Intervention de Frédéric Cuvillier

Réunion du 11 décembre 2013 à 17h15
Commission des affaires européennes

Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche :

Je vous remercie de m'accueillir à la veille de ce marathon traditionnel de fin d'année qu'est la négociation des TAC et des quotas, aussi éprouvante physiquement que frustrante intellectuellement : la pluriannualité semblerait plus raisonnable – mais nous nous soumettons à cet état de fait, en nous efforçant de nous tenir à une méthode. Votre invitation, en permettant l'échange direct entre nous, contribuera à éviter que la position du Gouvernement français ne soit présentée en termes inexacts sur ces sujets sensibles, s'agissant souvent de décisions issues du processus législatif de codécision au niveau européen.

Au fil des réunions du Conseil des ministres de la pêche, nous nous sommes efforcé d'apporter un peu de recul, car nous n'en avons peut-être pas assez pour apprécier une réglementation très fournie et peu stable à laquelle les professionnels doivent sans cesse s'adapter et adapter leurs modes de pêche. En outre, la surproduction de textes risque de nourrir le désamour vis-à-vis de l'Europe bleue, qui est pourtant la première Europe, au fondement de l'Union, et un bel exemple de mutualisation et d'échange puisque, sans elle, les pêcheurs français ne pourraient s'approvisionner dans les eaux de nos voisins. Pour que les règles soient efficaces, il faut, nous semble-t-il, leur laisser le temps de produire leurs effets.

Les chiffres fournis par la Commission européenne révèlent néanmoins une augmentation constante, ces dernières années, des stocks en rendement maximum durable – RMD : 6 % des stocks ont été pêchés durablement en 2007, 28 % en 2012 et 61 % en 2013. Certes, il y a encore des progrès à faire.

Il importe de placer l'expertise scientifique au coeur des négociations et de lui allouer les moyens nécessaires. L'année dernière, d'ailleurs, les négociations ont été beaucoup plus simples dès lors qu'elles se fondaient sur les avis scientifiques. C'est un aspect de ma méthode. Et c'est ainsi que nous donnerons du sens à la politique commune de la pêche, en en garantissant la durabilité, pour les pêcheurs eux-mêmes, qui la demandent et qui refusent la surexploitation. Pour les cibles dont le rendement maximal durable est connu, nous devons définir les quotas de pêche selon le calendrier qui a été arrêté – le seuil de RMD doit être atteint si possible dès 2015 et, à défaut, de manière graduelle d'ici à 2020 –, de manière raisonnable et soutenable par les professionnels. Pour certains stocks, le RMD peut être atteint très rapidement ; lorsque tel n'est pas le cas, nous devons tenir compte des conséquences socio-économiques de la mutation sur tout un secteur, donc prévoir une certaine progressivité. Quand un stock ne fait pas l'objet de données scientifiques suffisamment précises ou complètes, nous nous fondons sur les tendances fournies par le Conseil international pour l'exploration de la mer, le CIEM, et par les scientifiques. Cette année, je demanderai à la Commission que nous soyons associés au suivi de ces tendances lorsque c'est nécessaire.

Quand les données sont méconnues ou insuffisamment précises, c'est pour chaque façade maritime que la réalité socio-économique doit être appréhendée. La régionalisation est donc un défi à relever, avec des professionnels responsabilisés. Le fait que dans le golfe de Gascogne, par exemple, on préconise année après année des diminutions de 20 % pour certains stocks est économiquement insoutenable pour les pêcheurs. Il faut en tenir compte en attendant de disposer des données scientifiques dans le cadre d'une campagne financée par l'Europe ; il y va de l'aménagement du territoire, s'agissant souvent de petites pêcheries qui assurent la vitalité de nos littoraux.

Toutes nos façades maritimes, ne se caractérisant pas par le même type de pêcherie, n'appellent pas la même approche. C'est une particularité française. Voilà pourquoi je m'étonne toujours que l'on rattache notre pays à un camp ou à un autre. Les pêcheries de Méditerranée sont bien différentes, avec leurs petits métiers qui côtoient les thoniers senneurs, de celles de l'Atlantique, de la Manche ou de la mer du Nord ; les navires hauturiers ne sont pas les navires côtiers, les gros ne sont pas les petits, etc. À cette diversité s'ajoute celle des espèces : toutes nos façades connaissent les pêcheries mixtes, qui ne se prêtent guère à une réglementation espèce par espèce. Cette particularité n'est pas suffisamment prise en considération, justement parce qu'elle contrarie le principe de la réglementation. Le problème ne se pose pas dans les pays où la pêche porte sur une espèce unique et où elle est d'ailleurs souvent intensive, à la différence de la nôtre. Ainsi, la pêche minotière, qui, curieusement, suscite peu l'intérêt des médias, n'est guère concernée par l'exigence de durabilité des stocks. Bref, c'est à tort que l'on stigmatise la position de la France, qui est équilibrée : nous défendons tout naturellement nos métiers et notre économie maritime tout en promouvant la durabilité.

