Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur et cher René Dosière, mesdames et messieurs les députés, le projet de loi organique qui vous est soumis aujourd’hui constitue la première étape législative du processus de sortie de l’accord de Nouméa qui a été prévu dès 1998. Entre aujourd’hui et 2018, nous devons nous tenir prêts à consulter les Calédoniens sur ce qu’ils souhaitent comme avenir pour leur île et il appartient à l’État, partenaire de l’accord de Nouméa, de tout faire pour que la consultation se déroule dans des conditions indiscutables et apaisées.
Ce projet porte sur des aspects un peu techniques mais évidemment sur un sujet fort important, puisqu’il s’agit d’établir la liste de ceux qui vont voter lors de la consultation spéciale sur la sortie des accords.
Ce projet de loi résulte d’un engagement pris par le Gouvernement, lors du comité des signataires de l’accord de Nouméa du 3 octobre 2014, qui visait à tenir compte de trois préoccupations soulevées par les partenaires calédoniens.
En premier lieu, leur souhait était que le plus grand nombre possible d’électeurs potentiels soient dispensés de toute formalité pour être inscrits sur la liste électorale spéciale pour la consultation prévue par le point 5 de l’Accord de Nouméa. Ces formalités, si elles sont usuelles ailleurs, étaient considérées comme remettant en cause la notion de citoyenneté calédonienne, consacrée par l’Accord de Nouméa, et étaient même, parfois, perçues comme une remise en cause du droit de voter lui-même.
Ensuite, leur souhait était d’améliorer le fonctionnement des commissions administratives spéciales, qui sont non seulement chargées de réviser la liste électorale spéciale pour les élections provinciales, mais aussi d’établir, puis de réviser, la liste électorale spéciale pour la consultation. Le fonctionnement de ces commissions faisait l’objet de critiques récurrentes d’une partie de l’opinion.
Enfin, il s’agissait de mettre en place une instance consultative chargée d’harmoniser les pratiques des différentes commissions administratives.
Le projet initial du Gouvernement, calé sur les préconisations du Conseil d’État, a suscité l’incompréhension de certains Calédoniens, qui a parfois été exprimée avec virulence.
L’avis adopté par la majorité du Congrès de Nouvelle-Calédonie, s’il était négatif, était aussi assorti d’une série de propositions d’amendements.
À la suite de cet avis, le Gouvernement a donc engagé une série de consultations afin d’identifier, parmi les amendements proposés par le Congrès de Nouvelle-Calédonie, ceux qui pouvaient faire l’objet d’un large accord entre les partenaires. Vous avez pu constater, monsieur le président de la commission des lois, à l’occasion de la visite de la mission parlementaire conduite par le Président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, que les incompréhensions étaient vives et imposaient une réponse rapide du Gouvernement.
Le Premier ministre a donc décidé de convoquer un comité des signataires extraordinaire, afin de porter la discussion au plus haut niveau, en présence de toutes les autorités politiques concernées.
Ce comité, présidé par le Premier ministre Manuel Valls, s’est tenu le 5 juin dernier. Il fut extraordinaire par sa durée – plus de 12 heures –, mais aussi par l’esprit qui a soufflé sur ses débats et par la nature de ses conclusions.
Et je tiens à saluer ici, au nom du Gouvernement, très solennellement, l’ensemble des acteurs qui ont su rendre possible ce compromis extrêmement important pour la Nouvelle-Calédonie. Plus particulièrement, je tiens à vous remercier, madame la députée Sonia Lagarde et monsieur le député Philippe Gomes, de la part que vous avez prise pour que cette rencontre soit conclusive et constructive.
Ce comité a en effet permis de renouer un dialogue qui s’étiolait entre les différents partenaires. Ce dialogue fut franc, sincère, parfois vif, mais il a été productif. Surtout, toutes les parties ont été animées par la conviction qu’une solution politique devait être trouvée à des problèmes que la stricte application du droit ne permettait pas de résoudre, même si, bien entendu, le plus grand respect doit être porté aux avis émis par les instances supérieures chargées dans notre pays de dire le droit.
Les partenaires se sont ainsi accordés sur la nécessité d’étendre à la plupart des citoyens calédoniens nés sur le territoire la procédure d’inscription d’office, qui permettra de les dispenser de formalités d’inscription sur les listes électorales. L’État, avec l’appui des communes et des institutions calédoniennes, se chargera de la constitution des dossiers de demande d’inscription sur les listes électorales, et les soumettra aux commissions électorales, seules compétentes pour procéder à l’inscription définitive des électeurs.
