Intervention de Serge Letchimy

Réunion du 7 juillet 2015 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Letchimy :

Je vous remercie de m'accueillir dans votre commission, monsieur le président.

Madame la ministre, vous faites preuve de beaucoup de courage et d'honnêteté en reconnaissant le caractère fourre-tout de ce texte. À juste titre : il traite de plusieurs problématiques qui traînent depuis des années, parfois même depuis près de trois cent cinquante ans dans le cas des pas géométriques. M. Aboubacar l'a souligné, il faut parfois savoir collectionner les maldonnes, les oublis et les catastrophes pour traiter enfin les problèmes. Mais je ne voudrais pas laisser croire en Guadeloupe, à la Martinique ou ailleurs, que nous allons adopter un grand texte susceptible de régler les problèmes, en particulier les problèmes économiques. Je tiens sur ce point à éviter toute confusion, d'autant que nous ne sommes plus qu'à quelques encablures de l'échéance de la loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM), texte de portée économique dont l'application prendra fin en 2017. On peut aimer cette loi ou pas, peu importe, mais il faut absolument que le Gouvernement précise ses intentions à son égard : s'il veut la supprimer, il faut nous prévenir pour nous laisser le temps de nous y préparer ; s'il s'agit de la modifier, il faut prendre le temps d'y travailler.

J'ai proposé de nombreux amendements ; deux ou trois d'entre eux sont des amendements que je qualifierais de vitaux. Malheureusement, à cause du couperet de l'article 40 de la Constitution, ces amendements ne seront pas discutés. Je souhaite que le Gouvernement les reprenne. J'en cite trois.

Le premier concerne LADOM. Dans les années 1960 et 1970, une politique avait été mise en place pour expurger le surplus démographique dans nos territoires. Elle a permis aux Réunionnais et aux Antillais de venir travailler en métropole. Mais elle a eu une autre conséquence grave : la plupart des forces vives sur le plan démographique se sont retrouvées en métropole. La Guadeloupe et la Martinique seront bientôt les deux plus vieux départements de France, avec la Corse. D'ici 2030, la Martinique comptera 36 % de personnes âgées de plus de soixante ans. La population risque de ne pas se renouveler avec des conséquences sociales et économiques extrêmement graves.

Pire, à cela s'ajoute – c'est la raison pour laquelle j'ai insisté sur le développement économique – un deuxième phénomène : le départ des jeunes. Après le BUMIDOM (bureau pour le développement des migrations des départements d'outre-mer), nous sommes confrontés à l'exil de ceux qui veulent être formés ailleurs. 83 % des étudiants quittent les Antilles et deux sur trois ne reviennent pas. Du coup, nous subissons un double couperet : l'absence de fécondité des jeunes qui partent et la disparition de la fécondité des anciens partis depuis trente ans. La Martinique a ainsi perdu 16 700 habitants au cours des cinq dernières années. En continuant sur cette pente, la Martinique perdra encore dans les cinq prochaines années 16 000 habitants. Je vous propose de créer, après « LADOM aller », « LADOM retour ». Je sais que les gens se déplacent pour des raisons sociales entre les Antilles et la métropole et je connais le volet formation de LADOM auquel la région participe. Mais la situation est grave : nous avons constaté au cours des quatre dernières années que l'université Antilles-Guyane en Martinique a perdu 800 étudiants, selon les données de votre ministère. La décadence est en marche.

Qu'est-ce que « LADOM retour » ? Pour l'heure, un slogan. Mais derrière le slogan, le besoin d'une organisation qui aurait une mission : accompagner tous les jeunes qui veulent revenir chez nous dans le cadre des processus de développement que nous initions.

Deuxième proposition, plus technique et plus classique : généraliser les plans locaux de lutte contre l'habitat indigne dans l'ensemble des départements d'outre-mer. La loi de 2011, dont j'étais le rapporteur, n'a pas prévu d'obligation en la matière. Votre ministère y est favorable, mais mon amendement a été victime de l'article 40 de la Constitution. Seul le Gouvernement peut le présenter.

Troisième sujet de préoccupation : les cinquante pas géométriques. Cette histoire est une histoire grave. Il s'agit d'une possession datant du XVIIe siècle, une bande de terrain de 81,20 mètres, propriété de la colonie. Paradoxalement, c'est là que de petites gens, dans les bourgs et les quartiers populaires, se sont installées pour survivre après avoir quitté les plantations dans lesquelles ils étaient traités comme des esclaves ou des paysans sous tutelle. La loi du 30 décembre 1996 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur de la zone dite des cinquante pas géométriques dans les départements d'outre-mer a ouvert la possibilité de délivrer des titres de propriété à ces gens qui n'étaient jusqu'alors que des squatters à vie, condamnées à l'informel alors qu'elles sont des rouages de la société. C'est rendre justice à ces familles pauvres que de leur accorder des titres de propriété. C'est fondamental. L'État a mis en place le processus mais, à distance, à 8 000 kilomètres, il n'est pas possible de traiter ce genre de problème. Il ne s'agit pas de donner un bout d'îlet à un propriétaire béké du coin, mais de subdiviser des parcelles de 500 mètres carrés sans eau, sans électricité et sans accessibilité.

L'État a lancé un processus de cession de terrains non viabilisés. Ce n'est plus une question de justice mais de respect de l'autre. Le président Brottes pensait que le problème était réglé depuis cinq ou dix ans. Eh bien non ! Le principal échec dans la cession de ces parcelles aux petites gens tient à ce que ces terrains ne sont pas correctement délimités et ne sont pas viabilisés. La Martinique a demandé à prendre la responsabilité de la gestion de ces cessions, l'État lui transférant la compétence. Vous avez répondu par l'affirmative. Je salue votre évolution car, au départ, votre approbation s'accompagnait d'une relative indifférence. Vous transférez des compétences, mais sans vous préoccuper des charges qui en découlaient. Je veux remercier les services techniques qui ont beaucoup travaillé avec nous pour avancer sur ce dossier. Mais vos propositions ne sont pas encore satisfaisantes.

Avec Yves Blein, nous avons beaucoup travaillé : ce sont des milliers de maisons et d'hectares, des centaines de quartiers et de bouts de terrain qui sont concernés. Il va falloir s'en occuper très sérieusement. L'accès à la mer est fondamental pour le désenclavement de l'île. C'est un sujet très sérieux. Je vous remercie d'avoir accepté de prolonger le délai de trois à cinq ans. Cette période intermédiaire laissera le temps à l'État de procéder à des évaluations financières. Il faut mettre au point une vraie fiscalité pour permettre à l'établissement public de réaliser les cessions, ce qu'il ne peut pas faire sans aménagement et sans en connaître le coût. On ne peut pas imposer la double peine : obliger ceux qui n'avaient pas de terrain à aller squatter un bout de terrain dans un coin et ensuite leur céder le terrain sans eau, sans route, sans rien du tout. Je vous invite à accepter le sous-amendement que nous présentons à votre amendement, ce qui fera tomber l'amendement de M. Blein.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion