loi. En effet, les outre-mer font face à des situations démographiques différentes de l'hexagone. La Guyane et Mayotte notamment sont deux territoires en pleine expansion. La rareté des acteurs aptes à conduire des opérations d'aménagement y constitue un véritable défi, alors qu'il faut impérativement répondre aux enjeux de construction de logements, notamment sociaux, d'équipement et d'aménagement. Aussi, il nous a semblé indispensable de doter ces deux territoires d'outils adaptés. Les structures spécifiques en matière d'aménagement et de gestion foncière qui seront créées disposeront de toutes les compétences nécessaires.
Par ailleurs, héritage lointain de l'Ancien régime, existent dans les outre-mer des agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des « cinquante pas géométriques », situés sur le littoral et souvent occupée par un habitat spontané et informel. Ces agences ont pour mission d'élaborer des programmes d'équipement des espaces urbains, de vérifier la compatibilité des demandes de cession avec le programme d'équipement et de réaliser des travaux dans les quartiers. Elles doivent également faciliter la cession de leurs maisons aux personnes qui habitent depuis longtemps cette zone, sans disposer pour autant de titres de propriété. Beaucoup de dossiers n'étant toujours pas réglés, nous avons décidé de prolonger une nouvelle fois la durée de vie de ces agences. Au Sénat, on nous a objecté que bien des sujets en suspens le seront encore demain : tout porte à croire que les gens qui n'ont pas les moyens d'acheter une maison resteront dans la même situation. Il faut également déterminer qui a compétence pour organiser le territoire et réaliser l'aménagement. Nous souhaitons donc programmer, après évaluation, le transfert des agences aux collectivités territoriales, en dotant celles-ci des moyens nécessaires ; en effet, ce sont les collectivités qui prennent ces sujets à bras-le-corps.
Troisième thématique : la modernisation du droit applicable aux agents de la fonction publique. Nous sommes particulièrement préoccupés par ce qui se passe à Wallis-et-Futuna où l'on doit régulariser la situation d'agents qui exercent des missions de service public pour le compte de l'État. Nous souhaitons qu'ils puissent bénéficier des dispositions de la loi relative à l'accès à l'emploi titulaire, dite « loi Sauvadet ». Ces agents verront leur situation évoluer en parallèle et pourront opter pour un statut de droit public.
Pour ce qui est des agents contractuels de la fonction publique des communes et des groupements de communes de la Polynésie française, nous avions, en juillet 2015, fixé un délai pour organiser leur intégration dans la fonction publique ou leurs conditions de rémunération s'ils ne l'intègrent pas. Pour ceux qui choisissent cette deuxième option, un décret en Conseil d'État définira les modalités de révision de la rémunération. Nous aurons l'occasion d'échanger sur la question du délai, la commission des Lois du Sénat ayant proposé qu'il soit raccourci. Nous souhaiterions régler ces problèmes le plus rapidement possible, mais ce personnel exige toujours des solutions sui generis et nous voulons trouver une issue juridiquement correcte, acceptable par les agents concernés et financièrement supportable pour les collectivités.
Le projet de loi prévoit que les fonctionnaires des communes de Polynésie française auront la faculté d'effectuer des mobilités au sein des trois fonctions publiques métropolitaines. Quatre mille six cents agents pourraient bénéficier de cette disposition.
Quatrième thématique, les collectivités territoriales. Le Gouvernement souhaite renforcer la transparence financière des procédures budgétaires et comptables. Des mesures nouvelles s'appliqueront aux maires des communes et aux présidents des établissements publics de coopération intercommunale de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie Française. Ils devront désormais présenter, devant l'assemblée délibérante, un rapport détaillant les actions entreprises à la suite des observations de la chambre territoriale des comptes.
En outre, en Nouvelle-Calédonie, dans les communes comptant 3 500 habitants ou plus, le débat d'orientation budgétaire devra être précédé d'un rapport de l'exécutif portant non seulement sur les orientations générales du budget et les engagements pluriannuels, mais également sur la structure et la gestion de la dette. Dans les communes de 10 000 habitants et plus, ce rapport devra, de surcroît, faire l'objet d'une publication.
Pour répondre à une demande exprimée par les élus néo-calédoniens le projet de loi prévoit la possibilité pour les communes de plus de 80 000 habitants, de créer des postes d'adjoints chargés des quartiers.
Cinquième thématique : la sécurité et la sûreté. Il est apparu que l'alinéa rendant applicable la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme dans les Terres australes et antarctiques françaises avait été supprimé. Quand bien même les actes de terrorisme ne sont pas particulièrement violents dans ces territoires, c'était bel et bien une erreur que le projet de loi vient donc corriger.
