Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du 26 mai 2015 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre de la défense :

L'actualisation de la LPM était inscrite dans la loi de décembre 2013. Son article 6 prévoyait, en effet, qu'à la fin de l'année 2015, le point devait être fait devant le Parlement sur l'avancement de la programmation et un certain nombre de questions en suspens, en particulier, l'exportation des Rafale, la mobilisation des ressources exceptionnelles, la déflation des effectifs et l'évolution du contexte stratégique.

Le Président de la République a souhaité, après les événements de janvier, accélérer le processus et faire en sorte que, compte tenu de la nouvelle donne stratégique, cette actualisation ait lieu avant l'été. Une autre actualisation est prévue dans le présent projet de loi à la fin de l'année 2017.

Il s'agit bien d'une actualisation et non d'une révision. Cela veut dire que les fondamentaux de la LPM restent les mêmes, notamment ceux de nos missions. Ainsi, le triptyque protection-dissuasion-intervention, qui a été mis en valeur par le Livre blanc, reste déterminant, même si des inflexions sont proposées en raison de l'évolution de la situation, menaces et conflits ayant pris une ampleur sans précédent. Les menaces de la force et les risques de la faiblesse, qui étaient la thématique du Livre blanc, étaient apparus dès 2013, mais ils ont acquis aujourd'hui une simultanéité, une soudaineté et une gravité, qui font que l'ensemble se cristallise – les risques de la faiblesse, avec toutes les menaces asymétriques, les menaces de la force, avec la crise ukrainienne.

En Europe, d'autres pays commencent à mettre les enjeux de défense plus au centre de leurs préoccupations. C'est à la fois une bonne nouvelle, parce que ce souci est partagé, mais aussi une mauvaise, car cela résulte de l'accroissement des risques et des menaces. La tonalité des débats a donc changé depuis mes débuts comme ministre de la défense.

Neuf points principaux caractérisent l'actualisation de la LPM.

Premièrement, le Président de la République a fait le choix de définir un nouveau contrat de protection sur le territoire. Dans le triptyque dissuasion–intervention-protection, l'objectif est désormais que nos armées disposent de la capacité de déployer, dans la durée, 7 000 soldats sur le territoire national, avec la faculté de monter jusqu'à 10 000. Cet effort porte essentiellement sur la force opérationnelle terrestre (FOT), qui passera de 66 000 postes dans la LPM initiale à 77 000. Nous avons ainsi fait le choix politique de renforcer les capacités de notre armée professionnelle pour assurer la protection de notre territoire, plutôt que de retenir d'autres idées telles que celles d'une garde nationale ou d'une réserve territoriale massive. Cela nous conduira d'ailleurs à une réflexion importante avec le chef d'état-major des armées (CEMA) et le chef d'état-major de l'armée de terre (CEMAT) sur le concept d'emploi et les moyens de ces unités – qui n'ont pas vocation à être des auxiliaires, mais à assumer une mission de protection exigeante. En ce moment, cette mission s'inscrit dans les dispositifs de Vigipirate et de Sentinelle ; demain, ce pourra être dans un autre. En tout cas, il faut une cohérence pour l'ensemble de nos forces : il n'y a qu'une armée de terre, et il n'y aura pas de régiments à vocation spécifique de protection du territoire ou de projection à l'extérieur, exception faite des forces spéciales.

Deuxièmement, en raison de ce choix, le Président de la République a décidé un allégement des déflations d'effectifs – de 18 882 équivalents temps plein (ETP) par rapport au profil de départ, qui était de 34 664 ETP –, dans le but de renforcer nos capacités opérationnelles, essentiellement pour la protection du territoire, et de faire face à certains besoins majeurs et croissants dans les domaines du renseignement et de la cyberdéfense. Compte tenu de la déflation déjà effectuée en 2014, la période entre 2015 et 2019 verra se croiser des renforcements et des déflations d'effectifs. J'ai d'ailleurs souhaité qu'il y ait l'urgence pour pouvoir engager dès à présent le processus de recrutement des personnels militaires, qui doivent être formés avant d'être affectés : une campagne de communication a été lancée à cette fin par l'armée de terre, que je trouve bien faite. J'inclus bien dans cet ensemble le renforcement de la cyberdéfense, avec 1 000 postes supplémentaires pourvus entre 2014 et 2019, ainsi que des services de renseignement, avec 650 postes supplémentaires, répartis entre la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la direction du renseignement militaire (DRM) et la direction de la protection et de la sécurité de la Défense (DPSD).

