Intervention de Guillaume Pepy

Réunion du 8 juillet 2015 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Guillaume Pepy, candidat à la présidente du directoire de la SNCF :

Je sollicite votre indulgence car j'ai compté quatorze intervenants qui ont posé chacun, en moyenne, trois questions, soit, en comptant celles des représentants des groupes, quelque soixante questions… J'en regrouperai donc certaines.

Je commencerai par les TET. Le Parlement a unanimement considéré qu'il fallait un État stratège. Dans cette perspective, la mission du conseil de surveillance est de surveiller le directoire et de fixer les stratégies – ce n'est donc pas la tâche du directoire. En tant que responsable de l'opérateur des transports, je n'ai par conséquent aucune opinion sur le rapport de M. Philippe Duron, pas plus que sur les annonces faites hier par le secrétaire d'État chargé des transports. Ce n'est en effet pas la SNCF qui détermine les orientations politiques concernant les TET mais bien, donc, le Parlement, le Gouvernement et le conseil de surveillance. Je me bornerai à remarquer que, quelles que soient vos décisions relatives à l'augmentation ou à la diminution du nombre de TET, la seule question qui vaille pour moi est celle du financement.

Or chacun sait que le mode de financement est une vaste lessiveuse puisqu'il s'agit d'une délégation de service public financée par l'opérateur lui-même. C'est exactement comme si l'on demandait à l'opérateur de l'eau de financer lui-même le service qu'il fournit. Cette économie circulaire, dans le secteur qui nous intéresse, ne fonctionne pas et elle ne résistera ni à l'ouverture à la concurrence ni au fait que Bruxelles et le Parlement européen ont décidé qu'une délégation de service public devait être financée. Vos choix politiques doivent donc prévoir un mode de financement pérenne.

Le métier de président de la SNCF va-t-il changer, se sont demandés MM. Philippe Duron et Jacques Kossowski ? Oui car, à travers la loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire, vous nous demandez, à M. Jacques Rapoport et à moi-même, d'appréhender les questions de façon globale et aux bornes du groupe ferroviaire, sous la responsabilité du conseil de surveillance – cela, à une exception près : le directoire n'a pas le droit de connaître des questions qui relèvent de M. Jacques Rapoport seul : l'allocation des capacités et la tarification de l'infrastructure. Sur tout le reste, nous dialoguons pour essayer de trouver des solutions globales allant dans le sens de l'intérêt général.

Je suis d'accord avec vous, monsieur Philippe Duron, pour considérer que l'organisation du travail, la productivité et la maintenance constituent l'urgence.

Ceci me permet d'aborder l'ouverture à la concurrence, évoquée par trois intervenants. Le débat vient des Assises du ferroviaire qui se sont tenues sous l'autorité de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, repris par les états généraux du ferroviaire sous l'égide de M. Jacques Auxiette, et poursuivi par un rapport Bianco, entre autres épisodes. La SNCF a toujours considéré, depuis six ou sept ans, que l'ouverture à la concurrence était un choix politique et qu'il ne lui appartenait donc pas de prendre parti – il faudrait, sinon, modifier la loi d'orientation des transports intérieurs (dite loi LOTI) de 1982. Je n'en ai pas moins répété devant vous à plusieurs reprises que le pire cadeau à nous faire consistait à ne rien faire jusqu'à la date couperet décidée par les autorités européennes. On a en effet pu voir ce que cela avait donné pour le fret : jusqu'au 31 décembre, tout va bien et, le 1er janvier, tout va mal parce que la concurrence n'est pas préparée, organisée, régulée ni socialement calée. C'est pourquoi, avec humilité, nous vous demandons de débattre de cette question et de trouver une solution d'ici à 2019 ou, sans doute, 2022, permettant à la SNCF de « résister » à la concurrence.

Pourquoi, demande M. Jacques Kossowski, investissons-nous dans OuiCar ? Notons au passage que le numéro un du marché s'appelle Drivy et que son actionnaire majoritaire est la Banque publique d'investissement (BPI). Nous aurons donc manqué d'originalité… Si nous pensons que la colonne vertébrale de la SNCF est le ferroviaire, les jeunes, notamment, ont besoin de trouver des moyens de transport pour aller dans les gares, faute de quoi ils utilisent le covoiturage de bout en bout. Or la possibilité de louer des véhicules entre particuliers pour quelques jours, dans des conditions économiques très favorables, sert le train plutôt qu'elle ne le dessert : nous allons pouvoir combiner le train et la location de voiture dans les gares.

Je laisserai, monsieur Bertrand Pancher, M. Jacques Rapoport vous répondre éventuellement sur la règle d'or. Quant à la dette, celle de SNCF Mobilités est de 7,5 milliards d'euros et celle de SNCF Réseau de 37 milliards d'euros, dette que le législateur n'a pas consolidée.

