Intervention de Brigitte Allain

Réunion du 7 juillet 2015 à 15h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBrigitte Allain, rapporteure :

Je suis fière de vous présenter le rapport d'information qui résulte des travaux de la mission d'information sur les circuits courts et la relocalisation des filières agricoles et alimentaires. Je remercie le président Brottes d'en avoir autorisé la création et de m'en avoir confié le rapport.

La mission a commencé ses travaux au mois de février 2015. Elle a entendu plus de cent personnes lors de ses auditions à Paris : représentants de l'administration, syndicats, entreprises, organisations de production et interprofessions, élus, associations pour la protection de l'environnement et de défense des consommateurs. Pour rencontrer les pionniers des démarches de l'organisation régionale et locale des circuits courts, elle s'est déplacée dans le Bergeracois, en région nantaise, à Lille, à Mayotte et à La Réunion. Compte tenu des enjeux européens du sujet, la mission d'information a également rencontré à Bruxelles des représentants des instances de l'Union européenne.

Alors que la société française est à la recherche de lien social et souhaite mieux prendre en compte les enjeux environnementaux, l'alimentation redevient un enjeu de politique publique et un patrimoine local à préserver et à développer.

Chacun peut en être d'accord, un pays développé doit être capable d'assurer sa propre alimentation. Pour ce qui est de la France, la loi Pisani qui, après guerre, devait précisément lui permettre d'assurer son indépendance alimentaire, a transformé, en moins de vingt ans, son mode de production vivrière en production suffisante et planifiée, puis excédentaire. Depuis quarante ans, nous poursuivons cette même politique comme si rien n'avait changé en France, en Europe et dans le monde. Nos productions sont devenues de simples marchandises soumises aux lois du marché, entraînant des faillites dramatiques parmi les agriculteurs et dans la filière agroalimentaire. Plus aucune planification ne garantit notre alimentation. La politique agricole commune (PAC) est de plus en plus contestée par nos concitoyens. Plus grave, le lien entre les citoyens et les agriculteurs est rompu. Quant à la confiance des consommateurs en ce qu'ils ont dans leur assiette, elle est bien entamée.

Je me félicite que notre travail législatif ait permis d'inscrire la souveraineté alimentaire dans le droit français. L'un des axes novateurs de la loi d'orientation agricole réside dans l'ancrage territorial de la production pour l'alimentation : ce dernier nous permet de refonder une politique agricole adaptée aux enjeux actuels et à venir. Refonder une politique agricole ambitieuse et moderne n'est pas faire table rase du passé ou de ce qui a réussi. Pour les agriculteurs comme pour les consommateurs, les projets alimentaires territoriaux inscrits dans la loi d'avenir pour l'agriculture permettent de retisser le lien social et de rétablir la confiance.

Dorénavant, ce sont les élus des territoires, les citoyens et les agriculteurs qui définiront ensemble leurs besoins alimentaires. Sur le fondement d'un diagnostic partagé, ils décideront quoi produire et comment. Nous n'avons nullement à craindre que les projets alimentaires territoriaux remettent en cause notre politique de production de masse. Dégager en Île-de-France suffisamment d'hectares pour la production légumière ne mettra pas en péril notre grenier à blé. En revanche, cette orientation permettra de créer des emplois non délocalisables et de restaurer la sécurité alimentaire, la richesse du lien avec les consommateurs, notre capacité à faire face à des crises bloquant l'approvisionnement des centres urbains et la fierté des producteurs et de toute la filière agroalimentaire. Ainsi, depuis que le lycée agricole de Saint-Herblain approvisionne en légumes les lycées de la région de Nantes, beaucoup plus de jeunes s'inscrivent dans les formations agricoles.

La mise en application de cette relocalisation valorise les circuits courts, car elle implique de fait le respect de la nature, du sol, de l'air, de l'eau et des animaux. Notre rapport met en évidence la grande attente des consommateurs à l'égard des produits biologiques et leur souhait d'en finir avec le gaspillage alimentaire. Je fais le pari que dans cette période de crise, les projets alimentaires territoriaux rendront tout le monde acteur de cette transition dynamique de territoire, de l'achat responsable et solidaire, de l'usage et du partage du foncier, de la réduction de la dépendance aux énergies fossiles et de la lutte contre le réchauffement climatique.