Face au risque de prolifération des armes sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie et à ses conséquences potentielles en matière d'ordre public, le renforcement de la sécurité des Néo-calédoniens apparaît indispensable. Afin de maîtriser cette prolifération, ce texte donne une base législative à l'instauration par voie réglementaire d'un quota d'armes qui relèvent de la catégorie C et du 1° de la catégorie D pouvant être détenues dans ce territoire par les personnes majeures.
Le décret en Conseil d'État prévoira les conditions de remise, de cession ou de destruction des armes excédentaires relevant de ces deux catégories dans un délai variant de trois mois à deux ans, en fonction de la date d'achat de ces armes. Je n'ignore pas les réserves des élus néo-calédoniens sur cette possibilité donnée à l'État de réglementer les achats d'armes sur le territoire. Mais nous considérons qu'il est de notre devoir de trouver des mesures d'encadrement équilibrées. Cette question fera l'objet d'une concertation mais il ne nous paraît pas judicieux de laisser autant d'armes en circulation sur le territoire.
Depuis le 1er janvier 2012, la collectivité de Saint-Barthélemy a cessé d'être une région ultrapériphérique pour entrer dans la catégorie des pays et territoires d'outre-mer. Par conséquent, le droit dérivé de l'Union européenne ne s'applique plus de plein droit dans cette collectivité ultramarine. Tel est le cas des dispositions européennes qui portent sur la protection du consommateur dans le domaine du transport aérien. Le projet de loi vise donc à étendre à Saint-Barthélemy l'application des règles relatives par exemple à l'obligation de disposer d'un plan d'aide aux victimes et à leurs familles en cas d'accident aérien, autant de dispositions utiles pour les habitants de cette collectivité.
Le Gouvernement vous demande de l'habiliter à prendre plusieurs ordonnances dans des domaines très variés. Je sais que cette méthode ne plaît guère aux parlementaires. Elle ne me convainc pas totalement non plus. Nous savons pourtant que, dans la plupart des textes présentés, la partie relative aux outre-mer n'est pas prête et est renvoyée à des ordonnances. Encore faut-il que les ordonnances soient prises. Très souvent, même si le ministère des outre-mer essaie de faire le gendarme, il est difficile d'obtenir qu'elles soient prises dans les délais. Je partage les critiques émises par un certain nombre de parlementaires sur le recours aux ordonnances estimant que cette manière de légiférer n'est pas totalement satisfaisante mais, pour l'instant, je n'en vois pas de préférable pour réussir à mettre à niveau le droit des outre-mer dans un délai raisonnable. Nous réfléchissons aux moyens permettant aux parlementaires de travailler en amont pour être en mesure de proposer les solutions applicables dans les outre-mer dès le vote du texte. Mais, pour l'instant, nous devons rattraper un important retard. Dans le cas de Mayotte, des pans entiers du code du travail, dont chacun connaît l'épaisseur, doivent être adaptés : une session particulière du Parlement n'y suffirait probablement pas. Je sollicite donc de nouveau des habilitations : vous apprécierez…
Un certain nombre d'articles additionnels ont été ajoutés, tant et si bien que le projet de loi, qui en comptait trente-cinq à l'origine, en compte beaucoup plus après l'examen au Sénat – près de cent, me suis-je laissée dire… Cette progression montre en tout cas qu'il était nécessaire d'actualiser le droit des outre-mer.
De manière très positive, le Sénat a étendu les dispositions relatives aux titres restaurant à Mayotte et clarifié certaines zones d'ombre pour assurer la création des collectivités uniques en Guyane et à la Martinique. Il a également étendu les dispositions relatives aux langues régionales à l'ensemble des collectivités d'outre-mer et créé une antenne locale sécurité sociale à Saint-Barthélemy.
En revanche, le Sénat a adopté certaines dispositions dont le Gouvernement n'est pas totalement convaincu de la pertinence. Ainsi, il ne me semble pas opportun que les conseils départementaux de La Réunion et de Guadeloupe soient représentés au conseil d'administration de LADOM. Cette solution valait par le passé lorsque LADOM exerçait une mission particulière dans le domaine social. Aujourd'hui, alors que cette instance est dotée d'une compétence particulière en matière de formation professionnelle, il revient manifestement à la région ou aux collectivités uniques de siéger au conseil d'administration.
Enfin, le Gouvernement présente des amendements qui, en raison de leur dépôt tardif et de leur aridité rédactionnelle, avaient été rejetés par les sénateurs en séance publique alors même qu'ils entendent inscrire des avancées utiles. Nous vous les présenterons à nouveau et j'espère que vous les adopterez.
Ce texte balaie assez largement plusieurs points de droit relatifs aux outre-mer. Ce ne sera peut-être pas le texte du siècle mais c'est un texte utile que, je l'espère, vous allez continuer à enrichir.