Les négociations promettent d'être difficiles. Je m'inquiète pour la sole dans le golfe de Gascogne et dans la Manche : quel métier pourrait absorber des variations annuelles aussi importantes que la baisse de 45 % des quotas de sole actuellement préconisée ? Voilà pourquoi nous souhaitons une gestion pluriannuelle des stocks. En outre, certaines espèces sont aujourd'hui interdites à la pêche pour des raisons difficiles à défendre : c'est le cas de la raie brunette, dont la capture est interdite depuis 2009 mais dont les professionnels constatent bien la présence abondante dans leurs filets avant de la rejeter pour se conformer à l'interdiction. On touche là aux limites de la réglementation, qui produit des effets pervers si elle est dépourvue de sens. J'ai d'ailleurs demandé à la Commission, en vain, le pourcentage de rejets dus à l'inadaptation des réglementations, notamment celles qui portent sur les prises accessoires ou sur les maillages.

La réforme de la PCP a donné lieu à une discussion serrée, mais nous sommes parvenus à défendre une position à la fois équilibrée et ambitieuse, dont j'espère que les professionnels s'empareront. S'agissant justement des rejets, la France a plaidé, non sans succès, pour plus de souplesse. Nous avons réussi à arrêter un calendrier soutenable : 2015 pour les espèces pélagiques, 2016 pour l'Atlantique, 2017 pour la Méditerranée. Les rejets sont interdits pour les espèces sous quotas, en toute logique. Nous avons obtenu plus de flexibilité entre espèces et d'une année sur l'autre, de façon à pouvoir rééquilibrer les résultats d'une année l'année suivante. Le calcul des quotas a été conçu pour rendre soutenable cette réforme, qui doit laisser aux professionnels la possibilité de s'adapter. La recherche a connu des progrès significatifs, de même que la sélectivité, par exemple pour la langoustine de Bretagne ou par l'intermédiaire du programme Selectfish, à Boulogne et dans d'autres ports ; ces précieux outils peuvent être financés par le FEAMP.

La valorisation des rejets constitue un enjeu économique. Nous devons donc structurer nos façades compte tenu de la nécessité de traiter les captures non désirées, afin de donner du sens à l'interdiction. Si nous négocions bien, le FEAMP devrait nous permettre de disposer de moyens pour traiter les coproduits et les rejets. Il existe en la matière des expérimentations et des innovations très intéressantes ; nous n'avons pas fini de découvrir de nouvelles techniques dans ce domaine.

Quant à l'organisation des marchés, en lien avec les organisations de producteurs, nous devrons tenir le marché, le valoriser et mieux valoriser les filières et les métiers. Ce volet est souvent sacrifié au profit des aspects plus médiatiques.

S'agissant des outre-mer, la reconnaissance de nos régions ultrapériphériques, grande avancée de ces derniers mois, concerne aussi le FEAMP. Nous avons remporté ce combat qui n'avait jusqu'alors pas été victorieux, si tant est qu'il ait été mené. Des conseils consultatifs régionaux seront installés, conformément à une revendication légitime : dans ces régions se posent des problèmes spécifiques liés à la capacité de pêche et au renouvellement de navires très énergivores, ce qui justifie que nous accompagnions l'organisation des marchés et de toute la filière de pêche. Nous avons également obtenu d'étendre jusqu'à 100 milles la protection de leurs eaux, ce qui est particulièrement important pour la petite pêche, dans ces régions caractérisées par les petits métiers.

J'ai toujours souhaité que le FEAMP accompagne la PCP, car si l'on veut une réforme ambitieuse de la PCP, il faut s'en donner les moyens financiers. De ce point de vue, le calendrier arrêté semble cohérent. Il est un point sur lequel nous n'avons pas eu gain de cause, malgré nos appels au bon sens : le renouvellement de flottes très anciennes, déjà dangereuses ou qui le deviendront parce qu'elles sont inadaptées à la réforme des rejets. On m'objecte souvent que le renouvellement de la flotte implique d'accroître la capacité de pêche, mais ce n'est pas nécessairement le cas. Pourquoi ne pas appliquer des critères opposables de consommation d'énergie, tirer profit des innovations technologiques pour le choix des carburants – biocarburants, carburants hybrides – et limiter l'effort de pêche ? On évoque à défaut de renouvellement la modernisation ou la motorisation des engins, mais une vieille voiture dotée d'un nouveau moteur n'est pas plus efficace ni moins consommatrice d'énergie : elle est plus dangereuse ! En outre, les travaux d'adaptation sont extrêmement coûteux, ce qui déséquilibre les petites unités de pêche : on aggrave leurs difficultés en poussant à la modernisation au lieu d'autoriser le renouvellement. Si tel est le but poursuivi, il faut le dire !