En ce qui concerne la limite des 100 kilomètres entre les arrêts, M. Frédéric Saint-Geours s'est exprimé. Nous avons regretté – même si c'est désormais du passé – que la différence entre 100 et 200 kilomètres ait concerné essentiellement les TER et les Intercités – le TGV n'a pas d'arrêts tous les 100 kilomètres. Nous avons considéré que si l'on en venait immédiatement à rendre les bus possibles au-delà d'une limite de 100 kilomètres, un transfert des voyageurs des TER et des Intercités vers les bus nous semblait inévitable ; or, étant donné que les TER sont financés à 70 % par les régions, nous avons pensé qu'un tel dispositif pourrait engendrer un surcroît de dépenses pour les régions.

M. François-Michel Lambert nous a demandé notre position sur la révolution numérique. En une phrase : si la SNCF ne s'emploie pas à avoir le meilleur site français des mobilités, c'est Google qui le concevra et, une fois que Google l'aura mis en place, il sera trop tard. Nous souhaitons par conséquent que voyages-sncf.com devienne mobilites.com avec nos partenaires de Transdev, nos partenaires des villes, la RATP. Il faut qu'il y ait au moins un site français agrégateur des services de mobilité. Quant à TGV Pop, il s'agit d'un produit destiné essentiellement à la génération geek qui réalise la majorité de ses achats sur la Toile et qui souhaite y disposer d'une offre de transports ferroviaires directement accessible.

En ce qui concerne la desserte de Château-Thierry, monsieur Jacques Krabal, les TET sont, je le répète, des trains d'État, autorité organisatrice qui décide des dessertes, des arrêts et des matériels.

J'en viens à l'intervention de M. Gilles Savary. Nous pensons, M. Jacques Rapoport et moi-même, qu'il manque de l'ordre d'un milliard d'euros pour la modernisation du réseau existant et nous proposons de « prendre » ce milliard sur les projets de développement afin de ne pas alourdir les finances publiques. Les collectivités territoriales ont fourni un immense effort : les régions ont en effet dépensé plus de 8 milliards d'euros pour acheter du matériel ferroviaire neuf. Les besoins en TER sont par conséquent résiduels, alors qu'ils peuvent être évalués, selon le secrétaire d'État, à quelque 1,5 milliard d'euros pour les trains Intercités – la mobilisation d'une telle somme donnerait à l'industrie ferroviaire le bol d'air qui lui fait défaut. Reste enfin, en région parisienne, à remplacer les matériels des RER C et D ; un appel d'offres est en cours et, là aussi, le potentiel est de 1 à 2 milliards d'euros.

M. Christophe Priou a raison quant aux défaillances de la desserte d'Angers et de Nantes : le nombre excessif de retards tient à ce que nous en sommes à la phase finale de raccordement de la ligne existante à la nouvelle ligne.

Pour ce qui est de la desserte de Laval, monsieur Yannick Favennec, un protocole a été signé, il y a six ou sept ans, par M. François Fillon, alors Premier ministre, et que nous entendons respecter à la lettre. Reste la question, que vous avez raison de soulever, de la seconde desserte directe. Il s'agit de respecter le fameux équilibre entre les trains qui passent au Mans et ceux qui vont directement à Laval. Nous sommes en cours de négociation sur ce point et je vous propose d'avoir un contact direct avec vous afin de ne pas prendre de retard.

La question de M. Olivier Falorni est du même ordre et montre les limites du système ferroviaire qui ne sait pas s'arrêter puis aller très vite. Il faut choisir. Si, par exemple, on va très vite à La Rochelle en quatre allers et retours directs, évidemment le train ne devra s'arrêter ni à Poitiers, ni à Saint-Maixent, ni à Surgères, ni à Niort. Or si les élus de ces villes étaient parmi nous, ils nous diraient qu'il n'est pas question que les trains ne s'y arrêtent pas. Je constate avec vous, monsieur Olivier Falorni, que nous n'avons pas encore trouvé le point d'équilibre. Nous allons donc continuer à discuter avec les autorités de La Rochelle.

Le renouvellement du matériel des vieux trains Corail, madame Suzanne Tallard, est une question majeure : le Corail est en fin de vie – il lui reste trois à cinq ans d'activité – et il est temps que la décision politique d'acheter de nouveaux matériels soit prise et qu'un financement soit trouvé puisqu'il s'agit, j'y insiste, de trains d'État. Les trains Intercités ont été pendant quarante ans sous l'autorité de la SNCF que tout le monde a considérée comme un très mauvais gestionnaire. Il y a six ans, la décision a été prise de transférer ces trains à l'autorité organisatrice État qui décide du remplacement des trains et de son financement. Nous sommes, dans ce contexte, très attentifs au sort du technicentre de Saintes : la SNCF y est le premier employeur. Nous prendrons, à moyen terme, nos responsabilités d'entreprise publique pour ne pas « quitter » Saintes.

Madame Sophie Rohfritsch, se diversifier, comme vous l'avez suggéré, n'implique pas un rétrécissement du secteur ferroviaire mais la définition de solutions pour ce qu'on appelle le dernier kilomètre. Plus on travaille sur ce dernier kilomètre et plus les voyageurs considèrent que le train est le bon mode de transport. En ce qui concerne la politique de communication, la Cour des comptes, il y a près de trois ans, a publié un rapport des plus sévères assorti de recommandations très fermes – pilotage des dépenses, appels d'offres systématiques, politique présentée au conseil d'administration, rapport annuel sur les dépenses… Nous appliquons ces recommandations scrupuleusement. Le directeur de la communication du groupe, que vous avez mentionné, est chargé d'unifier l'ensemble de la communication du groupe public. Sous son autorité, on trouve le directeur de l'information, chargé de la presse et des situations de crise – lourde responsabilité à la SNCF.

