C'est une grave erreur tactique et stratégique de l'État.
Que l'on cesse de nous amuser avec les co-entreprises qui ne portent que sur une partie des activités d'Alstom ! On attire l'attention sur elles pour nous faire oublier que General Electric va absorber la totalité des activités d'Alstom dans l'énergie, qui sont purement et simplement vendues. En outre, Alstom ne détiendra que 20 % du capital de la co-entreprise nucléaire. Vous avez beau prétendre que c'est formidable d'avoir une minorité de blocage, nous constatons que sa participation la plus faible se situe précisément dans l'activité la plus stratégique…
Pour le reste, Clara Gaymard nous a dit qu'il n'y aurait qu'un pilote dans la voiture : General Electric. Au départ, le groupe américain va associer des cadres d'Alstom à la gouvernance, le temps d'absorber la substance de l'entreprise. Mais dans dix ans, Alstom aura totalement disparu. Il n'existe pas de partenariats à égalité, comme l'illustre la récente fusion avortée de Publicis et Omnicom. L'une des entreprises prend toujours le pas sur l'autre, et, dans le cas qui nous occupe, c'est malheureusement General Electric. Les pressions n'auront permis que de sauver la face en obtenant quelques garanties et de retarder un tant soit peu la disparition programmée d'Alstom.
Quel rôle a joué la justice américaine dans cette affaire ? On me répète depuis ce matin que j'affabule, que je donne dans la théorie du complot et que je suis totalement à côté de la plaque. Néanmoins, dans le rapport qu'elle a rendu en décembre dernier, la mission parlementaire animée par le député Urvoas et le sénateur Raffarin met l'accent sur le fait que les autorités américaines utilisent le Foreign corrupt practices act de 1977 à l'égard d'entreprises étrangères basées aux États-Unis pour des opérations qu'elles réalisent à l'extérieur. L'application de cette loi permet de déclencher des procédures à l'égard d'entreprises qui s'en trouvent fragilisées et finissent par se faire racheter par des concurrentes américaines. Ô miracle, une fois que l'entreprise est rachetée, on trouve un accord et les poursuites sont abandonnées ! C'est d'autant plus troublant que General Electric est coutumier du fait : pas moins de cinq à six entreprises ont été victimes de telles manoeuvres de sa part.
À ceux qui pensent que j'affabule, je répondrais que nous sommes en guerre économique et que nous devons savoir protéger nos intérêts, ce qui n'a, hélas ! pas été le cas dans cette affaire. Nous devons nous doter d'un arsenal qui permettrait de protéger nos entreprises mais aussi leurs cadres dont certains ont été emprisonnés pendant plusieurs mois, ce qui a été extrêmement douloureux pour eux.