Le FEAMP doit donc privilégier le financement de la recherche et de l'innovation en matière d'aquaculture et de pêche, sans critères trop restrictifs puisqu'il s'agit de développer une politique durable. Il ressort des travaux du Parlement européen que seuls les bateaux de moins de 12 mètres bénéficieraient de certaines subventions. Ce critère n'a guère de sens : sur nombre de nos façades, ce type de bateau est réservé à la pêche de loisir, ce qui n'est pas le cas dans d'autres pays. Si le but est de moderniser les navires, de les rendre plus sûrs, il faut modifier ce critère. Un métier, le chalutage, est mis en cause ; pourquoi ? Bref, il reste plusieurs questions à propos desquelles nous essaierons de faire triompher le bon sens.

Quoi qu'il en soit, la priorité est de disposer d'une enveloppe proportionnée aux enjeux pour la flotte française. Les discussions ne doivent pas se fonder sur l'enveloppe précédente, qui était beaucoup trop faible car mal négociée. L'aide à l'installation des jeunes doit absolument être maintenue. Les mois à venir seront consacrés à la préparation du FEAMP, acte II de la PCP auquel les régions et les comités régionaux seront associés afin que les aides soient orientées à partir d'une expertise partagée.

À propos de la pêche en eaux profondes, je suis les tweets et autres formes de communication moderne et j'aimerais que l'on fasse preuve de cohérence et que l'on ne travestisse pas la réalité. J'ai ainsi lu que la France aurait, avec l'Espagne, fait blocage. Je l'ai dit lors de la conférence environnementale, ce que nous voulons, c'est être partie prenante des conclusions qui seront tirées à ce sujet. Conformément à ce que m'ont demandé le Président de la République et le Premier ministre, la France doit contribuer à améliorer la connaissance des pêches profondes, en s'appuyant sur des avis scientifiques, et stabiliser leur empreinte écosystémique, c'est-à-dire sanctuariser les lieux de pêche actuels sans empiéter sur d'autres ni mettre en cause un écosystème vulnérable. Je suis favorable à ce que l'on rende obligatoire la certification des pratiques, à laquelle certaines pêcheries se soumettent déjà.

Pour tenir compte des enjeux économiques et sociaux du débat, il faut commencer par définir ce que l'on qualifie de pêche en eaux profondes : parle-t-on de pêche ciblée, de capture accessoire ? Où commencent les eaux profondes ? À 600 mètres ? Quelles garanties les armements apportent-ils ?

Je n'ai pas apprécié les formules excessives qui ont été employées. Je n'ai pas à y répondre. Je dirai simplement que je ne suis pris dans aucun conflit d'intérêt ; ceux qui m'ont ouvertement soupçonné du contraire dégradent le discours et la responsabilité publics et devraient peser les conséquences de leur communication. On ne gagne rien à radicaliser les positions et les formulations ni à stigmatiser certains métiers. Je n'ai cherché qu'à parvenir à un point d'équilibre raisonnable qui nous permette de progresser.

La discussion aura lieu une fois transmis le texte voté hier par le Parlement. Le sujet est très débattu, par-delà les appartenances politiques. On a parlé d'un accord contre nature, mais bien malin serait celui qui, sur ce texte comme sur bien d'autres examinés par le Parlement européen, trouverait une ligne de partage claire recoupant les clivages politiques traditionnels. En outre, on n'a peut-être pas le même point de vue sur la pêche en eaux profondes au coeur du Tyrol autrichien ou sur une façade maritime qui la pratique. Ce débat, nous l'avons aussi au sein du Conseil des ministres.

L'idée, on le comprend, est de capter le maximum des fonds alloués au développement de l'aquaculture. Or il faut un vrai débat sur la durabilité de l'aquaculture. Il faut interpeller les professionnels à ce sujet. Nous, Français, n'avons pas à rougir des initiatives qui sont prises sur nos façades. Certains pays qui se présentent comme vertueux ne peuvent peut-être pas en dire autant. Je ne jette l'opprobre sur aucun État, mais j'aimerais ne pas recevoir de leçons de personnes particulièrement mal placées pour en donner. Et je n'ai pas parlé de la pêche électrique !

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