Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, depuis l’accord de Nouméa, signé le 5 mai 1998, qui fixe le cadre institutionnel sui generis de la Nouvelle-Calédonie applicable jusqu’à la tenue du référendum d’autodétermination qui se tiendra en 2018 au plus tard, la représentation nationale a délibéré plusieurs fois, régulièrement, à propos du statut de l’archipel.
Premièrement, à l’occasion de la révision constitutionnelle du 20 juillet 1998, rendue nécessaire par le texte même de l’accord de Nouméa, qui posait le principe d’une citoyenneté calédonienne et d’un transfert progressif de compétences de l’État au profit de la Nouvelle-Calédonie sur une durée de vingt ans. Deuxièmement, à l’occasion de la loi organique du 19 mars 1999 fixant le nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie, acquérant une très large autonomie, unique au sein de la République.
Il a fallu actualiser la loi organique et continuer d’inscrire l’évolution de la Nouvelle-Calédonie dans une démarche consensuelle afin de garantir sa stabilité politique. Monsieur le rapporteur, vous vous êtes toujours attaché à cette démarche avec détermination. Vous avez été rapporteur de l’ensemble des textes législatifs que je viens de citer, et un garant essentiel de l’intégrité de la nouvelle organisation politique de la Nouvelle-Calédonie.
Le cinquième point de l’accord de Nouméa prévoit l’organisation d’une consultation des électeurs au cours du quatrième mandat du Congrès de Nouvelle-Calédonie, de mai 2014 à mai 2019, portant sur le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l’accès à un statut international de pleine responsabilité et l’organisation de la citoyenneté calédonienne en nationalité. Ces dispositions constitutionnelles sont l’objet du titre IX de la loi organique du 19 mars 1999, que le présent projet de loi organique se propose, notamment, de modifier. Précisons que si le Congrès est désormais en mesure de solliciter l’organisation de cette consultation, la configuration politique de l’assemblée rend cette hypothèse plus qu’improbable. Il appartiendra donc à l’État d’organiser cette consultation entre mai 2018 et mai 2019.
Enfin, puisque l’accord de Nouméa prévoit l’organisation successive de trois consultations en cas de réponse négative des électeurs aux questions que je viens d’évoquer, l’article 2 du présent projet de loi vise à combler le vide juridique laissé par la décision du Conseil constitutionnel du 15 mars 1999, et à définir les conditions de délais et d’organisation pour la mise en oeuvre de cette troisième et dernière consultation, qui pourrait se tenir, le cas échéant, jusqu’en novembre 2022.
Rappelons rapidement que l’accord de Nouméa distingue deux corps électoraux différents : celui de l’article 218 de la loi organique, qui fixe les conditions pour figurer sur la liste électorale pour la consultation sur l’accession à la pleine souveraineté, et celui de l’article 188 de la même loi, qui fixe les conditions pour figurer sur la liste électorale pour l’élection des membres du Congrès et des assemblées de province. Ceux qui ne figurent pas ou n’ont pas vocation à figurer sur ces listes électorales forment un tableau annexe.
Le projet de loi organique que nous examinons ce soir fait suite à la réunion, le 3 octobre 2013, sous la présidence du Premier ministre, du douzième comité des signataires, au cours duquel il s’est prononcé en faveur d’une réforme de la loi organique de 1999, en vue de faciliter les inscriptions sur la liste électorale de l’article 218, et d’améliorer le fonctionnement des commissions administratives spéciales chargées d’établir les listes électorales de l’article 188 et de l’article 288. Or vous avez rappelé l’avis rendu par le Congrès de la Nouvelle-Calédonie le 26 mars 2015 : la majorité non-indépendantiste était très défavorable au projet, alors que les formations indépendantistes soutenaient son adoption. Heureusement, une réunion exceptionnelle du comité des signataires le 5 juin 2015 a permis de renouer les fils du dialogue et de trouver une solution de compromis. C’est ce compromis, dont la teneur nous est livrée par le rapport du Sénat remis le 24 juin, qu’il nous appartient de traduire dans la loi organique.