M. Jacques Rapoport pourra répondre aux questions posées par MM. Rémi Pauvros et Yves Albarello sur les TET. Je préciserai toutefois que les tarifs SNCF ont baissé, l'année dernière, de 1,5 %. La TVA, en effet, en 2014, a augmenté de 3 points, hausse que nous n'avons pas pu répercuter ; aussi avons-nous « mangé » la moitié de cette augmentation. En 2015, il est probable que l'augmentation faciale des tarifs soit entièrement absorbée par les bas tarifs, les tarifs promotionnels, et que nous parvenions à une stabilité des tarifs SNCF.

M. Thomas Thévenoud s'est interrogé sur le fait de savoir s'il fallait légiférer en matière de covoiturage. Je n'ai pas l'impression qu'il y ait tant de litiges, d'insatisfaction. Pour ce qui est de la location de voitures entre particuliers – métier nouveau –, ni Drivy ni OuiCar n'ont aujourd'hui de contentieux. Nous restons quoi qu'il en soit attentifs à l'évolution de cette activité. La restauration à bord des trains, quant à elle, s'est améliorée ; cependant, son coût atteint 100 millions d'euros de subventions chaque année, payés par les autres voyageurs. Les tarifs pourtant élevés n'équilibrent pas, en effet, cette dépense. Il faut savoir que ce qui coûte cher dans la restauration à bord, c'est la manutention et les coûts des personnels, ces derniers devant être éventuellement hébergés une fois arrivés au terminus.

Je répondrai à M. Arnaud Leroy que nous ne sommes pas satisfaits de notre politique portuaire. Nous en avons discuté avec M. Alain Picard, directeur général de SNCF Logistique : nous ne sommes pas à la hauteur de la situation et nous devons reprendre ce chantier dans sa globalité. Je m'engage à traiter le sujet dans les prochains mois. Vous me demandez ensuite si la SNCF est prête à intervenir de nouveau dans le secteur du transport maritime. Ma réponse sera franche : à l'époque de SeaFrance, les organisations syndicales, les personnels nous ont expliqué que nous étions les patrons les plus nuls de France, totalement incapables d'exploiter cette compagnie. Aussi nous ont-ils vus partir avec une grande satisfaction. Le moment ne me paraît donc pas opportun d'y revenir. Je dirai avec la même franchise que les trois bateaux que la SNCF avait achetés en son temps 100 millions d'euros ont été ensuite revendus à un prix très inférieur ; il semble qu'ils aient retrouvé de la valeur à la faveur d'un accord entre Eurotunnel et la société DFDS.

Le coeur de notre métier, monsieur Laurent Furst, c'est le train en France et cela ne changera pas car c'est, d'une certaine manière, notre ADN, notre raison d'être. Ce n'est pas pour autant qu'il faille s'interdire toute activité ferroviaire à l'étranger, débordant même éventuellement le seul secteur du train. Pour ce qui concerne les écarts de coûts, vous avez parfaitement raison : l'âge de la retraite au Royaume-Uni et en Allemagne est, pour les cheminots, bien plus élevé qu'en France. Certains conducteurs de trains Eurostar, certains conducteurs de train en Allemagne ont beaucoup plus que soixante ans, mais ils sont généralement beaucoup mieux payés que les conducteurs français. En outre, la durée du travail est moindre en France mais le salaire aussi.

M. Guillaume Chevrollier regrette que la SNCF ne soit pas capable de répondre à des demandes industrielles. Heureusement, 18 entreprises ferroviaires en France sont nos concurrents et représentent 36 % du marché du fret. Aussi, si nous ne pouvons faire une offre sans perdre d'argent, je suis sûr que d'autres entreprises ferroviaires en seront capables, comme la filiale de la Deutsche Bahn ou la filiale d'Eurotunnel. Vous vous êtes ensuite interrogé sur le climat social : les personnels sont-ils prêts pour le changement ? Il est difficile de vous répondre. Les gens ont fortement conscience d'être mal orientés, à long terme, si subsiste un double cadre social, avec un cadre public beaucoup plus favorable que le cadre privé. En effet, dans cette perspective, la SNCF tendra à se réduire au profit du secteur privé. À court terme, les efforts à fournir sur le périmètre des métiers, sur l'organisation du temps de travail et sur l'organisation du travail, personne ne s'y livre, dans la société française, de gaîté de coeur. Nous devrons donc réaliser un travail de pédagogie et de persuasion pour montrer que le nouveau cadre social défini par le Parlement est l'avenir de la SNCF et de ses emplois. Je terminerai par Romilly : j'ai pris des engagements vis-à-vis de vous, monsieur le député, nous les tiendrons et nous nous reverrons pour en parler.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion