Notre temps ne peut pas être celui des bateleurs ou des procureurs. Le comité des signataires du 5 juin a heureusement tourné cette page, démontrant que la politique n’est pas la commedia dell’arte, mais la capacité d’établir des projets collectifs, de donner du sens et une perspective à l’évolution d’une société.
Troisième et dernier enseignement de cette période : il ne faut pas perdre de vue l’objectif. Cet objectif est le choix, par les populations intéressées, de la nature des liens entre la Nouvelle-Calédonie et la République. C’est à la fois un horizon et un grand dessein, non point abstraits ou utopiques, mais prospectifs et précis. Les élus calédoniens ont donc un devoir incomparable : eux seuls peuvent, pour leur territoire, susciter l’espoir et écrire l’histoire. Or cette dernière n’est pas faite pour attiser les souffrances ou aviver les plaies, elle est faite pour préparer l’avenir.
Chacun de nous sait, comme l’écrivait François Mitterrand dans sa Lettre à tous les Français, quelques semaines avant le premier tour de l’élection présidentielle de 1988, quelques jours avant le drame d’Ouvéa, que « l’antériorité historique des Kanaks sur cette terre ne suffit pas à fonder le droit » et que « les Calédoniens d’origine européenne ont aussi, par leur labeur, modelé ce sol, se sont nourris de sa substance, y ont enfoncé leurs racines. » Dès lors, il n’existe pas de solution toute faite, tout est à inventer. La politique doit y prendre toute sa place, car comme l’a dit mieux que personne Kant, « le droit ne vient pas toujours à l’existence par les moyens du droit. »
Qu’il me soit donc permis de saluer les signataires de l’accord de Nouméa, dont la responsabilité est considérable : Paul Néaoutyine, Pierre Frogier, Simon Loueckhote, Harold Martin, Jean Lèques, Bernard Deladrière, Rock Wamytan, Victor Tutugoro. Que soient associés à cette marque de respect les parlementaires du territoire, notamment Philippe Gomes et Sonia Lagarde, l’actuel président du congrès, Gaël Yanno, et celui du gouvernement, Philippe Germain. Je salue aussi tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, participeront à l’élaboration du projet pour la Nouvelle-Calédonie de demain dans toute sa diversité : les dirigeants des provinces Philippe Michel ou Néko Hnepeune, le président de l’Union calédonienne Daniel Goa, les présidents de groupes au Congrès, Louis Mapou pour l’UNI, Philippe Dunoyer pour Calédonie ensemble, et Sonia Backès demain – me dit-on – pour Les Républicains.
Vous, madame la ministre, et à travers vous le gouvernement de Manuel Valls – comme, avant lui, le gouvernement de Michel Rocard et celui de Lionel Jospin –, vous devrez continuer à assumer le rôle réservé à l’État par l’Accord de Nouméa, et ceux de Matignon. Ce rôle, vous l’avez dit, est celui d’un arbitre et d’un partenaire. Arbitre, parce que vous devrez veiller à l’application des engagements pris. Partenaire, parce que vous ne pourrez pas rester indifférente ou spectatrice : vous devez accompagner, être active et solidaire. Ce rôle est déterminant : vous le savez, vous l’avez montré dans ces dernières semaines ; je vous en félicite.
« Vivre ensemble, ce n’est pas vivre les uns à côté des autres, mais vivre les uns avec les autres » : c’est ce que disait François Hollande à Nouméa en novembre 2014. C’est le chemin qui est devant nous, un enjeu commun à toutes les communautés humaines, un formidable défi.