L’un des points les plus litigieux concernait l’inscription d’office de catégories d’électeurs sur la liste électorale de l’article 218. Nous notons avec satisfaction qu’en ce qui concerne les électeurs correspondant au point d) de l’article 218, à savoir les natifs de Nouvelle-Calédonie, ceux qui seraient inscrits sur la liste de l’article 188 seraient considérés avoir en Nouvelle-Calédonie « le centre de leurs intérêts matériels et moraux. » Une « passerelle », pour reprendre le mot du rapporteur Philippe Bas, serait ainsi créée entre les deux listes électorales spéciales. Tout ce qui tend vers un rapprochement de ces listes et la constitution progressive d’un corps électoral moins dual est, à notre avis, une très bonne chose.
Un autre point litigieux concernait le pouvoir d’appréciation des présidents des commissions administratives spéciales, qui pouvaient, selon la rédaction initiale de l’article 1er du projet de loi organique, prendre seuls les décisions d’inscription ou de non-inscription sur les listes électorales et procéder, de leur seule initiative, à toutes investigations utiles. Le compromis trouvé est le suivant : les présidents conserveront leur pouvoir d’instruction et les commissions continueront de décider collégialement d’inscrire ou de ne pas inscrire un électeur sur les listes.
Par ailleurs, conformément à la proposition émise par le comité des signataires du 3 octobre 2014, une commission consultative d’experts, présidée par un magistrat de l’ordre administratif et composée à parité de représentants des formations politiques calédoniennes, compétente sur l’ensemble du territoire de l’archipel, et ayant pour fonction d’assister les commissions administratives spéciales, est créée. Elle aura notamment pour mission d’harmoniser les décisions d’inscription sur les listes électorales au regard de la notion de « centre des intérêts matériels et moraux ».
Je ne m’étendrai pas davantage sur les dispositions contenues dans le présent projet de loi organique, qui sont de nature principalement technique, et qui tendent à traduire les spécificités du corps électoral calédonien dans la loi et à prévenir les contestations relatives à l’établissement des listes électorales. Ces dispositions font l’objet d’un consensus, auquel, bien évidemment nous souscrivons. Nous souhaitons que les opérations électorales à venir en Nouvelle-Calédonie se déroulent le mieux possible, dans un climat serein, et permettent aux électeurs, en toute connaissance de cause, de prendre en main leur destin, le destin de leur territoire, qui pourrait devenir le siège de leur future nation.
C’est à cette question qu’il leur appartiendra de répondre : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie soit un État souverain ? » Que recouvre exactement ce choix vers une autodétermination ? Il convient de s’interroger sur le contexte des relations futures avec la France. Au cours du quatrième mandat du Congrès, une consultation sera organisée, et trois fois de suite, s’il le faut ! L’accord de Nouméa est un accord qui tend vers une véritable décolonisation longtemps attendue, ardemment désirée et – enfin – parfaitement assumée. En effet, la question d’une éventuelle sécession d’un territoire a déjà été tranchée par le peuple français lors du référendum du 6 novembre 1988 sur l’autodétermination en Nouvelle-Calédonie, qui a entériné les accords historiques de Matignon du 26 juin 1988.
Autant la Nouvelle-Calédonie pourra assurer l’exercice des compétences opérationnelles en matière économique, sociale, culturelle, autant elle n’aura raisonnablement pas la capacité d’exercer des compétences régaliennes comme la défense, la police, l’exercice entier du service de la justice, la monnaie, l’entièreté de la diplomatie. Et, comme les micros-États du Pacifique, elle aura du mal à s’assumer seule économiquement. Pascal Naouna, président de l’Union calédonienne – composante du FLNKS – de 2001 à 2007, proposait en 2006 l’idée d’un État associé à la France. Il s’agirait de conclure avec la France un accord de droit international, ce que permet notre Constitution. D’autres plaident pour un État fédéral. En tout cas, les citoyens calédoniens devront, lorsqu’ils seront consultés sur l’avenir institutionnel de l’île, être pleinement informés des conséquences de leur choix. Les forces politiques en présence doivent faire preuve de pédagogie, et repousser la tentation de l’immobilisme, alors que le système politique local demeure fragile.
La consultation qui aura lieu ne sera pas une révolution. Gardons en mémoire la prophétie, teintée de cynisme et de désillusion, du neveu du prince Salina, l’alter ego de Giuseppe Tomasi, onzième prince de Lampedusa, auteur du roman Le Guépard : « Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change. » Tout ne changera pas, mais tout ne restera pas tel que c’est. Permettez à un député qui sait ce que c’est qu’un territoire spécifique de vous souhaiter bonne chance à tous, pour un territoire qui le mérite.
Comme je l’ai dit tout à l’heure, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste approuve ce projet de loi.