Troisièmement, le Président de la République a décidé d'accroître la dépense de défense de 3,8 milliards d'euros par rapport à la trajectoire initiale de la LPM. Sur ce total, 2,8 milliards d'euros sont affectés au nouveau contrat de protection, à la fois pour les soldes, les équipements et les infrastructures nécessaires. Une partie du milliard restant, à hauteur de 500 millions d'euros, est consacrée à l'entretien programmé du matériel (EPM), qui subit des contraintes sérieuses en raison du nombre, de la durée et des conditions d'exécution des opérations. Ces 500 millions viennent s'ajouter à l'effort significatif que j'avais souhaité dans la LPM sur ce volet qui était devenu la variable d'ajustement. Il s'agissait d'abord de se remettre à niveau, puis qu'on augmente de 4,3 % par an les sommes qui lui sont affectées.

Les autres 500 millions d'euros seront consacrés à des acquisitions capacitaires, auxquels s'ajoutera 1 milliard d'euros tiré du coût des facteurs beaucoup plus favorable maintenant qu'en 2013, en raison de la baisse du coût de l'essence ou de la moindre inflation notamment. Cela permettra de répondre à l'ensemble de la programmation capacitaire de la LPM, qui n'est pas remise en cause, et d'accélérer certains programmes, en particulier la composante hélicoptère, dont les dernières opérations montrent l'importance – 7 Tigre et 6 NH90 supplémentaires vont être ainsi commandés –, l'acquisition d'un troisième satellite MUSIS d'observation spatiale, en coopération avec l'Allemagne, et le renforcement de la capacité d'écoute ROEM pour les drones Reaper.

Quatrièmement, le Président de la République a pris la décision, en Conseil de défense, de supprimer les ressources exceptionnelles (REX) et de les transformer, dès 2015, en crédits budgétaires, ce qui est une grande nouveauté. Ces REX existent déjà depuis plusieurs années. En 2015, elles s'élevaient à environ 2,4 milliards d'euros – sur lesquels il nous restait à trouver 2,2 milliards – et à 6,2 milliards sur la durée de la programmation. Il n'y aura donc plus de ressources exceptionnelles, en dehors des ressources immobilières qui sont relativement marginales. En 2015, la prochaine loi de finances rectificative (LFR) permettra l'inscription des crédits budgétaires nécessaires pour compenser ce qui était prévu initialement, c'est-à-dire les ressources liées à la mise aux enchères des fréquences de 700 MHz. À partir de 2016, ces crédits seront inscrits en loi de finances initiale. Au total, l'effort de la France en faveur de sa défense s'élèvera à 162 milliards d'euros entre 2015 et 2019, contre 158,61 milliards prévus initialement.

Cinquièmement, le projet de loi marquera la création des associations professionnelles nationales de militaires (APNM), qui permettra la rénovation de la concertation militaire. Comme vous le savez, le droit français a interdit de longue date aux militaires de créer ou d'adhérer à des groupements professionnels, et la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a condamné la France, estimant que cette interdiction générale et absolue était contraire à l'article 11 de la convention européenne des droits de l'homme. Le projet instaure donc le droit pour les militaires de créer et d'adhérer librement à de telles associations en vue de préserver et promouvoir les intérêts des militaires concernant la condition militaire – et non l'organisation de la défense, ni les questions de commandement. Ces associations, qui n'existent pas encore, devront être nationales et intercatégorielles, et participeront aux travaux du Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM), qui est aujourd'hui composé de personnels militaires tirés au sort dans leurs unités, avec une proportion d'officiers, de sous-officiers et d'hommes du rang, et une répartition entre les différentes armées.

Sixièmement, ce projet renforce de manière exceptionnelle la réserve opérationnelle, ce qui était une de mes priorités. Le nombre de réservistes passera de 28 000 à 40 000 dans les cinq ans qui viennent, en essayant de faire un effort de communication significatif pour améliorer les conditions d'appel des réservistes opérationnels et l'attractivité de la réserve, et en prévoyant de porter de cinq à dix jours en continu la durée d'activité des réservistes, au lieu de quelques journées éparses qui ne permettaient pas une préparation suffisamment significative. J'ai eu un dialogue nourri sur ce sujet avec le MEDEF, qui a été consulté sur certaines dispositions principales du projet. Il s'agit aussi d'une priorité du CEMA.

Septièmement, le texte prévoit l'expérimentation en métropole par le ministère de la défense d'un service militaire volontaire (SMV), en déclinaison du service militaire adapté (SMA) qui existe outre-mer. Trois sites sont prévus, dont deux déjà identifiés – Montigny-lès-Metz, en Moselle, et Bretigny-sur-Orge, dans l'Essonne –, qui permettront une expérimentation dès la rentrée 2015. Le troisième centre ouvrira en 2016. L'ensemble accueillera 1 000 volontaires, qui auront un statut militaire et bénéficieront d'une formation militaire professionnelle et d'une éducation citoyenne. Cette expérimentation pourra donner lieu à une généralisation, qui ne rentrera plus dans le cadre de la mission de mon ministère, mais de celle du ministère du travail et de l'emploi.