Il s’agissait là d’une demande forte des partenaires calédoniens et ce sont donc au total plus de 80 % des électeurs potentiels qui verront leur inscription facilitée et qui n’auront aucune démarche individuelle à faire. Les autres électeurs ne seront pas privés du droit de vote : ils auront à faire des démarches nécessaires à leur inscription sur les listes électorales spéciales pour la consultation, mais je puis vous indiquer que l’État les accompagnera dans cette tâche, afin de leur faciliter, dans la mesure du possible, les démarches requises.
En second lieu, les partenaires sont convenus d’améliorer le fonctionnement des commissions administratives spéciales, de manière que leur fonctionnement soit exempt de tout soupçon.
Le président de chaque commission pourra lancer des mesures d’investigation en cas de doute sur les cas qui lui seront soumis. Les partenaires se sont également entendus pour ajouter aux commissions électorales une personnalité qualifiée indépendante, comme observateur, afin que le travail de ces commissions soit incontestable. Je tiens à saluer le travail en cours en Nouvelle-Calédonie, engagé sous l’égide du haut-commissaire, qui vise à déterminer les modalités pratiques d’application de ces dispositions.
Sur la question des listes électorales spéciales provinciales, objet de crispations locales, les partenaires calédoniens ont pris acte de la nécessité politique de surmonter leurs divergences de vue et de régler ce litige avant le prochain comité des signataires, qui se tiendra à l’automne 2015.
Un expert de confiance sera mandaté pour procéder à une évaluation quantitative du litige électoral, afin d’avoir une vision claire du champ qu’il recouvre. Il est convenu que ces investigations se feront de manière à garantir l’anonymat des personnes. L’expert qui a été sollicité est Ferdinand Mélin-Soucramanien, bien connu en Nouvelle-Calédonie, qui a fait l’unanimité parmi les partenaires. Je tiens à le saluer ici pour le travail qu’il effectue et qui lui vaut d’être si bien perçu là-bas.
L’État, troisième partenaire de l’accord de Nouméa, continuera de se tenir à équidistance des autres, ce qui me semble important mais peut aussi être l’objet d’interprétations négatives. Cela dit, en l’espèce, l’État, vous avez pu le voir, a montré sa détermination à être aussi un acteur pleinement engagé dans le processus.
Dans la foulée de la réunion du 5 juin dernier, le Gouvernement a préparé une série de quatre amendements transcrivant en droit cet accord politique. Les partenaires calédoniens en ont débattu à Nouméa, sous l’égide du haut-commissaire, ce qui a permis d’améliorer leur rédaction. Ces amendements ont par la suite été adoptés à l’unanimité en commission des lois au Sénat, avant de l’être en séance. C’est ce texte qui vous est aujourd’hui soumis.
Le Gouvernement, j’ai eu l’occasion de le souligner, ne souhaite pas ouvrir la discussion sur d’autres sujets, aussi légitimes soient-ils, que ceux évoqués lors du comité des signataires du 5 juin dernier. Il en avait pris l’engagement lors du comité des signataires d’octobre 2014. J’y reviendrai lors de l’examen du seul amendement déposé sur le texte. Je conçois, monsieur le président de la commission des lois, la frustration que cette position peut susciter parmi les parlementaires, mais je sais que, comme nous, vous êtes sensible à la nécessité de préserver le projet de loi tel qu’il vous est soumis, qui transcrit un équilibre politique subtil sur un sujet déterminant pour l’avenir des Calédoniens.
Mesdames et messieurs les députés, l’examen puis l’adoption de ce projet de loi organique sont la première étape d’un chemin qui nous mènera jusqu’en 2018. Toutes les énergies seront nécessaires dans ce cheminement : majorité et opposition ici, indépendantistes et non-indépendantistes là-bas, et, plus généralement, État et Calédoniens.
Pour sa part, l’État assumera pleinement ses responsabilités en préparant de manière non-partisane la sortie de l’accord de Nouméa. Le Gouvernement, comme j’ai eu l’occasion de le dire cet après-midi, lors des questions d’actualité, a confiance dans le sens des responsabilités de tous les acteurs politiques pour qu’ils bâtissent ensemble l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. C’est exactement ce que nous nous apprêtons à faire avec l’examen puis, je l’espère, l’adoption de ce projet de loi organique, ce soir. Comme vous le savez, nous avons encore beaucoup de travail à faire avant de bâtir cette liste, qui sera déterminante, pour que nous puissions réussir cette consultation.