Intervention de Serge Letchimy

Réunion du 7 juillet 2015 à 15h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Letchimy :

Je vais être très clair : ce texte n'a pas la dimension emblématique d'un texte de développement économique, mais il est important en ce qu'il permet de régler toute une série de problèmes très épars et complexes qui existent depuis de nombreuses années et n'ont jamais clairement été réglés. Le Sénat l'a enrichi et nous allons tâcher de faire de même.

La loi Lurel porte certes ses fruits, puisqu'elle permet de stabiliser les prix outre-mer, dont les écarts avec la métropole s'établissent entre 30 % et 60 %, ce qui aggrave anormalement la situation de vie chère. Reste que c'est la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer, dite LODEOM, qui définit toutes les modalités de financement à travers des mesures fiscales ou d'accompagnement financier pour les projets structurants. Or cette loi arrive à terme en 2017, et si nous ne commençons pas à travailler maintenant à ce qu'elle pourrait devenir, nous risquons d'être confrontés à un vide juridique, singulièrement en ce qui concerne les entreprises. Il serait bon que la commission des affaires économiques puisse demander officiellement au Gouvernement s'il considère qu'on peut reprendre ce texte, le faire évoluer vers un modèle économique capable de nous faire gagner la bataille du chômage et de la croissance partagée. Mais pour cela, il faut s'y prendre deux ans avant le terme, et non pas deux jours. Monsieur le président, je sais votre attachement à l'outre-mer égal à celui du développement économique de la France, et j'insiste : personne ne peut laisser croire que le texte que nous examinons porte sur le fond des questions économiques. Il n'est que d'adaptation, de régulation et d'organisation.

Avec le rapporteur pour avis, nous avons présenté plusieurs amendements sur certaines dispositions dont la commission des affaires économiques s'est saisie. Certains sont tombés sous le coup de l'article 40 de la Constitution, notamment ceux abordant la question, très importante pour nous, des cinquante pas géométriques. Pourriez-vous, Monsieur le président, intervenir auprès du Gouvernement pour qu'il les reprenne en vue du débat en séance publique, en particulier ceux qui concernent la loi relative à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer ? L'un de ces amendements déclarés irrecevables prévoyait l'obligation, pour les communes tenues à l'élaboration d'un programme local de l'habitat, de mettre en place un plan local de lutte contre l'habitat indigne, considérant qu'en Martinique, sept communes sur trente-quatre seulement ont établi ces plans.

Les cinquante pas géométriques sont une histoire vieille de 450 ans, à laquelle se mêlent celles de la République, de la colonisation, de la structure agraire et foncière de la Martinique, avec leur lot de blessures et d'injustices. Je rappelle qu'il s'agit d'une bande de 81,20 mètres le long des rivages de Martinique et de Guadeloupe. C'est là qu'est installé le très petit peuple, extrêmement pauvre, dans des quartiers ou des bourgs populaires, sur des terrains très convoités par une catégorie de population, ce qui crée des affrontements terribles. C'est là aussi que niche l'espérance en matière de développement économique, car comment une île pourrait-elle se développer sans accès à la mer et sans port ?

Nous avons proposé au Gouvernement, puisque l'État ne peut gérer cela à 8 000 kilomètres de distance, d'en prendre la charge sur place. Il faut en finir ! Nous avons vécu tous les transferts de l'État, mais j'en ai vu l'intelligente perfidie : c'est bien beau de prendre en charge les collèges et les lycées, mais si vous n'êtes pas assez vigilant, très vite, vous vous faites avoir ! Avec Yves Blein, nous avons donc demandé – et je sais que vous nous soutiendrez dans cette démarche – que la gestion de ces terrains nous soit transférée avec les moyens nécessaires au règlement de cet enjeu incroyablement compliqué. De fait, l'État a échoué à tenir ses engagements de rétrocéder ces terrains à leurs occupants modestes installés là depuis quarante à soixante ans à un rythme cohérent, et l'Agence des cinquante pas géométriques est devenue un monstre du Loch Ness réapparaissant tous les deux ans pour prolongation. L'État doit donc évaluer et assumer les moyens financiers et techniques attachés aux transferts de compétences vers les collectivités de Martinique de Guadeloupe, pour leur permettre de gérer ces espaces vitaux pour ces territoires.

Enfin, du point de vue de la démographie, certaines régions se dépeuplent et d'autres connaissent des évolutions positives : la Guyane gagne 7 % de population par an et la Réunion va atteindre le million d'habitants bientôt ; par contre, en quatre ou cinq ans, la Martinique a perdu 16 000 habitants, comme la Guadeloupe. En 2030, la part des personnes âgées de plus de 60 ans représentera 36 % de la population en Martinique. Cela posera un vrai problème économique. Il ne faut pas reproduire les erreurs du passé, telle celle qui a consisté, dans les années 60, à créer le Bureau pour le développement des migrations dans les départements d'outre-mer (BUMIDOM) qui a éventré la démographie de ces pays en envoyant ici, pour des raisons louables sans doute, des gens pour être employés dans les postes et les hôpitaux. Ces personnes, à l'époque âgées de vingt ou vingt-cinq ans, ont exprimé leur fécondité en métropole au détriment de leurs départements d'origine. Aujourd'hui, le solde migratoire de ces derniers est déficitaire, avec un taux de natalité incroyablement faible.

À cela s'ajoute le phénomène de la migration des jeunes étudiants qui partent suivre ailleurs des cursus qui n'existent pas localement et ne reviennent pas, faisant ainsi le bonheur des entreprises extérieures. La perte des cerveaux, ainsi combinée à la perte démographique, aboutit à une catastrophe : la perte de PIB, qui est aujourd'hui de 1,6 point, va encore augmenter d'un point.

Pour ces raisons, je ne partage pas le point de vue du Gouvernement de réformer à la marge le statut de l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM). Celle-ci ne doit pas se contenter d'envoyer des gens par avion pour deux jours ou le temps d'une formation ; elle doit absolument prendre en main la migration de retour. Les jeunes doivent revenir de Paris et s'investir dans des projets locaux pour développer les territoires ultramarins.

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