Nous pouvons nous féliciter d'un rapport qui appelle à un vrai projet politique, transcendant les clivages partisans. Nous avons cherché à y mettre en lumière les freins au développement de l'ancrage territorial de la production et à dégager des pistes et propositions pour favoriser le développement de filières agricoles et alimentaires localisées sur nos territoires.

D'ores et déjà, il faut engager l'Europe à changer de cap et, dès la prochaine réforme, à infléchir la PAC en la renommant « politique agricole et alimentaire commune ». Il faut aussi la convaincre d'adopter un paquet européen « petites fermes » et d'orienter les soutiens de la PAC vers la création d'emplois. L'idée est de remplacer les aides à l'hectare sans condition par des aides sociales et environnementales qui répondent plus à l'enjeu actuel et à venir.

Il incombe à l'État français de structurer cette orientation. La politique alimentaire doit être incluse dans les plans régionaux de l'agriculture durable (PRAD) pour en faire des plans régionaux de l'agriculture et de l'alimentation durables (PRAAD). Conformément à l'objectif assigné par le Président de la République lors de la conférence environnementale, la restauration publique doit intégrer un seuil minimal de 20 % de produits issus de l'agriculture durable dès 2016, ce minimum devant atteindre 40 % en 2020, dont 20 % de bio. Un grand appel à projet « territoires pilotes projet alimentaire territorial » doit être lancé en direction des intercommunalités. La démocratie alimentaire doit être encouragée à travers la création de conseils alimentaires locaux. L'absence de coopération avec les élus est, en effet, source de difficultés pour certains. C'est ainsi que l'équilibre financier précaire de la société coopérative d'intérêt collectif « Mangeons 24 », en Dordogne, fait douter les agriculteurs qui s'y sont engagés.

Il convient également de prendre des mesures opérationnelles, en intégrant notamment, lors de la transposition de la directive européenne en droit français, davantage de critères de durabilité dans les appels d'offre visant un approvisionnement local. Le projet alimentaire d'établissement doit être inscrit au sein même des projets d'établissement quelle qu'en soit la nature – enseignement, centres de loisirs, hôpitaux, hébergement pour personnes âgées et dépendantes, prisons –, et les établissements privés accueillant du public doivent être encouragés à le faire.

Nous proposons également de bonifier la dotation globale de fonctionnement des intercommunalités pour récompenser l'emploi et animer les projets alimentaires territoriaux ; de revoir les programmes de formation initiale de tous les métiers liés à l'alimentation ; de rendre obligatoire la culture biologique sur les zones de captage d'eau ; d'élaborer un cadre réglementaire transversal consacré à la définition et à une réglementation adaptée aux petites structures ; de proposer un projet européen innovant sur les abattoirs mobiles et autres concepts expérimentaux ; de soutenir et encourager les outils coopératifs de transformation par le biais d'aides à l'investissement et aux projets innovants.

Enfin, c'est à l'échelon local que les projets se concrétisent. Il faudra donc réserver obligatoirement un potentiel de terres pour l'approvisionnement alimentaire local dans les schémas de cohérence territoriale (SCoT), créer des abattoirs départementaux ou intercommunaux de proximité et multi-espèces. Dans les départements dont le niveau de vie est très en dessous de la moyenne nationale, il conviendra de faire intervenir l'aide internationale au développement. Je pense à ceux des départements d'outre-mer qui, outre l'éloignement de la métropole, sont confrontés à des problèmes liés à leur insularité et leur histoire.

Pour finir, je tiens à remercier les membres de la mission parlementaire, et en particulier son président, Jean Charles Taugourdeau, Hervé Pellois, la rapporteure de la mission parlementaire de contrôle de l'application de la loi Lurel, Erika Bareigts, ainsi que nos collaborateurs, sans qui ce rapport n'aurait pu être élaboré.

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