Huitièmement, le projet permet, non seulement d'être au rendez-vous des capacités indiquées dans la LPM initiale, mais aussi de donner des inflexions et des renforcements. Cela règle le problème du Rafale dont, en l'absence de commandes à l'exportation, nous étions tenus d'assumer la livraison de onze appareils par an, ce qui nous aurait amenés à accélérer le processus de montée en puissance de notre aviation de chasse au détriment d'autres programmes.

Je signale au passage qu'en matière d'exportation d'armes, nous allons atteindre des records historiques en 2015, puisque nous doublerons probablement le chiffre de 2014, lui-même en augmentation de 30 % par rapport à celui de 2013, lequel était de 40 % supérieur à celui de 2012 ! Elles ne concernent d'ailleurs pas que les Rafale : le programme égyptien comporte, outre les livraisons de cet avion, celles d'une frégate et d'armements associés. Entre la logique d'exportation et la logique interne, les carnets de commande de nos industriels sont donc assurés sur le moyen terme.

J'ajoute deux points à cet égard. D'abord, nous nous sommes mis d'accord avec mes collègues allemande et italienne, la semaine dernière, à Bruxelles, sur le principe de mise en oeuvre de l'Eurodrone, qui est le projet de drone de reconnaissance de type MALE susceptible de succéder au Reaper dans les années 2023-2024. Finmeccanica, Dassault et Airbus travaillent ensemble à cette fin. Ensuite, la consolidation industrielle se poursuit dans le secteur terrestre avec le rapprochement entre Nexter et KMW, que j'ai engagé l'année dernière. Celui-ci devrait se conclure dans le courant de l'été sous la forme d'un accord. Il s'agira d'un ensemble européen important.

Nous sommes également soucieux que les forces spéciales, que nous avons portées de 3 000 à 4 000 hommes, aient les équipements d'accompagnement nécessaires.

Neuvièmement, ces inflexions n'empêchent pas la poursuite des plans stratégiques des armées. Il y avait déjà le plan de l'armée de l'air, « Unis pour faire face », « Horizon marine 2025 » pour la marine, « SSA 2020 » pour le service de santé des armées et « SCA 2021 » pour le service du commissariat des armées. Je les ai validés et ils sont en cours de mise en oeuvre. J'ai également validé celui de l'armée de terre, « Au contact ! », qui devrait entraîner une réorganisation significative de cette armée pour faire face aux nouvelles menaces, avec notamment la création d'une brigade d'aérocombat, qui s'ajoutera aux six brigades interarmes densifiées qui seront mises en place progressivement.

S'agissant de l'Europe, le Conseil européen de décembre 2013 a été le premier à s'intéresser aux affaires de défense. Il avait fixé un rendez-vous en juin 2015, qui va être tenu, et qui permettra de vérifier si un certain nombre d'engagements pris ont été mis en oeuvre – en particulier les drones et l'action maritime qui avait été définie et affirmée au Conseil européen de septembre 2013.

J'attends du Conseil européen du mois de juin qu'il permette d'avancer sur quatre sujets de préoccupation. Le premier est de faire en sorte que les groupements tactiques ou battle groups, qui n'existent pour l'instant que sur le papier, puissent être effectivement en action en cas de crise. Je l'attends d'autant plus que nous allons avoir une succession de présidences de nations cadres déterminées à aller de l'avant.

Le deuxième point est la mise en oeuvre d'un dispositif permettant d'assurer les capacités des États tiers à renforcer leur propre sécurité, en particulier à travers la création d'un nouvel instrument de financement donnant à l'Union européenne la possibilité de soutenir la mise en place des forces de sécurité qu'elle aide à former. L'idée est de faire en sorte que tout ce qui participe à l'équipement non létal dans une opération européenne de formation puisse être fourni par un instrument financier spécifique – faute de quoi, certains, comme les Maliens, seraient obligés de faire la quête auprès des Émirats arabes unis ou des États-Unis pour avoir les moyens de structurer leurs bataillons.

Le troisième point est de rendre la coopération européenne plus attractive par un dispositif financier adéquat, notamment sous la forme d'une exonération de TVA pour les acquisitions de capacités en coopération au niveau européen.

Quatrième point, enfin, organiser le soutien de l'industrie de défense européenne par l'Union européenne en rendant désormais possible le financement des secteurs de recherche sur le budget de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), ce qui n'était pas envisageable il y a encore moins d'un an.

Sur chacun de ces points, la France a des alliés. Depuis deux ans, la coopération du groupe de Weimar, entre l'Allemagne, la Pologne et la France, d'une part, et les membres de « Weimar + », l'Espagne et l'Italie, d'autre part, fonctionne plutôt bien. Nous sommes en train de cristalliser des conceptions communes qui, je l'espère, pourront se poursuivre, même s'il y a un changement de gouvernement en Pologne.

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